Au nom du père
A chaque début de printemps et il sera vite là , comment ne pas éprouver de l’empathie envers les éleveurs ? L’offre en étalon est pléthorique, les techniques de fécondation multiples. Existe-t-il une démarche logique qui guidera l’éleveur dans ses choix ? Nous avons demandé son avis à Frédéric Neyrat, vétérinaire gynécologue équin, éleveur (affixe Bel) et étalonnier avec son fils Sébastien (Béligneux le haras).



Les éleveurs surtout les amateurs sont en effet désemparés. A défaut d’une méthode scientifique éprouvée, adopter un cheminement rationnel évitera bien des déceptions et permettra souvent d’atteindre l’objectif visé. A l’éleveur, de définir son objectif d’élevage, de bien connaître la jument, d’apprendre à classer objectivement la valeur des étalons. De ce travail, découleront des accordailles assez rationnelles.



Ces deux premières étapes sont personnelles à chaque éleveur alors que la catégorisation des étalons est d’une portée générale d’intérêt collectif. Commençons donc par ce dernier sujet.



Pour l’éleveur, un étalon, du nez aux talons, est un brin d’ADN immuable dont une moitié sera transmise à sa progéniture. Une transmission plus ou moins facile selon la fertilité de l’étalon et la technique de fécondation utilisée. ADN et Fertilité : Quelle connaissance avons-nous de ces deux paramètres ?



Question ADN, la génomique chez le cheval de sport est balbutiante. Les éleveurs, les studbooks en sont réduits à utiliser les trois testages traditionnels.

1. Le testage sur ascendance qui part de l’hypothèse que les meilleurs reproducteurs sont issus des meilleures lignées maternelles et paternelles. Encore faut-il valider statistiquement cette hypothèse. On peut le faire à partir des bases de données existantes :

• Celles de dimension nationale (Base Sire en France). Elles mesurent les indices sportifs et calculent un Blup assorti d’un coefficient de détermination. Précises, elles comparent la totalité des produits issus d’un même étalon mais se restreignent à un seul pays.

• Celles de dimension mondiale (Horsetelex ou Hippomundo). Elles utilisent la méthode des « black types » ou des sommes gagnées en compétitions internationales. Pertinentes dans un monde désormais globalisé, elles ne comparent que l’Elite de la production de chaque étalon, celle qui concourt en CSI.



Aux statisticiens donc de répondre. Très empiriquement, regardons les meilleurs pères nés avant 2000 : Chacco-Blue, Cornet Obolensky, For Pleasure, Casall, Toulon n’ont pas des souches maternelles d’exception mais quatre d’entre eux sont issus d’un père Chef de Race. Regardons les meilleurs pères nés plus tard : Cartani est fils d’une Championne du Monde, Mylord Carthago est issue d’une Top souche, Clarimo est frère de Cassini 1 et Cassini 2, Comme il faut est fils de Ratina… Est-ce l’effet d’une pression de sélection accrue ? Quoiqu’il en soit, seuls des calculs statistiques sérieux donneront la réponse. Ils restent à financer.



Deuxième question : Peut-on juger a priori de la pertinence du croisement dont est issu un futur étalon ? Hippomundo propose, à partir de l’origine d’une jument, d’extraire les étalons qui ont le mieux produit avec des mères issues du même père. Effort louable. Mais n’est-ce pas là refaire le passé ? Un peu comme le Blup qui incitait à refaire toujours les mêmes croisements.



2. Le testage sur le phénotype et sur les performances :

On parle ici du modèle, des allures, des résultats en compétition, de la longévité sportive.



• Modèles et allures des foals, des mères, des jeunes étalons de 2 ou 3 ans : Existe-t-il une corrélation positive entre ces classements et la qualité future d’un géniteur mâle et femelle ? Ce travail statistique reste à faire, appelons-le de nos vœux. Mon sentiment personnel est qu’il n’existe pas de corrélation positive. Ces concours restent utiles comme vitrine commerciale des studbooks. Ils visent aussi à harmoniser la production.



• Les résultats en compétition sportives :

o De quatre à six ans, il s’agit de formation, pas de compétition. Les classements sont sans intérêt d’autant plus que les jeunes chevaux d’avenir, vite repérés, n’y participent plus désormais.

o Le « Vrai Sport » débute à 7 ans, âge auquel l’élite de chaque génération concourt en compétitions internationales. Ceci va permettre de comparer l’ensembles des jeunes mâles mondiaux.

o Ensuite, la pression de sélection est exacerbée. Empiriquement, la corrélation semble très forte entre la réussite sportive en 160 cm et la réussite comme futur reproducteur. A tel point qu’il est inopérant pour un éleveur de choisir des étalons plus jeunes même si leur saillie est gratuite. Le bon marché est toujours trop cher.



