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Elevage : quel paysage en 2030 ?

L’ouvrage « La filière équine française à l’horizon 2030 »*, rapport du groupe de travail de la prospective équine mené par l’Inra et l’Ifce, donne un éclairage précis et dense sur l’avenir de la filière équine à vingt ans. Dix-huit mois de recherche et de concertations, avec tous les membres de la filière les amène à ce constat : « La filière doit s’attendre à de fortes ruptures, liées à l’apparition des avancées techniques et aux évolutions sociétales, qu’il est préférable d’anticiper plutôt que subir ». Nous consacrerons plusieurs articles aux pistes de réflexion dégagées pour permettre aux décideurs et chercheurs d’acquérir une connaissance utile pour agir sur le futur, en fonction de leurs intentions et exigences. »  Photo 1 sur 3

Le contexte et la démarche
Françoise Clément et Patrick Herpin résument la situation en des termes concis : « L’équitation de loisir connaît un engouement croissant et le secteur des courses bénéficie d’un fort intérêt de la population pour les paris hippiques. Dans ce contexte dynamique, l’ouverture des paris en ligne, le relèvement de la TVA, la diminution des subventions de l’Etat, le développement de la concurrence européenne, voire internationale, sur les marchés du cheval de sport mais aussi le fait que ces activités reposent majoritairement sur des micro-entreprises économiquement fragiles ou des amateurs, font peser des incertitudes sur l’avenir et sur la poursuite des tendances actuelles. Ces interrogations s’ajoutent aux nombreux enjeux auxquels la filière française est déjà confrontée tels que la pérennisation des emplois, l’intégration de nouvelles technologies comme la génomique ou Internet, la production de chevaux en adéquation avec la demande, le maintien de la diversité des races et de leur présence dans certains territoires, la préservation du bien-être animal, la pérennité de la contribution du cheval au maintien de l’agriculture et du tissu social et culturel

1. Diversité des entreprises, résultats contrastés
Le cheptel d’équidés français est estimé à 950 000 fin 2010, un effectif à peine inférieur à ceux de l’Allemagne et du Royaume-Uni (un million5 chacun en 2009). Ces trois pays totalisent plus de la moitié du cheptel équin européen. En 2009, sur 53 300 entreprises, 64 % sont des structures d’élevage et 15 % des entreprises connexes. Pour beaucoup, le cheval est une opportunité de diversification de leur offre, qui n’est pas exclusivement équine. « Le chiffre d’affaires des établissements équestres varie de 12 000 à 450 000 €  tandis que la moitié des élevages n’en dégage aucun. Une entreprise sur trois se situe dans les régions Basse-Normandie, Pays de la Loire et Rhône-Alpes. Les activités d’élevage sont particulièrement développées dans le nord-ouest, tandis que le sud-est est plutôt une région d’utilisation. » 

2. Des emplois à fort turn-over
« Beaucoup de structures de la filière équine sont de petite taille et familiales : moins de la moitié d’entre-elles emploient plus d’un salarié et moins de 10 % ont plus de cinq salariés. Â» Les salariés agricoles sont plutôt jeunes, 30 ans en moyenne, mais se caractérisent par un fort turn-over, 1/3 étant renouvelé chaque année ». (salaires bas, désenchantement, horaires, etc…). 

3. Une balance commerciale difficile à évaluer 
La France est 4e exportatrice mondiale de chevaux, mais 7 000 chevaux ont été importés en 2011, chiffre en nette hausse, tandis que les exportations (4 963) entraînent une balance commerciale négative, même si la France est actuellement bien placée sur le marché international. 

