« Violences sexuelles dans le sport » : le courageux témoignage d’Audrey Larcade
Ce témoignage fut évidemment le temps fort de cette conférence. La psychologue Marie-Leduc Lusteau, présente ici elle aussi, à qui Audrey s’est confiée, a écrit le livre « Mon corps pour une coupe » sorti en librairie le 15 octobre (éditions Jets d’Encre). Puissant et terrifiant témoignage sur l’emprise que peut exercer un mentor sur une fillette de 10 ans qui devint une championne dans sa catégorie. Mais à quel prix de violences et de soumissions ! Le calvaire d’Audrey a duré plus de 10 ans avant que sa parole ne se libère et soit enfin entendue. Elle a aujourd’hui 35 ans, est maman de trois enfants, dirige son ranch à Ury mais subit toujours les contrecoups de cette révélation la faisant passer de victime à bourreau. En avril de cette année, au moment où le procès aurait dû s’ouvrir son ex-coach est décédé du Covid.
Avec ce livre, Audrey Larcade brise la loi du silence dans le milieu équestre.
Sous forme de journal intime, ce livre est l’histoire d’un combat, il est une revendication, il est un coup de poing sur une table pour qu’enfin la parole des victimes soit entendue, pour que le parcours judiciaire soit moins rude, pour qu’après le drame puisse enfin venir le repos.
Il est aussi l’histoire d’une rencontre, d’une sororité, celle de deux femmes dont la voix de l’une qui raconte, Audrey, et les mains de l’autre qui écrivent, Marie, se sont liées pour tenter de transformer le pire en un combat collectif. Leurs chemins de vie se sont croisés, elles ont grandi avec la même boue collée à leurs bottes, la même odeur sur leurs mains et leurs cheveux, celle de ces animaux grands et forts que sont les chevaux et pour lesquels elles se sont passionnées. C’est parce qu’elles ont ce socle commun, ce quelque chose de familier dans leurs adolescences qu’elles se sont comprises et ont pu mêler les maux d’Audrey aux mots de Marie.
Ce livre s’attache à dénoncer les meurtrissures infâmes qu’Audrey a subies sur son corps d’enfant pour dénoncer les violences sexuelles.
Quelques extraits :
« Tu n’as de cesse de parler d’« étoile », sans doute un reste de ton passé de danseur. Passé auquel tu fais référence tout le temps, m’assénant une obligation de travailler toujours plus dur si je veux exceller, comme toi.
Je m’exécute, ne me sentant jamais à la hauteur de tes exigences.
Tu commences à osciller entre mots doux et violents reproches.
Â
Ça y est, je suis soumise, dépendante !
Tu vas pouvoir me façonner, tu l’as compris. »
L’implication de la FFE
Depuis plus d’un an et demi, le monde du sport est ébranlé par des révélations de faits de violences sexuelles. Et l’année 2020 aura marqué un tournant important dans la prise de conscience grâce aux révélations publiques de plusieurs victimes, incitant dès lors chacun à révéler les faits dont il a été l’objet ou le témoin. L’équitation n’ayant pas été épargnée à l’instar de 43 autres fédérations nationales, la Fédération Française d’Equitation (FFE) s’est lancée dans une lutte acharnée contre ce fléau en mettant en place d’importants moyens de sensibilisation et de prévention.
A la demande de Serge Lecomte, président de la FFE, le Comité fédéral a mis en place le 22 septembre 2020, un groupe de travail, pour prévenir et lutter fermement contre les violences sexuelles avec, au programme, deux grands axes d’intervention : l’information du public et la libération de la parole ainsi qu’un plan de formation des acteurs du monde équestre.
Réactions
• Fabienne Bourdais déléguée ministérielle à la lutte contre les violences dans le sport, en poste depuis février 2020.
Quels leviers pour la stratégie de la communication ?