• La longévité sportive : les étalons qui ont sauté haut, souvent, longtemps sont presque toujours des grands reproducteurs : un jugement de vieil étalonnier à valider statistiquement ; rien de plus facile. Haut, c’est 160 cm. Souvent, c’est 25 semaines par an. Méfions-nous des étoiles filantes préparées pour une seule grande échéance annuelle. Longtemps, c’est jusqu’à 16 ans. Tout cela est le gage d’une santé orthopédique inoxydable, d’un tempérament de gagneur et d’un grand respect des barres. Tout ce que l’on souhaite voir transmis à nos poulains.



Reste-donc le Testage sur descendance, celui qui consacrera les meilleurs pères.

Classer les pères en fonction des résultats sportifs de leur progénitures : un Nec Plus Ultra très tardif. D’un étalon qui commence à saillir à 3 ans, on commencera à connaître sa valeur en tant que père de gagnants 7 à 8 ans plus tard. Et encore faut-il qu’il ait sailli un nombre significatif de juments. D’un étalon qui commencera à saillir lors de sa retraite sportive vers 16 ans (For Pleasure, Baloubet, Tinka’s Boy par exemple), on connaîtra leur valeur quand ils auront 26-27 ans, l’âge de leur retraite définitive, implacable horloge biologique.

Ces classements de pères de gagnants existent. Ils sont tous imparfaits et certains plus que d’autres ! Quels critères essentiels devraient-ils respecter ?

• Comparer tous les étalons du monde entre eux puisque désormais leur semence est partout disponible, mondialisée. Ce n’est possible que lorsque leurs produits participent aux mêmes compétitions : le circuit international.

• Connaître le nombre de produits nés de chaque étalon, chaque année, partout dans le monde. Impossible pour la grande majorité des studbooks, c’est « Secret Défense ». On ne connaît que le nombre de produits en CSI, c’est-à -dire l’élite de chaque étalon.

• Comparer les rejetons de ces étalons sur un circuit sportif normalisé : seul le circuit des CSI assure une certaine homogénéité. La FEI communique les résultats sportifs et attribue des points à chaque compétiteur en fonction des sommes gagnées.



C’est à partir de ces données FEI que sont constitués les classements internationaux tels que celui de la WBFSH, d’Horstelex et d’Hippomundo. Comparons-les :



• La WBFSH établit depuis de nombreuses années un classement annuel. C’est peu dire qu’il est très biaisé puisqu’il ne divise même pas le total des points obtenus par l’ensemble des fils et filles de chaque étalon par le nombre de ces fils et filles en compétition. Ainsi, les premiers de ce classement sont toujours depuis des années les étalons qui ont le plus sailli et aussi ceux qui ont sailli dès leur plus jeune âge. Ce classement, s’il avantage les plus gros étalonniers européens à la force de vente considérable, n’est pas loyal ni pour les éleveurs, ni pour les autres gestionnaires d’étalons.

• Horstelex adopte une stratégie beaucoup plus pertinente pour classer les pères de gagnants. Tout d’abord, le nombre de points obtenu par les produits d’un même étalon est divisé par leur nombre en compétition ; c’est bien la moindre des choses. D’autre part, Horsetelex classe les étalons en fonction de l’âge de leurs produits les plus âgés. On ne peut en effet comparer un père dont les produits les plus âgés ont 8 ans et ceux dont les produits les plus âgés ont 16 ans. D’où l’existence de la Classe A (tous âges confondus), B (produits de moins de 16 ans), C (moins de 13 ans)... Enfin, Horstelex ne prend en compte que les étalons ayant un nombre minimum de produits en compétition : 100 chevaux pour la Classe A, 80 pour la Classe B… un nombre qui reste assez arbitraire. Hippomundo adopte une méthode assez comparable.



On comprend donc les intérêts multiples de ces deux derniers types de classements pour l’éleveur. Ils lui permettront d’affiner ses choix d’étalons. Ils lui permettront de voir quels jeunes pères émergent dans les Classe réservées aux pères de Jeunes Produits. Il aura même le loisir de trier par lui-même les critères de sélection afin de se faire une idée encore plus précise.



Restera donc ensuite à l’éleveur à chercher à connaître la fertilité réelle des étalons qu’il a présélectionné ; une méthode qui fera l’objet d’une seconde partie dans notre prochaine édition.

Propos recueillis par ER

Vous devez être membre pour ajouter des commentaires. Devenez membre ou connectez-vous