4. Un cavalier sur cinq fait de la compet’
Le terme de « filière équine » dissimule une très grande diversité : les pratiques équestres ont radicalement changé au cours des dernières années. Le cheval instrument de travail est devenu source de loisir. 
Avec 700 000 licenciés en 2011, la FFE est la 3e fédération sportive française; + 64 % en dix ans. L’équitation est pratiquée dans 5 000 centres équestres et 1  800 fermes équestres ou écuries de propriétaires. Plus de 80 000 épreuves de compétitions sont organisées dont 52 000 sur le circuit club, 23 000 sur les circuits amateur et professionnel et plus de 7 900 pour le circuit jeunes chevaux. La compétition ne concerne néanmoins qu’un cavalier sur cinq et de nombreuses autres offres existent : cours d’équitation, promenades, randonnées ou autres. Enfin beaucoup de cavaliers propriétaires pratiquent l’équitation en dehors de toute structure. On évalue à plus de 1,5 million les pratiquantss, soit deux fois plus que le nombre de licenciés. 

5. De la production au commerce : là où le bât blesse
• Un élevage « atomisé » 
En 2010, on compte 63 races différentes : 3 races de chevaux de sang, 10 de chevaux de trait, 11 de poney et 7 d’ânes. Seules 26 d’entre elles sont d’origine française, sans compter les origines constatées et non constatées. 42 700 éleveurs sont répartis dans 35 000 structures d’élevage qui produisent, pour les 2/3 d’entre eux, des chevaux de selle et de trait. Néanmoins, 80 % des élevages ne détiennent qu’une à deux juments et 85 % des éleveurs ne sont pas spécialisés dans cette activité. La production en races étrangères ne représente que 9 % de l’effectif. Mais est en constante augmentation...

.... Les structures de collecte ou saillie d’étalons étaient estimées en 2011 à 376 pour les selles français et 145 pour les trotteurs. En 2009, 60 % des saillies de chevaux de selle ont ainsi été réalisées par insémination artificielle. Le transfert d’embryon est encore peu développé chez les équidés et ne représentait, en 2009, que 2 % des gestations. Le clonage est actuellement une pratique exceptionnelle. 

• Préparation et formation des chevaux : la SHF 
Les jeunes chevaux de sport de quatre à six ans disposent d’un circuit mis en place par la SHF qui comptait en 2010 7 900 épreuves réparties en six disciplines, près de 130 000 partants, dont 85 % en saut d’obstacles, et environ 16 000 chevaux et poneys. 

• Le commerce des chevaux : inadéquation offre et demande
Le marché du cheval de selle est caractérisé par une inadéquation entre offre et demande. Il représente un flux financier annuel d’environ 200 millions d’euros pour 50 000 chevaux et poneys échangés, dont 10 % issus d’importations. Soixante pour cent des éleveurs cherchent à produire des chevaux pour le niveau professionnel  avec l’espoir de les vendre à prix élevé. En réalité, 70 % des équidés sont acquis pour le loisir et l’instruction, 25 % pour la compétition amateur et seulement 5 % pour la compétition professionnelle. En dehors de ces derniers, les prix d’achats constatés sont en moyenne inférieurs au coût de production : 5 000 € minimum à trois ans. « En caricaturant, on peut considérer que trois grands types de chevaux sont disponibles sur le marché : des chevaux d’élite, relativement chers et produits pour la compétition, des chevaux sans origines ou réformés des courses, très peu chers mais généralement peu recherchés, et des chevaux de sport non retenus pour le sport de haut niveau, déclassés et vendus à perte. Ces chevaux ne sont généralement pas adaptés à l’utilisation de loisir. A ces trois grands types de chevaux s’ajoutent des chevaux de particuliers, à des prix très variables, parfois très inférieurs au prix du marché, ce qui crée une concurrence importante vis à vis des éleveurs et tire les prix vers le bas. Cette inadéquation entre l’offre des producteurs et les besoins des utilisateurs est caractéristique du secteur. Â» 

