Au paradis des chevaux
(en ligne le 29 février 2008) C’est une hécatombe. Le mois de février a été d’une extrême cruauté pour le monde du cheval et le monde des arts
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Décès de Philippe Barbié de Préaudeau, contrôleur général des Haras nationaux (au temps de leur splendeur), spécialiste reconnu des races orientales, et auteur de deux ouvrages qui, aujourd’hui encore, font référence : ‘‘Chevaux d’Europe’’ (Editions du Perron, 1991) et ‘‘Le cheval arabe’’ (Jaguar, réédition en 2002).
Disparition, au terme d’une longue maladie, d’une longue souffrance, de Alec Wildenstein - fils de Daniel, petit-fils et arrière petit-fils de grands marchands de tableaux et de grands amateurs de chevaux.
Mort, enfin, d’un des écrivains français les plus connus à l’étranger, pape de ce qu’il a appelé lui-même le Nouveau Roman, et vrai-faux membre de l’Académie française, Alain Robbe-Grillet.
Je me sentais lié à ces trois personnages éminents par des amitiés, réciproques ou non, ou des affinités profondes, dûes à notre passion commune pour le cheval.
La moins connue, la plus secrète est celle de l’écrivain, qui, pourtant, ne faisait guère mystère de ses (autres) fantasmes : les (très) jeunes filles, en particulier. Une fois, dans un de ses films, il se débrouilla pour associer les deux, ligotant une donzelle (nue, évidemment) sur le dos d’un cheval, féminisant ainsi le mythe Mazeppa.
Pour mesurer l’attirance esthétique qu’exerçait sur Robbe-Grillet les chevaux, il faut lire un magnifique passage des ‘‘Derniers jours de Corinthe’’ (Minuit, 1994), dans lequel il décrit des animaux tout droit sortis des albums de Michèle Le Braz : d’énormes chevaux bretons, des bêtes « quasi géantes, dont j’avais pris d’abord les solides reins et garrots pour de la pierre parmi les pierres. »
Lorsque, voulant réparer une injustice, je me lançai dans l’édition d’un beau livre consacré - pour la première fois en français - au peintre « très-anglais » du cheval George Stubbs (Favre, 2002), c’est tout naturellement Alec Wildenstein que je sollicitai pour en rédiger une présentation. « En me demandant une préface, écrivit-il alors, l’éditeur pressentait à coup sûr qu’il comblerait les goûts, et du marchand d’art, et du propriétaire de chevaux. »
Exact, mais nous avions en partage bien d’autres attirances, bien d’autres sentiments : l’amour de l’Afrique (de ses différentes résidences, c’est celle du Kenya qu’il préférait), l’amour de la Russie (que lui fit découvrir sa jeune épouse) et, par-dessus tout, l’amitié que nous portions tous deux à Dominique Giniaux.
Je m’en souviens comme si c’était hier. Mai 2004. Nous assistions tous deux à l’enterrement du génial vétérinaire et du merveilleux ami qu’avait été Dominique. Alec, les yeux embués de larmes, s’était penché vers mon oreille : « Pour moi, la vie ne sera plus comme avant » avait-il chuchoté.
Sa vie « après » aura duré moins de quatre ans, hélas. Les deux amis se sont retrouvés, n’en doutons pas, dans un paradis peuplé de joyeuses et fringantes cavales, que contemplent aussi, avec un œil (expert) Philippe Barbié de Préaudeau, et d’un œil (égrillard) Alain Robbe-Grillet.
Jean-Louis Gouraud
Disparition, au terme d’une longue maladie, d’une longue souffrance, de Alec Wildenstein - fils de Daniel, petit-fils et arrière petit-fils de grands marchands de tableaux et de grands amateurs de chevaux.
Mort, enfin, d’un des écrivains français les plus connus à l’étranger, pape de ce qu’il a appelé lui-même le Nouveau Roman, et vrai-faux membre de l’Académie française, Alain Robbe-Grillet.
Je me sentais lié à ces trois personnages éminents par des amitiés, réciproques ou non, ou des affinités profondes, dûes à notre passion commune pour le cheval.
La moins connue, la plus secrète est celle de l’écrivain, qui, pourtant, ne faisait guère mystère de ses (autres) fantasmes : les (très) jeunes filles, en particulier. Une fois, dans un de ses films, il se débrouilla pour associer les deux, ligotant une donzelle (nue, évidemment) sur le dos d’un cheval, féminisant ainsi le mythe Mazeppa.
Pour mesurer l’attirance esthétique qu’exerçait sur Robbe-Grillet les chevaux, il faut lire un magnifique passage des ‘‘Derniers jours de Corinthe’’ (Minuit, 1994), dans lequel il décrit des animaux tout droit sortis des albums de Michèle Le Braz : d’énormes chevaux bretons, des bêtes « quasi géantes, dont j’avais pris d’abord les solides reins et garrots pour de la pierre parmi les pierres. »
Lorsque, voulant réparer une injustice, je me lançai dans l’édition d’un beau livre consacré - pour la première fois en français - au peintre « très-anglais » du cheval George Stubbs (Favre, 2002), c’est tout naturellement Alec Wildenstein que je sollicitai pour en rédiger une présentation. « En me demandant une préface, écrivit-il alors, l’éditeur pressentait à coup sûr qu’il comblerait les goûts, et du marchand d’art, et du propriétaire de chevaux. »
Exact, mais nous avions en partage bien d’autres attirances, bien d’autres sentiments : l’amour de l’Afrique (de ses différentes résidences, c’est celle du Kenya qu’il préférait), l’amour de la Russie (que lui fit découvrir sa jeune épouse) et, par-dessus tout, l’amitié que nous portions tous deux à Dominique Giniaux.
Je m’en souviens comme si c’était hier. Mai 2004. Nous assistions tous deux à l’enterrement du génial vétérinaire et du merveilleux ami qu’avait été Dominique. Alec, les yeux embués de larmes, s’était penché vers mon oreille : « Pour moi, la vie ne sera plus comme avant » avait-il chuchoté.
Sa vie « après » aura duré moins de quatre ans, hélas. Les deux amis se sont retrouvés, n’en doutons pas, dans un paradis peuplé de joyeuses et fringantes cavales, que contemplent aussi, avec un œil (expert) Philippe Barbié de Préaudeau, et d’un œil (égrillard) Alain Robbe-Grillet.
Jean-Louis Gouraud
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