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Claude Joigneau : « les Anglos, je les aime tous »

Un cri du cœur. Quand Claude Joigneau parle des Anglos, le regard s’allume de mille éclairs, les qualificatifs arrivent en cascade au fur et à mesure que les noms des grands de la race franchissent ses lèvres : Nithard, Quatar de Plapé, Uriel E, Kalem, l’Arabe. Même force nimbée de reconnaissance lorsqu’il évoque Jean-Louis Caumont, un homme qui l’a initié à l’Anglo-Arabie.

Un demi-siècle avec les Anglos va défiler lors de notre rencontre. Son accent du Sud-Ouest - il est installé à Bruch dans le Lot-et-Garonne – met de la couleur et du piment à l’histoire. « 500 montes, dit-il, en 54 ans de métier de cavalier et d’éleveur » et un flash comme s’il s’était produit la veille : sa rencontre avec Jean-Louis Caumont en 1966. « Avec lui je suis allé à la station des Haras nationaux à Urt et là, je l’ai vu, il était devant moi, le roi des rois, Nithard, celui qui donna un sens à mon métier de cavalier. Anglo Arabe, ces deux mots ont galopé dans ma tête toute ma vie. Si je n’avais pas rencontré Jean-Louis, ma culture de l’Aglo-Arabie aurait été incomplète. Il fut celui qui, à mes 19 ans, m’a appris la rigueur, le travail physique et mental des chevaux, le dressage, les modèles et les grandes souches. J’ai eu le plaisir de monter au moins 100 poulains pour lui. Je lui dis un très fervent merci ».

De Nithard à Vadrouille d’Avril

« 500 montes, dit-il, depuis ce jour de 1964, à 18 ans, où j’ai débuté dans un club hippique. »

Nous n’allons pas tous les énumérer. Quoique, dans le feu de l’action, le débit s’accélère et les images et les noms aussi.  Nithard, bien sûr, le premier en 1966. Le 15 juillet 1968, à Pompadour, feu Louis Delieux qui fera naître plus tard Quatar de Plapé, lui glisse à l’oreille qu’il connait une jument olympique de 4 ans. « Je fonce au Plapé essayer cette merveille, Uriel E (Bouton d’Or et Jipsy x Djecko) une alezane extraordinaire appartenant à Sylvie Delprat. A Luchon je l’ai qualifiée sur 1 tour pour Fontainebleau. Nous sommes 10e du championnat des 4 ans. Vendue, Nelson Pessoa l’a montée à 5 ans contre les chevaux d’âge en gagnant presque tout. A 16 ans avec Eric Wauters  à Calgary, elle gagne le trophée du meilleur cheval du concours.

En 1971 arrive Dollar II (Fontenoi et Ribote x Nithard) ISO 135. Petit 1,58 m, malin, avec du courage et des moyens. J’ai beaucoup gagné avec lui, j’en garde un grand souvenir. Il est mort à la maison à 29 ans.

En 1975, M. Bruno De Lapeyriere me confie mon premier mâle Frou Frou C, (Fontenoi et Réséna par Nithard) ISO 137. C’était une machine à sans-faute à 4 et 5 ans. Avec Xavier Delalande il gagna le GP de Divonne-les-Bains devant Walter Gabathuler/Harley qui était champion d’Europe.

1976 fut une grande année. Dollar II et un 6 ans Elssondo (Massondo) me font participer au CSI 4* de San Sébastien. Dollar est 4e de la qualif et Elssondo 8e du GP. Ce CSI était pour les Espagnols la dernière ligne droite avant les JO de Montréal. Toujours en 76 je montre pour Jean-Louis une petite merveille de 4 ans, l’arabe Kalem, fils du célèbre Negus II. Stationné par la suite en Bretagne, il a eu une production extraordinaire en quantité et en qualité. Il est enterré au haras d’Hennebont

En juin 1977 j’ai monté au pied levé une jument d’une très grande qualité, Etoile du Béarn (Israêl-Nithard), ISO 163, à X. Ricard. 

En 1978, équipé de Dollar et Etoile du Béarn, j’ai gagné une grande quantité d’épreuves de haut niveau et un titre de champion des Pyrénées pour la jument. A l’occasion de la Coupe du Monde de Bordeaux, nous avons confié Etoile du Béarn à Christophe Cuyer. Elle fut meilleure jument européenne deux ans de suite.

