Chevaux et chevauchées sur grand écran
Certes, ce n’est pas du Kurosawa - mais les amateurs de belles galopades cinématographiques verront tout de même avec plaisir le dernier film de Sergueï Bodrov, ‘‘Mongol’’. On n’y trouve ni le souffle ni la splendeur des mémorables chevauchées
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mises en scène par le Japonais (dans ‘‘Ran’’ et ‘‘Kagemusha’’ en particulier), mais le Russe, malgré tout, a su organiser devant sa caméra quelques belles cavalcades à travers des paysages grandioses. Rien que pour elles, son film vaut le déplacement.
Ceux qui pourtant ne voudraient se déplacer pourront se rabattre sur le DVD qu’un distributeur astucieux a mis en vente le jour même de la sortie en salle de ‘‘Mongol’’. Il s’agit d’un film au titre voisin, ‘‘Nomad’’, tourné dans les mêmes lieux, par le même réalisateur, avec peut-être les mêmes chevaux, et qui raconte à peu près les mêmes histoires.
‘‘Mongol’’ se passe à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle et montre, hectolitres d’hémoglobine à l’appui, comment Temudjin est devenu Gengis Khan. Costumes somptueux et décors (naturels) de rêve.
‘‘Nomad’’ se passe cinq siècles plus tard et raconte comment les Kazakhs (d’appartenance turque), se réclamant de l’héritage de Gengis Khan (d’appartenance mongole), chassent de leur territoire les Dzoungars (d’appartenance mongole). Dit comme cela, c’est un peu compliqué, mais rassurez-vous : sous la caméra de Bodrov, tout devient simple. Les bons tapent sur les méchants et finissent par remporter la victoire.
Ce film de près de deux heures et d’un coût, dit fièrement le texte de présentation, de 40 millions de dollars (!) est, en fait, un film de propagande patriotique, financé par le satrape Nazarbaïev (le président du Kazakhstan), soucieux de doter sa jeune république pétrolière (née de l’effondrement soviétique) d’un passé héroïque, d’une histoire nationale.
Bodrov s’en sort très honorablement, même si ses comédiens, choisis à Hollywood, ont l’air aussi peu kazakhs que les chevaux de ‘‘Mongol’’ n’ont l’air... mongol ! Ce qui n’a rien de très surprenant quand on apprend que les deux films ont été tournés au Kazakhstan où les chevaux, en effet, soumis durant un demi-siècle aux bricolages génétiques de zootechniciens formés à Moscou, ont plus de taille et, il faut l’espérer, plus de vitesse que les gnomes à quatre pattes (« ces gros rats à roulettes », disait Saint-John Perse) que sont les authentiques petits chevaux mongols.
Ceux qui, tout en ne détestant pas la gente équine, ne goûtent guère les charges furieuses, les galopades effrénées, les cavalcades guerrières, pourront se tourner vers un autre DVD, sorti simultanément en magasin, et offrant une sorte d’antidote aux épopées sanguinolentes de Bodrov : le dernier film de Eric Rohmer.
Metteur en scène « historique » (il est né en 1920 et a tourné son premier film en 1950 !), Rohmer éprouve une véritable passion pour les œuvres anciennes, qu’il adapte avec bonheur en utilisant un langage d’aujourd’hui : le cinéma. Dernière transposition (réussie) : celle du fameux roman de Honoré d’Urfé, ‘‘L’Astrée’’ (début XVIIe siècle).
Sorti en septembre dernier sur les écrans, son film, intitulé ‘‘Les Amours d’Astrée et Céladon’’ a été unanimement louangé par la critique : « Une ode à l’art et la vie » s’est exclamé Le Monde; « Une adaptation éblouissante de grâce et de fraîcheur » a surenchéri Le Figaro; « Un coup de génie » a conclu Libération.
L’action (si l’on peut dire) se situe dans une France d’avant la France, où paganisme et christianisme s’entremêlent, et raconte les amours tendres et compliqués de deux éphèbes beaux comme des statues grecques, filmés avec une délicatesse extrême par maître Rohmer.
On est donc ici aux antipodes des façons brutales des Mongols ou des Kazakhs : nul enlèvement, nul viol, nulle décapitation. Pas de flèches qui transpercent le cou du guerrier, de pieu sur lequel on empale l’ennemi, de chevaux qui se renversent sur leur cavalier.
Je me demande même si Rohmer sait vraiment que les chevaux existent. Ou, du moins, s’il sait en distinguer l’avant de l’arrière. Il lui avait bien fallu en utiliser quelques-uns, lors du tournage d’un de ses chefs d’œuvre, « Perceval le Gallois » (1979), mais il s’en était alors totalement remis à feu notre ami François Nadal. Ce dernier, expert en l’art de dresser les chevaux et d’amadouer les piétons avait réussi à convaincre Eric Rohmer de se hisser - entre deux prises - sur une des montures du preux chevalier. Une photo a immortalisé cet événement : nous la reproduisons ici, pour le bonheur (j’espère) des amateurs. On y reconnaît, de gauche à droite : François Nadal (à pied), Eric Rohmer (à cheval) et un de ses comédiens (en armure), hilare.
