Ces organisateurs qui disent « stop »
Certes, ne l'occultons pas, boucler un budget n'est jamais simple, surtout quand les organisateurs touchent la sphère des concours les plus étoilés. A l'image de La Courneuve cette année ou encore de Nantes, l'incertitude financière qui planait sur la compétition a fait fléchir les organisateurs, à l'image de Philippe Ollieric, président du CSI 3* nantais : « Malgré tout notre savoir faire et le soutien des collectivités territoriales, nous n'avons pas réussi à boucler le budget », explique l'organisateur. Puis il développe : « C'est surtout au niveau des partenaires privés que le manque s'est fait ressentir ». Sur un coût global d'environ 500 000 €, il manquait environ 100 000 € et, comme le dirait Philippe Ollieric « Ce n'est pas notre philosophie, d'une part faire des ardoises, et d'autre part de faire des concours où à la fin les cavaliers ne sont pas payés »...
Mais s'il n'y avait que le côté financier, cela irait encore. Ce qui semble décourager les organisateurs ce sont surtout les lourdeurs administratives. A Nantes, par exemple, le fait de devoir rajouter 3 000 €, comme le demande soudainement la FEI, aux épreuves comptant pour la ranking list : « Cela nous a pris de court. Nous avions quatre épreuves à 20 000 €, alors faites le calcul. Même si ça paraît anecdotique, comme ça, cela n'a fait qu'augmenter notre découragement ». Pourtant, il faut noter que ce ne sont pas les dotations qui posent le plus de problème, 120 000 € dans ce cas, dont 60 000 € qui se financent avec les engagements. Ce fut une goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Car les cahiers des charges deviennent de plus en plus lourds mais « en contre-partie les engagements ne bougent pas d'un iota » explique le Nantais. « Comptez 400 € l'engagement, boxe paillé pour le 3*, 250 pour le CSI féminin et pour les jeunes chevaux. Ajoutez à cela un soutien de notre fédération qui n'est qu'anecdotique à ce niveau-là  : 1 000 €. Même s'il est vrai que le fait d'intégrer le circuit fédéral France International nous avait permis une visibilité médiatique plus large », reconnaît l'organisateur.
Un découragement global
« C'est une accumulation de choses qui me fait dire, à moi et à mon équipe, qu'il n'y aura plus jamais de CSI à Verquigneul », affirme de façon déterminée Bernard Lesage. Pourtant pas de problème financier, de ce côté ça va, mais en dix ans, il a vu évoluer les choses, et pas dans le bon sens. « C'est vrai, nous somme à 30 km de la frontière belge, du coup beaucoup d'étrangers viennent à notre concours, et on s'en réjouit. D'ailleurs à l'origine c'était bien pour que nos amis de l'autre côté de la frontière viennent passer un bon moment à la maison que nous avions, il y a 10 ans déjà , organisé un international ». Seulement aujourd'hui, envolé cet esprit de chaleur et d'amitié. Pas du côté des organisateurs, bien entendu, mais des instances fédérales. En tout cas c'est ce qu'elles laissent comprendre par leur rigidité : « Avec un calendrier fourni », reprend Bernard Lesage, « il faut pouvoir s'intercaler. Et encore, une fois que vous avez une date, rien n'est gagné. Nous devions avoir lieu là , à la mi-juillet. Mais avec le GCT de Chantilly, les Championnats de Fontainebleau et Moorsele (CSI qui pour finir a également été annulé car seule une centaine de demandes avait été faite) nous n'avions « que » 230 demandes, sur les 250 habituelles. Ajoutez à cela environ 10% qui ne viennent pas, soit un total de 220 chevaux au final. Nous avions donc décidé, si la FEI était d'accord, de ne pas faire 3,5 jours de compétition mais de retirer une demi-journée. Histoire d'alléger un peu notre équipe. Et bien ce fut un non catégorique, aucune tolérance ne nous a été accordée. On a trouvé ça un peu fort ». Et du coup le Nord, mais plus généralement la France perd définitivement un CSI doté de 70 000 € et peut-être même un autre, celui de Nantes, si d'ici au mois d'octobre 80 000 € ne sont pas trouvés.
Une pagaille calendaire
Tout le monde fait ce qu'il peut, la FFE en premier, on n'en doute pas. Et on n'est pas là pour dire le contraire. Mais à entendre les organisateurs, penser et poser une date (premier élément essentiel quand on décide de faire une compétition), c'est vraiment compliqué. Sans compter que certains concours, comme le dernier concours de Fontainebleau, a été repoussé d'une semaine et que d'autres apparaissent au calendrier FEI, sans avoir crié gare. A Metz, par exemple, le CSI est réputé et toujours très disputé (en 2010 la venue de Jos Lansink est tout de même à faire remarquer). Mais aucune date n'a fait l'affaire au final : « Nous avions posé des dates jusqu'en septembre, en connaissant alors les risques que nous prenions avec la météo. Nous avons essuyé plusieurs refus à cause notamment d'autres concours qui ne voulaient pas nous avoir en face, et ce alors même que nous ne sommes pas voisins », explique Nelly Rulquin, la coorganisatrice avec Nathalie Dumartin. « La date du dernier week-end de juillet a, pour finir, été retenue cette année, mais malheureusement nous ne pouvons pas lutter contre un autre gros évènement (Mondial Air Ballon, rien à voir avec les chevaux ndlr) qui se déroule toutes les années impaires en Moselle et qui mobilise la plupart de nos sponsors habituels. Le concours n'aurait, alors eu aucune visibilité ». Toute l'équipe du CSI de Metz-Jouy pense donc à en faire un rendez-vous tous les deux ans, comme Bruxelles, un autre concours qui n'aura pas lieu cette année.
