Carnet : Marion Scali
Oui, c’est vrai : elle avait mauvais caractère. Mais j’aimais son mauvais caractère. Car il dissimulait (mal) des trésors de gentillesse, d’enthousiasme et, par-dessus tout, d’intelligence.

Cela peut paraître paradoxal (ça l’était en effet), Marion Scali, sous des dehors parfois agressifs, possédait en réalité d’énormes réserves de tendresse. Si elle en faisait une distribution parcimonieuse à ses semblables, elle les dépensait sans compter pour les chevaux, auxquels elle a voué une bonne partie de sa vie personnelle.

Sa vie professionnelle était pourtant bien remplie. Journaliste au Nouvel Observateur, avant d’entrer au Libération de la grande époque où elle devint une passionnée et une bonne spécialiste du théâtre et des arts vivants, elle poursuivit sa carrière au sein du numéro 1 de la presse dite féminine, Elle.

Marion possédait une facilité d’écriture impressionnante, et une capacité de synthèse qui lui permettaient de ficeler en un instant des articles à la fois documentés, précis et agréables à lire.

Mais c’est dans le journalisme équestre, auquel elle s’adonna après avoir quitté Paris (pour pouvoir monter à cheval) et ce qu’on a coutume d’appeler « la grande presse », que Marion donna sa pleine mesure, laissant éclater son talent, sa drôlerie et, lorsqu’on lui en donnait l’occasion - ce qui est assez fréquent dans le monde du cheval - sa férocité.

Le problème avec Marion, c’était que, si souvent elle attaquait (les imbéciles, les incompétents, les charlatans), elle-même était inattaquable. Ses compétences étaient reconnues, y compris par ceux qu’elle n’épargnait pas. Afin de bien prouver qu’elle n’était pas qu’une cavalière du dimanche, Marion avait tenu à passer son monitorat. Elle s’était nourrie de la fréquentation assidue des grands maîtres. À plusieurs d’entre eux (Baucher, Danloux, Caprilli, Oliveira) elle a consacré des ouvrages très pédagogiques, publiés dans une collection au titre explicite : « Les grands maîtres expliqués » (éd. Belin). Sa compréhension de l’équitation, sa culture équestre n’étaient pas seulement livresques : elles devaient beaucoup aussi à sa proximité avec des hommes de cheval aussi différents et aussi éminents que le général Durand ou le docteur Pradier, ses véritables maîtres, ainsi qu’avec des praticiens dont elle admirait le savoir-faire, comme Nicolas Blondeau, Francis Rebel ou Adeline Wirth, avec laquelle elle entretenait des liens d’amitié anciens et profonds.

Adeline et Marion ont co-signé un petit livre formidable, que je suis extrêmement fier d’avoir publié dans la collection que je dirige aux éditions du Rocher : « Le jour où les chevaux parleront » (2007). Marion s’y livre à un exercice de haute école littéraire, faisant parler un cheval (le sien, sans doute, son cher et difficile Matinée Lover, un pur sang en fin de course que lui avait confié Bartabas), qui pestifère contre les hommes, ces étranges bipèdes qui ne cessent de l’embêter avec leurs exercices, leurs exigences et leurs lubies. C’est irrésistible : drôle, cruel… et juste.

Irrésistibles aussi, ses chroniques parues dans « Cheval pratique », le magazine équestre auquel elle réservait sa collaboration : si drôles, si cruelles et, là encore, si justes que je n’ai pas pu résister au plaisir de les réunir dans un recueil au titre très marionscalien : « En équitation, le problème ce n’est pas le cheval, c’est le cavalier » (éd. Favre, collection caracole, 2012).

Oui, c’est vrai : Marion avait mauvais caractère. Mais j’aimais son mauvais caractère, j’aimais sa franchise, j’admirais son courage.

Courage dont elle a fait preuve dans la gestion de sa longue maladie, dans la discrétion et la dignité.

Mon amie Marion était une grande dame.

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