Jean-Louis Gouraud
Ceux qui pourtant ne voudraient se déplacer pourront se rabattre sur le DVD qu’un distributeur astucieux a mis en vente le jour même de la sortie en salle de ‘‘Mongol’’. Il s’agit d’un film au titre voisin, ‘‘Nomad’’, tourné dans les mêmes lieux, par le même réalisateur, avec peut-être les mêmes chevaux, et qui raconte à peu près les mêmes histoires.
‘‘Mongol’’ se passe à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle et montre, hectolitres d’hémoglobine à l’appui, comment Temudjin est devenu Gengis Khan. Costumes somptueux et décors (naturels) de rêve.
‘‘Nomad’’ se passe cinq siècles plus tard et raconte comment les Kazakhs (d’appartenance turque), se réclamant de l’héritage de Gengis Khan (d’appartenance mongole), chassent de leur territoire les Dzoungars (d’appartenance mongole). Dit comme cela, c’est un peu compliqué, mais rassurez-vous : sous la caméra de Bodrov, tout devient simple. Les bons tapent sur les méchants et finissent par remporter la victoire.
Ce film de près de deux heures et d’un coût, dit fièrement le texte de présentation, de 40 millions de dollars (!) est, en fait, un film de propagande patriotique, financé par le satrape Nazarbaïev (le président du Kazakhstan), soucieux de doter sa jeune république pétrolière (née de l’effondrement soviétique) d’un passé héroïque, d’une histoire nationale.
Bodrov s’en sort très honorablement, même si ses comédiens, choisis à Hollywood, ont l’air aussi peu kazakhs que les chevaux de ‘‘Mongol’’ n’ont l’air... mongol ! Ce qui n’a rien de très surprenant quand on apprend que les deux films ont été tournés au Kazakhstan où les chevaux, en effet, soumis durant un demi-siècle aux bricolages génétiques de zootechniciens formés à Moscou, ont plus de taille et, il faut l’espérer, plus de vitesse que les gnomes à quatre pattes (« ces gros rats à roulettes », disait Saint-John Perse) que sont les authentiques petits chevaux mongols.
Ceux qui, tout en ne détestant pas la gente équine, ne goûtent guère les charges furieuses, les galopades effrénées, les cavalcades guerrières, pourront se tourner vers un autre DVD, sorti simultanément en magasin, et offrant une sorte d’antidote aux épopées sanguinolentes de Bodrov : le dernier film de Eric Rohmer.
Metteur en scène « historique » (il est né en 1920 et a tourné son premier film en 1950 !), Rohmer éprouve une véritable passion pour les œuvres anciennes, qu’il adapte avec bonheur en utilisant un langage d’aujourd’hui : le cinéma. Dernière transposition (réussie) : celle du fameux roman de Honoré d’Urfé, ‘‘L’Astrée’’ (début XVIIe siècle).
Sorti en septembre dernier sur les écrans, son film, intitulé ‘‘Les Amours d’Astrée et Céladon’’ a été unanimement louangé par la critique : « Une ode à l’art et la vie » s’est exclamé Le Monde; « Une adaptation éblouissante de grâce et de fraîcheur » a surenchéri Le Figaro; « Un coup de génie » a conclu Libération.
L’action (si l’on peut dire) se situe dans une France d’avant la France, où paganisme et christianisme s’entremêlent, et raconte les amours tendres et compliqués de deux éphèbes beaux comme des statues grecques, filmés avec une délicatesse extrême par maître Rohmer.
On est donc ici aux antipodes des façons brutales des Mongols ou des Kazakhs : nul enlèvement, nul viol, nulle décapitation. Pas de flèches qui transpercent le cou du guerrier, de pieu sur lequel on empale l’ennemi, de chevaux qui se renversent sur leur cavalier.
Je me demande même si Rohmer sait vraiment que les chevaux existent. Ou, du moins, s’il sait en distinguer l’avant de l’arrière. Il lui avait bien fallu en utiliser quelques-uns, lors du tournage d’un de ses chefs d’œuvre, « Perceval le Gallois » (1979), mais il s’en était alors totalement remis à feu notre ami François Nadal. Ce dernier, expert en l’art de dresser les chevaux et d’amadouer les piétons avait réussi à convaincre Eric Rohmer de se hisser - entre deux prises - sur une des montures du preux chevalier. Une photo a immortalisé cet événement : nous la reproduisons ici, pour le bonheur (j’espère) des amateurs. On y reconnaît, de gauche à droite : François Nadal (à pied), Eric Rohmer (à cheval) et un de ses comédiens (en armure), hilare.
Jean-Louis Gouraud
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