Blup, classement WBFSH : des indicateurs à relativiser
Tribune
Cet automne, le Blup tente un come-back sous l’impulsion de son mentor Luc Tavernier.
Autres instruments disponibles, le classement WBFSH des meilleurs pères de gagnants internationaux et le classement des pères de gagnants sur le Circuit SHF sont eux beaucoup utilisés par les étalonniers pour promouvoir leurs protégés.
Ces trois classements sont-ils crédibles ? Sont-ils légitimes pour guider les éleveurs dans leurs choix de croisement ?
Le Blup, instrument de mesure satisfaisant pour les esprits cartésiens, présente un inconvénient majeur: Il est resté franco-français et n’a pas pris le train de la mondialisation qui prévaut désormais dans le sport et l’élevage (commerce intense de chevaux de sport, de semence, de reproducteurs). Pour que le Blup présente un réel intérêt, les stud-books et les fédérations sportives des grands pays équestres doivent s’échanger toutes leurs données : nombre de produits nés par étalon, gains en compétitions des produits… Sans cela, point d’avenir pour le Blup : souvenez-vous de Baloubet du Rouet, trois fois vainqueur de la Finale de la Coupe du Monde qui était crédité d’un Blup ridicule parce qu’il était stationné en Belgique !
Cette lacune est suffisante pour ranger le blup au rang des accessoires et évite d’avoir à disserter longuement sur ses autres effets pervers lorsqu’il est utilisé comme instrument de sélection pour le cheval de sport.
Le Classement mondial des étalons pères de gagnants est calculé par la WBFSH (l’association mondiale qui regroupe les principaux stud-books de chevaux de sport) à partir de données fournies par la FEI. Le classement des pères se fait par simple addition des points obtenus par leurs produits sur le circuit international. C’est le même calcul que fait la SHF lorsqu’elle publie le classement des pères de gagnants du circuit Jeunes Chevaux français.
Ce classement WBFSH a le mérite d’être mondialisé mais il a deux inconvénients majeurs :
• Il ne prend en compte que les résultats en CSI. Comment comparer valablement des pères entre eux si l’on ne compare que le gratin de leur production ? Pour hiérarchiser les pères, il est tout aussi important de connaître les résultats des plus mauvais produits que de connaître les résultats des meilleurs. Simple logique statistique.
• Deuxième inconvénient : Comment comparer des pères si l’on ne connaît pas le nombre de produits nés pour chacun d’eux ? Un exemple : Un père X qui fait naître une année 50 produits dont 10 s’avèreront capable de tourner en CSI (soit 20 % de la classe d’âge) est logiquement bien meilleur qu’un étalon Y qui aurait fait naître 300 poulains la même année et qui en aurait 30 qui tournent en CSI (soit 10 % de sa classe d’âge). Et pourtant, dans le classement WBFSH, l’étalon Y se verra attribuer beaucoup plus de points et sera donc bien mieux classé que l’étalon X !
Illustrons cela par l’étude des 12 premiers du classement WBFSH 2013 :
o Kannan (2e), Heartbreaker (4e), Diamant de Sémilly (5e), Cornet Obolenski (6e) Darco (7e) Numero Uno (9e), Contendro (10e) saillirent beaucoup de juments (plusieurs centaines de juments par an, jusqu’à 600 pour Cornet) pendant leurs premières années de monte. Un grand nombre de poulains naquirent, ce qui leur donna un avantage considérable pour bien figurer au classement. Ceci d’autant plus que le prix de saillie était élevé et donc que leurs juments étaient globalement meilleures que la jument moyenne.
o Baloubet (1er), Quick Star (3e), Mr Blue (8e), For Pleasure (12e) ont fait peu, voire très peu de poulains pendant leurs premières années de monte et même pendant toute leur carrière d’étalon pour certains. Leurs excellentes places n’en ont donc que plus de mérite. A ce propos, donnons une mention toute spéciale à Cumano (25e au classement WBFSH !!) qui a très peu produit et a un pourcentage exceptionnel de grands gagnants en CSI. Au classement pondéré, il décrocherait sans doute une excellente place.
Le classement WBFSH trop simpliste ne reflète donc pas la réalité. Pour le rendre plus crédible, il faudrait diviser le nombre total de points obtenus par le nombre de poulains nés et en âge de participer à des compétitions nationales et internationales. La WBFSH étant une association de stud-books, ces informations ne devraient pas être difficiles à obtenir.
Le classement des pères du circuit SHF cumule les gains des 4, 5 et 6 ans. Imaginez un jeune étalon dont les 4 ans représente sa première année de production; comment peut-on le comparer à un étalon plus âgé qui a des 4, 5 et 6 ans sur le circuit sachant que les 5 et 6 ans gagnent beaucoup plus d’argent que les 4 ans. Il faut faire un classement par gain moyen par produit pour chacune des générations : les 4 ans, les 5 ans, les 6 ans.
Les éleveurs doivent donc se défier de tout marketing basé sur les résultats de ces classements WBFSH et SHF ; il n’est pas loyal.
Blup incompétent, Classements WBFSH et SHF biaisés : comment obtenir une information claire en particulier lorsque des étalons déjà testés sur descendance dans leur pays d’origine sont importés en France en fin de carrière? Ce n’est pas évident sauf… à se renseigner sur l’évolution du nombre de juments saillies dans les trois dernières années avant son importation ? Ainsi les éleveurs hexagonaux sauront dans quelle estime les éleveurs du pays d’origine tiennent désormais l’étalon concerné. Et cela évitera aux éleveurs français de refaire tout le travail de testage sur descendance qui a déjà été réalisé par les éleveurs du pays d’origine surtout si celui s’est avéré décevant. Solidarité sainte entre éleveurs frontaliers !
Une telle transparence participera à éviter certains effets de mode irrationnels auxquels on a assisté ces dernières années. Des effets de mode qui auront des effets désastreux pour l’élevage en général par l’appauvrissement de la diversité génétique qu’ils vont provoquer au sein d’un stud-book. Des effets de mode qui auront des effets désastreux pour chaque éleveur : combien se vendra le 350e poulain de l’étalon qui a sailli 600 juments l’année précédente ? Les acheteurs potentiels auront beau jeu de faire jouer la concurrence.
Qu’en conclure : que l’éleveur doit « raisonner son croisement » et que les stud-books doivent savoir « raison garder ».
• Raisonner un croisement, c’est pour un éleveur savoir reconnaître l’étalon jeune ou vieux qui a un « physique », de la force derrière, de l’équilibre, du respect et la volonté de le faire. Point n’est besoin pour cela de nombres et de classements. C’est aussi choisir l’étalon complémentaire de sa jument… Un travail passionnant à faire avec des étalonniers soucieux d’apporter transparence et conseils avisés…
• Savoir raison garder, c’est pour un stud-book limiter les phénomènes de mode irrationnels rendus possibles par un marketing outrancier et par les techniques modernes de reproduction (1000 juments inséminables chaque saison avec la semence d’un même étalon). Pour cela, les stud-books doivent imposer des quotas de naissance par étalon : 200 naissances par an et par étalon (soit environ 350 saillies) semblent un nombre raisonnable qui concilie les intérêts des éleveurs, des stud-books et des étalonniers.
Eleveurs, étalonniers exerçons une activité passionnante et porteuse de valeurs en particulier celles du respect mutuel et du travail en commun. Il faut s’y tenir.
Dr Frédéric Neyrat
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