En 1980, en plus de Dollar je dispose de trois 6 ans, Iricho  (Manfred et une mère trotteuse)ISO 141 appartenanr à M. Villeneuve, Ionysos (Dionysos et Stella C x Ourour, Ar)ISO 121 à Melle Behagne, Galloise (Fontenoi et Gardemy x Garde Coeur, Ps) ISO 138 à P.Lagutere. Année formidable, on gagne très souvent, je suis en phase avec mes anglos, je me régale !

En 1981, dans mon écurie de jeunes chevaux, trois très bons 4 ans ; Lion d’Or (Dionysos et Pedante x Hylene) ISO 130 à M. Caryeré, Isis de Béarn (Dionysos et Galanterie B x Nithard) ISO 142 à Daniel Tescari et Votigeur (Flipper, Ar et Réséna x Nithard) ISO 132 à Georges Moutet. Isis de Béarn fut 11e du Grand Critérium des 5 ans et Lion d’Or 14e. Elle deviendra la mère de l’étalon Don Giovani du Bearn.

En 1985, je touche le graal. Georges Moutet achète Quatar de Plapé et me le confie. Il est beau, tout blanc, un modèle de rêve, des allures hors du commun. Nous avons eu des achats mouvementés. Il est acheté premier sur 71 poulains, son numéro de têtière était le 55.

En 1986, j’achète Flina (Flipper Ar et Resena x Nithard), la dernière matrone de l’Adour : petite 1,62 m, de l’os, de l’étendue et d’un modèle rare. 

Cette année 86 arrive un 2 ans, Deux de Cœur (Garde Cœur et Lady Sissie par Taylor) à Georges Moutet. Il fut finaliste à 4, 5, 6 ans à Fontainebleau. En août de ses 6 ans il lui manquait 600 F pour être qualifié. Je l’engage donc dans la 145 de Bazas et je gagne ! Je l’ai monté 6 années. Que du plaisir ». 

Les entiers, c’était le choix de Claude Joigneau qui estime en avoir monté plus de 100. Reste que l’élevage l’intéresse bigrement. Flina, sa jument de concours est donc mise à la reproduction et sous l’affixe d’Avril naissent Brin d’Avril puis en 1990 Cannelle d’Avril, fille de Quatar de Plapé. La jument obtiendra un ISO de 137.

« En mai de la même année, poursuit Claude, je reçois Diapason des Gaves (Samuel et Mélodie des Gaves x Florestan II) né chez F. Lasserre. Splendide étalon anglo à 50%, grand, toisant 1,69 m, puissant, avec de l’os et très fort. A la pesée de Tarbes lors des achats il accuse 690 kg. Qualif des mâles 3 ans à Pau, 1er, Achats de Tarbes en octobre, 1er, et comme par magie non acheté. Le cheval est exporté au Brésil. Aux J.O. de Pékin en 2008 il avait 3 représentants en CCE, cette année-là il est 3e étalon mondial en CCE.  

En 1992 Tonton Joe, fils de Dairin et de Flina (ISO 138 ) à Georges Moutet intègre mes écuries. Il saute comme Deux de Cœur 140-145-150, très bon cheval. Il est le fils de Flina mais sa naissance est antérieure à mon achat de la jument. 

Le temps passe, Cannelle gagne bien sa vie sur les 135-140-145-150. Jument pleine de sang, elle est destinée à la reproduction. La même année je reçois un 4 ans d’enfer ! Daswam, Anglo à 50 %, mâle  (Naswan Ar et Amstel Ps x d’Ori Ps) né chez M. Starace. C’est une merveille. 4-5-6 ans sur un pied. A 7 ans il passe sous la selle de Marie Demonte, qui a 15 ans. Que de grands souvenirs que je garde de ce cheval !

En 1999 Georges Moutet me confie Ivain, mâle par Deux de Cœur et Maldonne x Flipper. Super cheval, plein de force, très technique avec un équilibre parfait.  Inoubliable ! Il obtient un ISO de 140.

En 2002, naissance de Onde d’Avril, fille Fusain de Defey et Cannelle d’Avril x Quatar de Plape. Pouliche magnifique, 1re des foals à Pompadour. A 4 ans, 13 sans-faute sur 14 parcours, ISO 124 à 5 ans, « Très Bon » à Fontainebleau, jument la plus riche en qualifications. A 6 ans elle est 6e de sa génération, ISO 139. 

En 2005 naissance de Rayon d’Avril, mâle par Va Cours Vole et Cannelle d’Avril. Je l’ai gardé entier pour la bonne et simple raison que ce cheval était technique, courageux avec beaucoup d’équilibre. Je l’ai congelé. Il avait un ISO de 134. 

