Au haras de la Côte, chez Laurent Guillet, un écrin pour le grand sport
Référence dans le milieu de la compétition, il est aussi un bâtisseur avisé qui, en une vingtaine d’années a su créer un environnement où bien-vivre humain et bien-être équin sautent aux yeux. Rien d’ostentatoire sur ce domaine, hors un goût sûr pour la verdure, la pierre, le bois. Au moment où tous les sols équestres migrent vers le sable, lui entretient avec un soin d’esthète son spring garden cerclé d’un anneau de galop. Dans l’aménagement extérieur, apparait d’emblée la « patte » de son partenaire Créa-Vert, de l’allée qui mène aux écuries aux lisses en bois qui ferment les paddocks et entourent la carrière.
Un ravissement pour le regard en ce jour de mars par 25° au soleil, lors de notre visite.Â
Mégane détend Grace P (Toulon) une jument bai de 10 ans qui doit partir le lendemain chez Jan Tops. Laurent, disponible, guide la visite : barn d’une trentaine de box où Jean-François Gourdin officie à ce moment-là à la dentisterie, marcheur avec rond de longe, carrière en sable, paddocks, hangar. L’habitation est à proximité : mariage heureux du moderne et de la pierre, du domicile privé au bureau. Larges baies vitrées avec conservation des éléments d’architecture spécifiques à la région. Ces gens-là ont un goût sûr.
Atavisme
Son pédigrée de cavalier coule de source paternelle. Félix, son père, grand passionné de chevaux avait un centre équestre. Naturellement, Laurent et son frère, malheureusement décédé dans un accident de voiture, ont vécu au milieu des chevaux. Laurent a rapidement décidé d’en faire son métier. Formation chez les maîtres de la spécialité, à deux pas de chez lui, Michel Robert puis Guy Martin. Après une première installation à St Triviers, il achète cette propriété à Lent, près de Bourg-en-Bresse et entreprend sa transformation.Â
« Je suis ici depuis 25 ans et j’ai changé beaucoup de choses. J’ai fait la piste de galop, le terrain en herbe, un bâtiment de stockage, le marcheur avec le rond au milieu, la carrière et puis tout le reste. La maison a été refaite du sol au plafond. C’était un beau projet et là on commence à arriver au bout. L’endroit est au calme, très bien placé pour les concours et pour le commerce, pas loin de l’aéroport, pas loin des gares de Lyon et Bourg, pas loin de la Suisse où j’ai beaucoup de clients, proche de l’Italie. C’est une région centrale qui bouge avec les pôles équestres de Chazey et Mâcon. Â
L’hiver il m’arrive très souvent de louer une journée le site de Chazey pour aller y faire essayer des chevaux. C’est pratique, ce n’est pas loin et ça convient à tout le monde. On fait souvent des regroupements avec Nicolas Delmotte, avec Bertrand de Bellabre. On vient avec 30 ou 40 chevaux et puis on s’entraide. L’idée c’est un peu ça, de travailler tous en collaboration.Â
Depuis trois ans on fait des regroupements avec Thierry Rozier, Philippe Leoni, Nicolas Delmotte et tous mes cavaliers. On loue une installation, Mâcon ou Chazey, et Bertrand de Bellabre vient nous entraîner pendant deux jours avant de commencer la saison. On essaie tous de se donner un coup de main. C’est assez sympa pour nous et pour les chevaux qui voient autre chose que la maison ».
Le commerce, une seconde nature ?
« J’ai toujours aimé faire du concours et du commerce. J’achète, je vends en fonction de mes clients. J’essaye toujours d’avoir des chevaux meilleurs pour aller plus loin, plus haut, pour sauter des Grands Prix. Aujourd’hui je monte un peu moins parce que j’ai eu un accident. Maintenant j’ai cette collaboration avec Mégane Moissonnier qui marche très bien, j’ai aussi beaucoup de chevaux en commun avec Nicolas Delmotte, sept actuellement, qu’on a ensemble ou avec le fonds d’investissement qu’on a créé. Je monte parce que j’aime ça mais je n’ai pas de réelles ambitions, à part me faire plaisir et puis faire évoluer les chevaux que j’ai choisis. Je monte en général 5 à 6 chevaux par jour dont Sultan, Cabalero et Camelia.