« Ce qui est important sur ce sujet, c’est de faire en sorte que nous mettions en place une culture de la vigilance partagée, c’est-à -dire que ce sujet de la lutte contre les violences dans le sport ne doit pas être un sujet de spécialistes, c’est un sujet qui concerne tout le monde. On le voit dans les signalements qui nous remontent au ministère, si chacun, à son niveau de responsabilité, avait été vigilant sur la manière d’organiser les choses dans le code sportif, le pire aurait pu être évité. Donc, notre travail c’est de pouvoir diffuser des outils qui s’adressent aux sportifs eux-mêmes, aux parents, mais aussi bien sûr aux éducateurs et aux dirigeants. Et le mot d’ordre, c’est de dire que nous avons aujourd’hui des gestes, des attitudes, des propos, qui sont tout à fait inappropriés et qui ne doivent plus avoir cours dans le monde du sport, et ça passe par des choses qui sont finalement assez simples dans la relation qu’on établit avec les sportifs, qu’il s’agisse de l’organisation des déplacements, l’organisation des vestiaires, la manière dont on veille à ce qu’une relation, certes singulière, entre un entraineur et un sportif, ne dérive pas vers des phénomènes d’emprises qui peuvent aller jusqu’au pire comme ça a pu être présenté tout à l’heure ».
Vous avez constaté une augmentation de ces signalements ?
« Oui, puisque nous étions à 177 signalements en juin 2020, nous sommes à 600 signalements aujourd’hui, 57 fédérations sont concernées par au moins 1 signalement de violence. Etant entendu que sur les 600 signalements nous avons à peu près 90% de signalements pour des faits à connotations sexuelles, et 10% pour des faits de violences physiques, psychologiques, voir des propos de comportements sexistes ».
• Isabelle Defossez , juriste, référente FFE avec Claude Lanchais
« Au début des révélations dans le monde du sport on a effectivement constaté des signalements assez importants, notamment qui concernaient des faits anciens, des personnes qui n’avaient pas parlé pendant plusieurs années de faits dont elles avaient été victimes dans leur enfance. Il s’agissait de personnes majeures, y compris Audrey Larcade qui nous a contactés effectivement en février 2020 quand on a mis en place la cellule d’écoute. On a mis en place un formulaire de signalement ainsi qu’une adresse mail dédiée pour qu’ils puissent nous envoyer les signalements que nous avons transmis au Ministère. Depuis on reçoit encore de temps en temps des signalements, mais effectivement sur un rythme qui a quand même beaucoup décru. Le dernier en date remonte à cet été. On a moins de révélations sur des faits en général plus récents, qui sont arrivés soit quelques mois plus tôt, soit très récents, mais effectivement on a moins de révélations maintenant ».
Des sanctions disciplinaires récemment ?
« Dans tous les cas, tous les signalements sont envoyés au Ministère des Sports. Nous examinons au cas par cas les signalements, quand on a suffisamment d’éléments et que ça n’empiète pas sur les enquêtes judiciaires, puisque c’est important de favoriser l’enquête judiciaire, on lance une commission disciplinaire à l’encontre des personnes quand elles sont dans notre champ, puisqu’il y a des personnes qui peuvent ne pas être licenciées FFE. Dans tous les cas on transfère systématiquement, même si ce n’est pas des personnes qui sont dans la sphère de compétences fédérales. En début d’année on a lancé trois procédures disciplinaires à l’encontre de ressortissants fédéraux qui ont effectivement pour deux d’entre elles donné lieu à des sanctions disciplinaires. Il y a eu une personne dont la sanction n’a pas été prise mais il y a une décision de surseoir à statuer en attendant justement l’enquête pénale qui est en cours. Et on a un autre dossier disciplinaire qui est pendant et qui sera étudié dans les prochaines semaines ».
• Me Elodie Tuaillon Hibon, avocate spécialisée dans les affaires de violences sexuelles.
« Celles qui dénoncent les violences sexuelles qu’elles ont subies sont très courageuses. Leur parole est d’utilité publique. Est-ce que parler les aide sur le plan juridique ? Pas toujours. Est-ce que parler les soulage ? Je pense que oui, y compris contre des hommes totalement anonymes. Est-ce que ça fait avancer les choses dans la société, politiquement ? Oui, un immense oui. Cela ne changera rien sur le plan judiciaire. Cela ne changera rien au vécu de ses femmes, à l’abjection de ce qu’elles ont subie. Ce qui compte, c’est la mise en abîme de ces comportements systémiques qui touchent toutes les couches de la population. Même s’il ne peut pas toujours y avoir de suites judiciaires, à force de parler, à force de hurler, peut-être enfin qu’elles seront vraiment écoutées. Peut-être qu’enfin on mettra sur la table des politiques publiques d’ampleur pour lutter contre ces violences ».
E. R.
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