2009 voit la naissance de Vadrouille d’Avril (Popayann et Cannelle d’Avril). Jument hors normes s’il en est. Georges Moutet en a fait l’acquisition. Il l’a confiée à Olivier Robert qui tourne avec elle sur le circuit 5*.

J’ai donné aux Anglos tout mon mental et mon physique, je les aime tous. Beaucoup de plaisir et que de souvenirs ! Je viens modestement d’évoquer cinquante-quatre ans à leur service ». 

Comment voyez-vous l’évolution de cette race ?

« Depuis les années 90 elle faiblit. Il y a plusieurs facteurs qui font que cette race a perdu pied. Il est impossible à l’heure actuelle de reconstituer des souches. Je vais essayer, modestement, de vous expliquer mon point de vue. 

Jusque dans les années 90 nous avons surfé sur des étalons âgés, mais très bons. Par la suite, les mâles achetés jeunes n’étaient pas de grande qualité. Les très bonnes poulinières ont été vendues en Europe et en Amérique Latine. Les éleveurs français de ces années 90 n’ont pas gardé leurs meilleures juments, d’où une qualité moindre de l’élevage. L’exemple de Quatar de Plapé, dédaigné  par les directeurs des HN à l’époque, est édifiant. 

En 1985, 71 poulains étaient présentés aux achats de Tarbes. A partir de 1990, ce fut la fin des grands étalons de 3 ans. L’achat de Fusain du Defey fut le dernier. Les grandes juments font les grands étalons, c’est toujours vrai. En 1988 au Grand National de Pau de la race Anglo-arabe, l’Europe et tous les grands marchands venaient acheter des poulains. Il y avait quatre catégories de juments : 25 %-50 % courses, 25 % et 50 % sport, 100 poulains aux rappels. Nous ne verrons plus cela. La fin des achats de Tarbes et la mort des Haras Nationaux ont fini d’enterrer la race. Et l’Anaa dans tout cela ? Eh bien elle était incapable de peser sur les achats de bons chevaux ou d’aider les éleveurs.

Je viens de parler de Diapason des Gaves. Après le refus des HN, je suis allé voir l’Anaa et à ma grande surprise ils avaient l’air de ne pas se sentir concernés.

En 1975, avec Jean-Louis Caumont nous avons créé le Syndicat National des Anglo-arabes de sport « Anaa ». Nous avions pensé que l’on pourrait influencer les achats d’étalons. Nous nous sommes trompés. Très critiqués, nous avons été obligés de démissionner. Il y a 30 ans j’ai proposé à l’Anaa de favoriser les poulinières à points qui produisaient en race pure. « Oublié ». 

Pour se relever de ce marasme, il faudrait plus de mâles et de juments en compétitions de haut niveau. Les avons-nous ? Le grand problème c’est le pourcentage de sang arabe ! Les Haras et l’Anaa ont forcé la main aux éleveurs, consentants ou pas, sur l’ouverture du stud-book. Je suis un pur et dur de la race. Un cheval qui a 25 % de sang arabe est un anglo. Tout ce qui est en dessous c’est du Selle-français ou étranger. Depuis quelques années, ces grands brassages de sang ont abâtardi les anglos.

Expliquez-moi comment on peut améliorer une race pure en la croisant avec des étalons venus d’autres stud-books. Avant, les mâles Anglos étaient des améliorateurs d’autres races, mais malheureusement la réciprocité n’est pas vraie. Le manque de 50% mâles ou femelles au niveau national n’arrange rien. Bien sûr il sortira quelques chevaux de bon niveau, mais enfin… La perte de sang arabe a été notre malheur.

En ce qui concerne les Haras, le constat fut terrible : abandon de l’élevage. L’Anaa n’a pas su prendre la suite pour éviter une chute spectaculaire de nos Anglos. Sur plusieurs décennies, les Haras achetaient 14 ou 15 mâles de 3 ans. Un bon, deux moyens, et tous les autres, que des mauvais ! Nous retrouvons des poulains issus de ces mauvais achats, quelle catastrophe ! 

Je suis un éleveur passionné, mais pour sauvegarder ma souche j’ai dû faire de l’imbreding. De cet imbred il en est sorti Vadrouille d’Avril ISO 150. Que du bonheur ».

Propos recueillis par Etienne Robert

16/12/2020

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