Ras le bol général d'une génération aux manettes des concours depuis plusieurs décennies ou tout simplement de la difficulté de s'imposer quand on n'est pas une usine à concours, il semblerait en tout cas qu'une certaine lassitude se soit emparée des organisateurs de concours. Alors même que les cavaliers qui participent à ces rendez-vous français sont parmi les leaders mondiaux. Ce n'est jamais le sport qui est ici remis en cause, mais la dure réalité d'un marché économique régi par des instances peut-être trop rigides et qui fait dire aux organisateurs :
« Faire des concours oui, mais pas à n'importe quel prix ».
Alix Thomas
Quelques repères financiers
- La FFE prélève 4.80 € par engagement en compétition. (Lors d'un CSI ce n'est valable que pour les Français).
- Plus d'un million d'engagements ont lieu chaque semaine (source : les statistique de la FFE).
- La FEI prélève à la source (environ) 7% des dotations du CSI.
- Lors d'un CSI, la présence d'un vétérinaire agréé Fei, d'un juge étranger, d'un Stewart représentent une dépense de 1 000 €/personnes environ.
- Louer un boxe revient approximativement à 40 € HT pour les organisateurs.
Témoignages
Frédéric Rivet, Aix-Meyreuil (13)
« Il y a beaucoup de concours et le contexte économique est plus bas qu'avant. Au niveau des concours que nous proposons régulièrement, les concours Amateurs, on trouve moins de partants car il y a aujourd'hui moins de place pour le loisir. La seule solution pour que les concours soient en équilibre, c'est d'éviter le plus possible que de bons concours tombent les uns en face des autres à cent kilomètres d'écart. Si c'est le cas, les organisateurs sont contraints de se partager la demande. L'annulation des gros concours est, je pense, due au fait qu'ils ne sont pas suffisamment protégés. Il faut absolument qu'on se mobilise de façon à ce que l'équitation de haut niveau soit préservée et qu'il y ait un maximum de partants. Le Grand National de CSO a été annulé à cause de ce problème : d'autres concours avaient lieu en même temps. J'étais prêt depuis six mois et j'ai été obligé d'annuler pour la première fois depuis trente ans. Ce n'est pas parce qu'il y a suffisamment d'engagés qu'un concours est équilibré et réussi. Nous sommes dans une région défavorisée, il faut qu'on se serre les coudes et qu'on soit solidaires. Chacun organise son concours et se moque de celui d'à côté. Alors cette année, ce qui devait arriver arriva : nous avons tous moins de monde sur nos concours. Il serait temps de se concerter...».
Jacob Legros Montpellier-Grabels (34)
« Il y a aujourd'hui une multiplication du nombre de concours organisés. Faire de la compétition coûte cher et beaucoup de concours sont au choix. Les cavaliers décident de l'endroit où ils se rendent en fonction de la qualité des structures. A Montpellier-Grabels, nous nous décarcassons pour que l'accueil du public soit le plus confortable possible en améliorant toujours les lieux (travaux de rénovation) et en mettant l'accent sur l'aspect festif : restauration, soirées à thèmes... Jusqu'à présent, nous n'avons pas rencontré de difficultés au point d'annuler, peut-être grâce à ces atouts que nous mettons en œuvre ? Je pense que les organisateurs qui sont contraints d'annuler leur concours faute d'engagés n'ont peut-être pas su remettre en question leur structure. C'est pour palier le problème du manque d'engagés que j'ai fait créer le Languedoc Tour dans la région Languedoc-Roussillon. Le circuit est attractif sportivement, avec de beaux gains à la clé. Cela a permis de fidéliser les concurrents et d'en attirer de nouveaux.
Par ailleurs, je crois qu'il est de nos jours impossible d'organiser un concours uniquement Amateur ou Pro. Des écuries entières se déplacent, la plupart du temps des cavaliers professionnels accompagnés de leurs élèves amateurs. Il faut donc qu'il y ait, sur un même concours, des épreuves pour tous ».
Christian Chambon, Berre l'Etang (13)
« Un faible nombre d'engagés est un motif fréquent d'annulation. Il faut une certaine quantité d'engagements pour couvrir les dotations d'un concours...A La Sabretache, cela ne nous est pas arrivé d'annuler. Nous visons avant tout l'aspect sportif, même si nous ne faisons pas de bénéfices. Nous maintenons nos concours pour les partants qui nous ont réservé leur week-end. Notre philosophie : nous avons pris un engagement en proposant un concours, alors nous nous y tenons par respect pour les cavaliers inscrits. Il y a dans la région un grand nombre de concours avec un gros potentiel d'organisateurs. Les cavaliers ont le choix et ils trient en fonction de la notoriété des clubs et des pistes. Les terrains Bord sol attirent plus de cavaliers que les pistes en sable. La qualité du terrain joue beaucoup. Nous nous efforçons donc d'améliorer la piste afin de faire plaisir aux cavaliers qui sont alors contents de voir que l'organisateur fait des efforts. En tant que petit club, nous avons du mal à faire face aux grands organisateurs, c'est notre principale difficulté. Nous devons choisir nos dates de concours stratégiquement. Mais quand de grands organisateurs rajoutent un concours en même temps que le nôtre alors qu'ils n'étaient pas présents à la réunion de la Fédération, c'est dommage... ».
Propos recueillis par Florence Amaudric du Chaffaut
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