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Des cosaques à Paris ? Un entretien avec Jean-Louis Gouraud

Célébration du bicentenaire de la campagne de Russie Le 12 août, à Moscou, une vingtaine de cavaliers portant un haut bonnet surmonté d'un plumet et tenant une lance en main droite, annonçaient leur intention de gagner Paris - ou plutôt Fontainebleau - après avoir traversé, disaient-ils, la Bélarus (Biélorussie), la Lituanie, la Pologne, l'Allemagne et l'est de la France. Durée de l'expédition : deux mois. Arrivée prévue vers la mi-octobre. « Nous sommes des Cosaques, ont-ils proclamé, et nous irons nous laver les pieds dans la Seine ! » Photo 1 sur 2

« a cette seule remarque, on peut juger le niveau de ceux qui participent à l'entreprise, et la noblesse de leurs objectifs Â»  fait observer notre ami Jean-Louis Gouraud, auquel nous avons demandé de commenter l'évènement. Auteur d'un fameux raid équestre en sens inverse (Paris - Moscou), réalisé en 1990 - et raconté en détail dans un ouvrage récent, « Le Pérégrin émerveillé Â» (Actes Sud, 2012) - il a été approché à diverses reprises par les organisateurs de l'expédition.
« Au départ, raconte-t-il, lorsqu'on m'en a parlé pour la première fois, voici plus d'un an, pour me demander quelques conseils, j'ai trouvé l'idée plutôt sympathique, car il s'agissait de mettre en valeur les formidables qualités d'une race de chevaux menacés de disparition : le dontchak, qu'on appelle chez nous le cheval du Don. C'est une très belle race en effet, créée à la fin du XVIIIe siècle dans la région du Don (le célèbre « Don paisible Â» décrit par Cholokov, Prix Nobel de Littérature en 1965), au sud de la Russie, qui a assuré la remonte des fameux cosaques du même nom : les Cosaques du Don. Mélange d'étalons orientaux et de juments locales, cette monture, toujours alezane, à la robe dorée, a fait ses preuves de générosité, d'endurance, de vivacité et de résistance au cours des innombrables campagnes militaires au cours desquelles elle a servi. A l'époque soviétique, les autorités avaient maintenu son élevage dans quelques grands haras d'Etat, qui ont été soit cédés au secteur privé, soit carrément abandonnés lors du passage de la Russie du communisme au libéralisme.
Résultat : sans débouchés commerciaux, la race a failli disparaître. Que quelques passionnés cherchent à la faire renaitre me paraissait très positif. Et puis, petit à petit, le projet a évolué pour devenir une aventure mi-patriotique mi-folklorique. J'ai alors pris mes distances. Â»
« Je n'ai rien contre le patriotisme, naturellement, lorsqu'il est défensif, qu'il consiste à préserver son indépendance, sa culture, sa personnalité. Mais lorsqu'il devient une sorte de vantardise nationaliste, plus ou moins revancharde, une fanfaronnade, alors je décroche. Or, le discours tenu par les organisateurs du futur raid Moscou-Paris me parait appartenir à la seconde catégorie : une espèce de rodomontade un peu grotesque. Et, surtout, inamicale.
Parrainée par un nombre impressionnant de hautes personnalités russes - dont le Ministre de la Culture, le vice Ministre des Affaires Etrangères, le vice Ministre de l'intérieur, des députés, des responsables de la sécurité du Kremlin, que sais-je encore ? - cette action était pourtant censée célébrer l'amitié franco-russe, tout en s'inscrivant dans le cadre de la commémoration du bicentenaire de la célèbre Campagne de Russie, dont la Grande armée napoléonienne est sortie défaite. On aurait pu imaginer une série de manifestations de réconciliation, de fraternisation, comme le général de Gaulle en organisa avec l'Allemagne de Adenauer. On aurait même compris que les Russes fêtent leur victoire contre les Français sur les bords par exemple, de la Bérézina : les Anglais ne se privent pas de fêter la défaite française de Trafalgar - mais ils ont le bon goût de le faire chez eux. Or les Cosaques reconstitués pour commémorer la victoire russe de 1812 se proposent de venir célébrer l'évènement chez nous, comme pour mieux nous narguer. C'est de la provocation Â».
