Championnat du Monde de Complet : tomber de haut
Situé dans la caldera du volcan Albain au sud de Rome, Pratoni del Vivaro est sans conteste le plus beau terrain de complet au Monde, un terrain de jeu idéal pour un championnat planétaire. Au cœur des installations équestres de la fédération italienne le site avait déjà accueilli les plus prestigieuses compétitions : les JO de 1960, les championnats d’Europe (1995 et 2007) et les jeux équestre mondiaux (1998). A chaque fois il y avait eu des Français sur le podium, ça n’aura pas été le cas cette fois-ci.
Les choses ont commencé à mal tourner dès le dressage avec une 6e place par équipe dans un classement très prévisible : la Grande-Bretagne en tête et un Michael Jung dominant le débat sur un score décoiffant de 81,2 % ! Chez les bleus seuls Thomas Carlile/Darmagnac de Beliard comptaient parmi les 20 premiers. Grosse déception pour Nicolas Touzaint relégué dans le dernier tiers du classement avec un Absolut Gold peu coopératif. Tout le monde comptait se refaire sur le cross point fort habituel des ouailles de Thierry Touzaint… peut-être un excès de confiance.Â
La piste dessinée par le local Guiseppe della Chiesa n’était pas du goût des cavaliers : trop de dévers sur une distance encore plus courte qu’à Tryon pour le même nombre d’efforts. Au final avec 57 % de couples sans pénalité aux obstacles et 13 % dans le temps imparti, le cross italien a été moins déterminant qu’attendu. Il a juste cueilli quelques vedettes et nos meilleurs espoirs tricolores. Pas facile de respecter un contrat de foulées après la descente vertigineuse du N°7. Astier Nicolas et Alertamalib’Or, pourtant choisis comme ouvreurs pour leur fiabilité, en ont fait les frais de la même manière que les médaillés de Bronze à Tokyo Andrew Hoy/Vassily de Lassos ou encore Laura Collett/London 52 seconds du dressage. Deuxième Français à partir, Thomas Carlile déroulait le parcours parfait jusqu’au coffin (n°19) où Darmagnac dérobait le dernier élément, mettant son cavalier à terre. Coup dur. Mais Gaspard Maksud et Zaragoza ont remis du baume au cœur de l’équipe en dominant leur sujet sans aucune pénalité. Impressionnant pour une première sélection en équipe de France. Première aussi pour notre cavalière individuelle Cyrielle Lefevre qui ne perdait que 4 secondes avec le puissant Armanjo Serosah. Dernière cartouche, Nicolas Touzaint et Absolut Gold avaient pour mission de maintenir l’équipe de France à flot. Ils l’ont au contraire fait sombrer en chutant sur le numéro 16. La faute à pas de chance. « On tombe de haut » confiait Thierry Touzaint qui se consolait avec la présence du bizut de l’équipe dans le top ten d’un classement provisoire toujours dominé par Michael Jung, sans pénalité de temps malgré le choix de deux options longues.
Des barres qui tombent
Le jumping a également joué son rôle avec la technicité d’un Grand Prix comme l’affirmait Patrice Delaveau. Avec 18 % de sans faute il a été plus sélectif qu’à l’accoutumée avec un réel impact pour les meilleures places. Astier Nicolas et Cyrielle Lefevre sortaient de piste avec trois barres chacun. Au final ils sont cinq a n’avoir pris aucune pénalité sur le cross et le CSO : Julia Krajewski/Amande de B’Neville (Allemagne), Tim Price/Falco (Nouvelle Zélance), Rosalind Canter/Lordships Graffalo (Royaume Uni), Ariel Grald/Leanmore Master Plan (USA) et les plus jeune d’entre eux : Gaspard Maksud (29 ans)/Zaragoza (9 ans). Ces derniers ont amélioré de 3,7 points le meilleur score obtenu pour un Français en championnats du Monde, jusque-là détenu par l’écuyer en chef Thibaut Vallette à Tryon. Gaspard, Mayennais d’origine, était jusque-là peu connu dans l’hexagone puisqu’installé Outre-Manche, l’épicentre de la discipline, à la tête d’une écurie d ‘une douzaine de chevaux au sud de Londres. Une sixième place pour une première apparition chez les bleus qui à coup sûr inaugure une longue série.Â
Plus haut dans le classement cela faisait douze ans qu’une médaille individuelle n’était pas venue récompenser un Néozélandais. Voilà qui est corrigé avec le bronze pour Tim Price un rien derrière Julia Krajewski. Michael Jung lui était à un cheveu de rejoindre Bruce Davidson Senior et Blyth Tait dans la légende des doubles champions du Monde. Avec une barre d’avance il a attendu le second double pour utiliser son joker. A l’abord de l’ultime obstacle il avait sa médaille d’or. En le renversant il perdait toute chance de podium.