• Une concurrence internationale accrue
Pour les chevaux importés, presque la moitié sont des chevaux de selle. En dix ans ces chiffres ont été multipliés par cinq pour les chevaux de selle et dix pour les poneys, mais uniquement par 1,4 pour les chevaux de course. « Le Pure race espagnole arrive en tête, suivi du KWPN puis du poney shetland. Â» Si les chevaux achetés pour le dressage semblent être en moyenne meilleurs que les chevaux français, les chevaux importés pour le saut d’obstacles ne le sont pas forcément. En revanche, ceux importés pour le loisir, bien que généralement plus chers que les chevaux français, appartiennent à des races spécifiquement orientées loisirs ou présentant des caractéristiques physiques spécifiques. « Si l’importation de chevaux de dressage et de loisir peut s’expliquer par une faible production française de ces chevaux, l’importation de chevaux de saut d’obstacles met en évidence une meilleure organisation des circuits de commercialisation étrangers. Â» 

Organisation de la filière : beaucoup d’acteurs
Depuis la disparition de la FIVAL en 2008, la SHF rassemble les acteurs de la filière sport, et est devenue en 2011 la société mère du cheval et du poney de sport ; elle rassemble les acteurs de la production, la valorisation et la commercialisation des jeunes équidés de sport. La fédération française d’équitation a en charge l’organisation des utilisations des chevaux et le développement de la compétition de haut niveau. France Trait a créé en 2012 La Société française des équidés de travail, la maison mère des équidés de travail. Mais outre ces principales structures collectives, de nombreuses organisations professionnelles existent dans tous les domaines : élevage, utilisation, commercialisation, qui rend cette organisation très « disparate ».

Préoccupations des acteurs de la filière
La filière s’est construite, sans véritablement se structurer, s’accommodant plus ou moins d’une tutelle étatique progressivement remise en cause. Cette filière est néanmoins une source d’emplois, d’activités secondaires et de loisirs importante. L’étude relève cinq préoccupations principales des acteurs de la filière à l’horizon 2011-2012 : 

L’instabilité de l’emploi, un poids pour les salariés et les employeurs
Le turnover important dans la profession (conditions de travail difficiles, salaires peu élevés, horaires), une formation souvent mal adaptée, une inadéquation entre les compétences de ces salariés et les attentes des employeurs ont des effets dévastateurs sur l’équilibre économique et humain de de la filière. 

Le professionnalisme en question 
Le débat entre les « professionnels Â» et « amateurs » est récurrent : concurrence déloyale, aides de l’Etat pour les amateurs, etc. très petit nombre de professionnels, poids des amateurs dans la filière. Enfin, d’aucuns pensent que ces distinctions difficiles participent à la grande opacité du marché des chevaux de selle français. La même question se pose pour les cavaliers de haut niveau qui ne peuvent vivre de la compétition sans exercer une autre activité.

L’incertitude sur le financement 
« On observe une régression du nombre d’élevages. Les éleveurs déclarent se heurter, entre autres, au prix élevé des actes vétérinaires, de la semence et des intrants en général, tout comme à la concurrence internationale en très nette progression Â». Le désengagement de l’Etat, surtout depuis la loi de finances 2013, accentue l’inquiétude des éleveurs, aggravée par la hausse récente de la TVA.

L’évolution de l’équitation : entre nostalgie et innovations
Les centres équestres sont tiraillés entre la nécessité de faire du chiffre d’affaires, de plaire à leurs jeunes équitants, et la pratique d’une équitation traditionnelle, qui demande une pédagogie de l’effort.

De plus, ils n’ont pas toujours les chevaux adaptés à ce type de public « pressé » du résultat. Ces contraintes tirent vers le bas le niveau de l’équitation, de l’enseignement et des enseignants, et inquiète certains acteurs professionnels. 

* La filière équine française à l’horizon 2030, Rapport  du  groupe  de  travail  Prospective  équine, octobre 2012, Inra, Ifce. Christine Jez (coordination), Bernard Coudurier, Marion Cressent, Florence Méa, Philippe Perrier-Cornet et Emmanuel Rossier.

Carine Robert

28/03/2013

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