« Je ne fais pas ici une crise de paranoïa précise Jean-Louis Gouraud. je me contente de lire ce qui est stipulé noir sur blanc dans la luxueuse brochure éditée par les organisateurs, dans laquelle on apprend que la joyeuse cavalcade, bénéficiant des hauts parrainages que j'ai indiqués, et confortablement financée par le services des douanes (que viennent faire les douanes russes dans une telle entreprise ? Mystère !) est en fait soutenue et coordonnée par un « Fonds public de bienfaisance Â» (sic) baptisé « Apanage de la Russie Â» se fixant pour premier objectif « l'éducation du patriotisme et de la fierté pour la Patrie chez les Russes Â». Dans une déclaration d'intention légèrement délirante, ce Fonds  place «la renaissance et la popularisation de la race chevaline du Don en Russie Â» entre « l'immortalisation de la mémoire des héros de la Guerre Patriotique de 1812 Â» et « la popularisation des évènements de la guerre de 1812 dans les pays de l'Europe occidentale Â» ! Comment ne pas voir, derrière ce charabia, une entreprise n'ayant pas grand rapport avec un challenge équestre, ni même une simple reconstitution historique puisque, s'il est vrai que des Cosaques ont bivouaqué un jour sur les Champs Elysées, ce n'était pas en 1812, mais en 1814, lorsque Alexandre Ier est entré dans Paris, à la tête des Alliés - Autrichiens, Prussiens, Bavarois, etc - pour fêter la chute de Napoléon. J'ai d'ailleurs proposé aux amis russes qui m'avaient approché de reporter leur opération à 2014, où elle aurait eu, au moins, un certain sens historique et coïncidé, en plus, avec la tenue, en France, des Jeux Equestres Mondiaux. Mais j'ai vite compris que l'exactitude historique n'était pas le premier souci des organisateurs Â».
« Lorsqu'ils m'ont recontacté, un peu plus tard, à travers une association d'hommes d'affaires, appelée le Dialogue franco-russe, dirigée par un ami français issu de la haute aristocratie russe, Alexandre Troubetzkoï, j'ai constaté avec soulagement que la tonalité disons politique avait évolué dans le sens de la modération. Et que la chevauchée envisagée dérivait vers une tournée qui me fit penser un peu à celle que Buffalo Bill organisa en Europe à la fin du XIXe siècle - sauf que là, les Peaux-Rouges seraient remplacés par des cosaques : d'étape en étape, en effet, il est prévu que la troupe donne des spectacles. Voltige cosaque, chants folkloriques, comme au bon vieux temps du Cirque de Moscou. Cela n'a donc plus rien de commun avec un raid équestre. D'autant que, la plupart du temps, chevaux, cavaliers et accompagnateurs devront se déplacer en camion. Â»
« toutefois, comme j'aime bien, malgré tout, les Russes (et leurs chevaux), j'ai fini par accepter de les aider d'un simple conseil : faire appel, pour leur traversée de l'est de la France, à un vrai professionnel. Je leur ai recommandé le meilleur d'entre eux : mon ami Marc Lhotka, qui leur a concocté un itinéraire idéal, prévoyant le gite et le couvert pour bipèdes, écuries et picotin pour quadrupèdes. Si les cosaques d'opérette veulent bien suivre les instructions de Lhotka, ils arriveront au bout de leur aventure. Si, comme c'est souvent le cas avec les Russes, ils n'en font qu'à leur tête, je crains que tout cela finisse lamentablement, comme une autre expédition équestre, tentée celle-là, en 1989. Il s'agissait, cette année-là, de célébrer le bicentenaire de la Révolution française. Tout en marquant leur solidarité révolutionnaire, les Soviétiques avaient voulu montrer du même coup les qualités du trotteur orlov : ils avaient eu alors l'idée de faire partir quatre ou cinq (je ne sais plus) troïkas de la Place Rouge, à Moscou, censées arriver le 14 juillet sur la Place de la Bastille, à Paris. Ç'avait été une bien triste pantalonnade : des chevaux étaient morts en cours de route, d'autres vendus, sans doute pour acheter de la vodka, et la course s'était achevée pitoyablement en Allemagne (j'ai raconté ça dans mon livre « Le Pérégrin émerveillé Â», page 166). Espérons que cela se passe mieux cette fois, pour la vingtaine de chevaux du Don engagés et pour leurs cavaliers. Nous leur ferons, de toutes façons, bon accueil. sans rancune. Et s'ils mettent deux ans, au lieu de deux mois, à réussir leur coup, nous ne nous moquerons pas d'eux. Au contraire : nous les féliciterons pour leur exactitude Â».

Recueillis par ER

20/09/2012

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