J’ai une très bonne équipe autour de moi, on est soudés. Il y a un chef d’écurie, Selim Arrestier que j’ai depuis très longtemps, (il a travaillé chez Hubert Bourdy). J’ai Romain Ozzola, depuis très longtemps aussi. Il monte en priorité les jeunes chevaux et va souvent jusqu’aux Grands Prix 2*, c’est un très bon cavalier, travailleur et très consciencieux. On a deux grooms, un pour Romain et un pour Mégane. Nicolas en a d’autres. Et ça marche dans les 2 sens. Nicolas prend des chevaux avec lesquels Mégane a un peu de mal et il nous envoie des chevaux qu’il pense mieux convenir à Mégane qu’à lui. En équitation il ne faut pas avoir la science infuse, il faut surtout essayer d’être intelligent et de trouver le meilleur couple. C’est un sport de couple et il faut aimer les chevaux. Sans symbiose, on n’y arrive pas. Aujourd’hui, ça fonctionne bien, il y a un bel avenir, c’est motivant et c’est enrichissant.
Il n’y a pas beaucoup de 4 ans ici. Ils sont chez mon associé Emmanuel Portet dans le sud-ouest. Nous en avons une quinzaine ensemble. Il les garde parfois jusqu’à 6 ans. C’est un super professionnel qui prend tous les chevaux qu’on achète à 3 ans ou qu’on a achetés foals ou qu’on a élevés. Il fait tout l’apprentissage. Cordial et Abracadabra étaient chez lui. L’idée c’est de les récupérer à 6 ans pour faire des tournées comme Oliva ». Â
Quel est le rôle de Mégane ici ?
« Mégane monte plutôt les plus vieux, à partir de 7 ans. Ce sont des chevaux qui sont destinés au haut niveau, qui sont prêts à sauter au moins à terme des 1m50 et l’idée c’est de les emmener sur les 3*, les 4* et plus selon l’évolution. On travaille ensemble depuis trois ans. Elle a des super chevaux, alors c’est vrai qu’on les vend mais c’est vrai aussi que chaque fois on en rachète de meilleurs. Pour l’instant elle n’a jamais été démunie, elle a toujours des chevaux pour sauter, en tout cas tout ce qu’on nous a demandé de sauter et de le faire correctement.Â
Elle en a 5 ou 6 dont Cordial, toujours les mêmes. Elle vient ici entre 2 et 4 fois par semaine. Là on en a vendu deux depuis Oliva, mais elle en a récupéré un que je montais à Oliva, un nouveau, un très bon 8 ans.Â
Elle a Kellano, un Selle Italien que j’ai en copropriété avec Philippe Leoni et Nicolas Delmotte. C’est Nicolas qui l’a montée l’année dernière. Elle a très, très bien marché à Oliva : sur 9 parcours elle est 7 fois classée et 5 fois dans les 4 premiers. Â
Elle a récupéré Aramusse, un Elan de la Cour qui était chez Nicolas, elle est 2e d’une Ranking à Oliva. C’est un très bon cheval qui va sauter les Grands Prix 3* avec Mégane.
Elle monte Illusion (Arezzo), un 8 ans que j’ai acheté 15 jours avant de partir à Oliva que j’ai monté moi, qui a fait sans-faute dans les deux Grands Prix Silver. Il va faire des 1m50 à la fin des 8 ans, c’est un cheval que j’aime beaucoup.Â
Elle montait une jument que nous avait confiée aussi la propriétaire de Cordial, qui s’appelle Grace mais qu’on vient de vendre pour la fille de Ian Tops ».Â
Combien de chevaux dans votre écurie actuellement ?
« En ce moment il y en a entre 22 et 25. Dans les jeunes on a des Mylord, Cornet, Kannan, Concorde, Vagabond, Ogano Sitte. Dans les plus vieux : deux Casall, Kannan, Corofino, enfin un peu de tout, SF comme étrangers ».Â
Le bilan d’Oliva ?
« A Oliva on est partis avec 21 chevaux. Nicolas en avait 10 dont 6 à moi. Chez Nicolas j’ai Fenix, Erostar, Ozzy, Baladin, Daenerys, Dallas Vegas Batilly. Â
Très bon bilan. Mégane a vraiment très bien marché et les jeunes chevaux ont bien évolué. Entre la fin d’Oliva et maintenant, on en a vendu quatre. Ce qui est intéressant c’est que ça dure trois semaines et que les gens peuvent suivre les chevaux sur les vidéos donc ça permet d’ouvrir sur des commerces possibles. En général on y va tous les ans en février. C’est quelque chose de bénéfique et pour le métier et pour les chevaux. Je vais parfois en Italie et j’envisage d’aller prochainement à Wellington ». Â
Les origines, c’est important pour vous ?