Triplé pour l’Allemagne
Par équipe, l’Allemagne s’est imposée confortablement pour la troisième fois de son histoire. Les autres places du podium ont été incroyablement disputées entre les USA, la Nouvelle Zélande et la Grande-Bretagne. Avec le dérobé de Laura Collett sur le cross et les 4 barres du numéro 1 Mondial Oliver Townend, les Anglais pourtant archi favoris restaient au pied du podium à 0,2 points près ! Porteurs de brassards noirs en signe du deuil royal, ils auraient pu faire grise mine s’il n’avaient produit une magnifique championne individuelle. Native de l’Ile de Man, un confetti perdu en mer d’Irlande, Yasmin Ingham, alias Yas est une fille solide et une sacrée cavalière du haut de ses 25 ans. Troisième du dressage avec Banzaï du Loir elle n’a concédé que 3 secondes sur le cross pour finir par un superbe sans faute au CSO. Une revanche sur le 5* du Kentucky où le couple finissait derrière Michael Jung. C’est la première fois qu’un compétiteur individuel remporte un championnat du Monde. Mieux : avec 23,2 points elle y a battu le record du score final obtenu par un Britannique.
Pour revenir au classement par équipes, on a pu voir des cavaliers américains très affutés qui ont monté en puissance depuis Aix-la-Chapelle pour former une « team » très homogène. Troisièmes par équipe après le dressage, ils gagnaient une place après le cross pour ne plus la quitter et finir devant la Nouvelle Zélande. Vingt ans après Jerez, les cavaliers de l’oncle Sam renouent avec les podiums et ce n’est probablement qu’un début.
L’enjeu du classement dépassait celui du championnat qui était la première opportunité de qualification en vue des JO de Paris. Outre la France qualifiée automatiquement en tant que nation hôte, on y verra l’Allemagne, les USA, la Nouvelle-Zélande, la Grande-Bretagne, l’Irlande, la Suède et la Suisse. Il reste encore huit places à pourvoir dont deux qui seront attribuées aux championnats d’Europe du haras du Pin en août 2023. Pour les JO de la XXXIVe olympiade de l’ère moderne à Los Angeles l’avenir de l’équitation est incertain mais il semble que Thomas Bach, le président du CIO présent à Pratoni ait été favorablement impressionné. Croisons les doigts.
Cocorico quand même
Malgré la déroute sportive, les savoirs faire tricolores ont été mis en avant lors de ces championnats, à commencer par Rodolphe Scherer qui en tant qu’entraineur a contribué au succès allemand. Il y a eu aussi Alain Ponsot le constructeur d’obstacle qui a officié sur le cross et puis une fois de plus l’élevage hexagonal a été sur le devant de la scène. Le Stud-book Selle Français aura été honoré tant en quantité avec 12 représentants qu’en qualité avec les deux premières places du podium. Le champion du Monde Banzaï du Loir (Nouma d’Auzay x Gerboise du Cochet par Livarot). Né chez Pierre Gouyé dans la Sarthe l’alezan a été préparé par Axel Coutte jusqu’au Mondial du Lion d’Angers où il termine 4e à 7 ans. Sa cavalière ne tarit pas d’éloges : « C’est le meilleur cheval que j’ai monté et je ne pense pas que j’en aurai un jour un autre comme lui. C’est le cheval de complet par excellence : il est incroyable en dressage ; il a tellement de potentiel et tellement de présence, et il est rapide sur le cross, agile et courageux. » La nouvelle vice-championne du Monde et championne olympique en titre Amande de B’Neville (Oscar des Fontaines x Perle de B’Neville par Elan de la Cour) met à nouveau à l’honneur la production de Jean-Baptiste Thiebot.
Guillaume Grégoire
Â
Gaspard Maksud l’outsider
Originaire de Laval (49), le jeune homme de 28 ans n’a pas toujours pratiqué l’équitation. Jusqu’à ses 11 ans, c’est le rugby qui fait vibrer ses week-ends. « J’ai fini par arrêter car je n’avais pas le gabarit pour ». Du temps se libère dans sa vie. Robert Gehin, professeur au lycée agricole de Laval, possédait des chevaux. Il propose alors au jeune garçon de venir les monter. À 12 ans, il commence à enchaîner les concours. Ses deux chevaux de tête : Johanna du Camp (Turgeon x Night and Day) et Kampfer (Kadalko x Italic). Assez vite, il tente le concours complet et n’arrêtera plus jamais. Sa rencontre avec Cédric Lyard est déterminante.Â
En 2013, il décide de partir à l’aventure en Grande-Bretagne. Dès le début, il est accueilli dans les écuries du Wiltshire chez le monumental Andrew Nicholson, cavalier olympique néo-zélandais. Il y restera un an, puis ira chez Sam Griffiths, ainsi que chez des éleveurs locaux, avant de s’installer à son compte. Basé dans le Surrey, au sud-est de Londres, Gaspard Maksud Eventing est aujourd’hui ouvert depuis 6 ans. Zaragoza est sa jument de tête. Fille de Cevin Z et de Saracen’s Pride par Saracen Hill, elle est arrivée il y a 5 ans sous sa selle. « C’est une jument très dans le sang. Une bonne sauteuse rapide, c’est à 6 ans que son potentiel s’est révélé ». L’année d’après, le couple est deuxième du Championnat d’Angleterre des 7 ans. Elle termine également 10e du Championnat du Monde des 9 ans à Blenheim l’année dernière.Â
« A Pratoni, Mon objectif était de tout de même de finir dans le top 10. Le dressage est le point qu’il faut améliorer. Je suis très satisfait de la jument et de notre Championnat. Maintenant, elle a bien mérité ses vacances. Pour l’année prochaine, étant donné que les propriétaires ne comptent pas du tout vendre, on repartira sur des CCI4* en visant les Europe 2023 au Haras du Pin ».Â
F. P.
Vous devez être membre pour ajouter des commentaires. Devenez membre ou connectez-vous