« Non, pas du tout. Quand on a été heureux avec une origine on préfère c’est sûr, mais ce n’est pas la première chose que je vais regarder. Si le cheval me plaît, je prends. Après si on a été malheureux avec une origine, on se dit qu’une fois c’est la malchance si c’est plusieurs fois on se dit que ce n’est pas pour nous ».
L’aventure Fences a commencé quand ?
« L’aventure Fences a commencé il y a 5 ans si je ne me trompe pas. Un peu par hasard. Les associés nous ont demandé à moi et Emmanuel Portet si nous voulions racheter les parts d’Yves Lemaire. On s’est dit que c’était peut-être une bonne opportunité pour élargir notre panel de clients et puis l’occasion de faire un petit peu autre chose. C’est finalement assez sympa. Aujourd’hui on est une bonne équipe, un peu plus réduite, on a fait des belles ventes. On essaie vraiment de tirer la qualité vers le haut pour faire face à la concurrence. Maintenant Fences c’est quand même une marque qui a pignon sur rue. Les gens sont en confiance. Beaucoup de chevaux qui sortent des Fences font du haut niveau. Nous en achetons aussi tous les ans, parfois cher. L’année dernière avec mon propriétaire nous avons fait le record, il y a 3 ans aussi. A la fin on était très contents. On peut faire de très bonnes affaires sans acheter très cher. On essaie vraiment de se diversifier avec Fences Web sur d’autres marchés. Une vente de performers de chevaux de 4 à 7 ans est prévue pendant le CSI de Deauville. C’est un beau challenge. Aujourd’hui le commerce est facile si vous avez de bons chevaux qui sont dans le bon rapport qualité-prix ».
Un peu d’élevage ?
« Très peu. J’ai deux juments en commun avec Benjamin Ghelfi. On fait un peu des transferts. De Dallas on attend un poulain avec Eldorado de Hus. On a deux sÅ“urs utérines de Cordial achetées quand elles avaient 6 mois. Avec celle qui a 5 ans BLH a fait un transfert de Casall, vendue aux ventes Elite 50 000 € à 6 mois, superbe pouliche. Sa sÅ“ur va faire un Candy de Nantuel dans 15 jours.Â
Les poulains grandissent chez Gauthier Bouchard dans le Gers et Emmanuel les reprend à 3 ans. On essaie d’en acheter tous les ans deux ou trois ».
Un avis sur le circuit de valorisation SHF ?
« C’est un bon circuit. Mais je pense qu’il faut l’utiliser à bon escient. Certains veulent faire les finales, parce qu’ils veulent un nombre maximal de sans-faute d’autres le prennent plus comme un circuit de formation. C’est au gré de chacun et selon la maturité du cheval. C’est un circuit dont on se sert mais c’est vrai qu’on ne fait pas beaucoup tourner les 4 ans ni les 5 ans. Les 6 ans, un peu plus et on les emmène sur les tournées comme Oliva. C’est intéressant parce que 1. Il y a beaucoup plus de clients 2. ça ressemble réellement aux concours que les chevaux vont sauter deux ans plus tard. Les chevaux n’apprennent pas du tout la même chose. Cela dit, ce n’est une critique, il en faut pour tout le monde et tous les chevaux ne sont pas prêts pour Oliva, soit qu’ils n’ont pas le métier, soit qu’ils ne sont pas assez précoces. Et Oliva, ça coûte cher ».Â
Quel est la tendance du commerce en ce moment ?
« Ça marche bien. L’année dernière réellement ça a très bien marché. Je suis très strict sur la qualité, sur les visites, sur les performances. Pour ces chevaux-là , oui il y a des clients. Mais j’en reviens toujours au même, c’est beaucoup plus facile de vendre des chevaux qu’on a valorisés soi-même. Quand on les achète à 3 ans et qu’on les vend à 7 ans, on sait ce qu’ils ont fait, comment ils ont grandi, comment on les a travaillés et à quel client ils peuvent convenir ».
Etienne Robert
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