FEUILLERAC PÈRE ET FILS : COMMERCE ET VALORISATION
Fort d’une réputation acquise au fil du temps, Vincent transmet à son fils, récemment rentré d’une formation qui a duré deux ans chez Shane Breen, le cavalier irlandais installé en Angleterre, sa méthode de travail.
« Aujourd’hui avec Julien, explique Vincent, on a développé la partie commerciale parce que c’est vraiment la seule source qui rapporte un petit peu dans notre métier. On a quelques propriétaires et compétiteurs qu’on entraîne. La valorisation passe par les concours mais notre activité principale ça reste le commerce de chevaux, essentiellement jeunes, pour des raisons de trésorerie ».Â
« Surtout, précise Julien, on n’a pas le temps de les garder. Ils sont vite vendus. On a vraiment envie de relancer le commerce et du coup on est obligés de faire tourner. D’ici 1 an ou 2 on pourra se permettre d’en garder pour les faire vieillir et les vendre à 8-9 ans. Ces jeunes chevaux-là viennent de Belgique, de Hollande ou d’Allemagne ».
Pourquoi ce choix-là ?
« Côté pratique. En quatre jours on peut voir 50 chevaux. Sans avoir à faire beaucoup de kilomètres. C’est concentré. On part avec le petit camion et le van. Nos contacts sont des gens de confiance qui font essentiellement du commerce. En France, le commerce est vraiment très compliqué. On ne sait jamais si les gens sont vendeurs ou pas. Là -bas ils préfèrent gagner un petit peu tout de suite que de les garder six mois de plus pour les vendre à peine plus cher. Ils veulent que ça tourne. Et on a plus de chance de tomber sur des très bons chevaux. Toutes les négociations se font en Anglais ».
Anglais appris chez Shane Breen ?
Julien : « Je suis parti chez Shane il y a 5 ans quand j’ai arrêté mes études. J’ai eu un très bon cheval avec qui j’ai fait de grosses épreuves, et on l’a vendu. Je me suis dit que c’était le moment de partir, d’aller voir un petit peu un autre système, apprendre la langue. Une amie (ndlr Victoire Ranger de l’élevage d’Emm où nous avons fait un reportage dernièrement) y était allée et m’avait dit tout le bien qu’elle en pensait. Et c’est vrai, c’était vraiment sympa parce qu’on faisait tout de A à  Z. On s’occupait de la ferme, des poulains, on montait les jeunes, on montait les vieux chevaux, parfois on pouvait donner des cours à des clients, on faisait du concours, enfin on faisait vraiment tout, même curer les box. J’ai vraiment appris à tout faire et c’est un autre système, différent du nôtre. Shane est un cavalier qui aujourd’hui est dans les meilleurs mondiaux. Il est installé sur le concours d’Hickstead, entre Londres et Brighton dans une grosse structure avec 50 chevaux en boxes et un élevage important où naissent quinze poulains par an. Il a des étalons à lui qu’il monte en concours et les fait reproduire avec des juments qu’il a montées ou qu’il a achetées. Il a aussi un centre de reproduction. J’ai eu la chance de monter le meilleur cheval qu’il a aujourd’hui, Ipswich, avec qui il a gagné des gros Grands Prix dont Dublin, le Global à Monaco. C’est moi qui l’avais débuté ».
En passant par la Lorraine
L’histoire de Vincent Feuillerac avec les chevaux a débuté en Lorraine où son père ingénieur dans la pétrochimie fut nommé à la raffinerie de Hauconcourt (57).
« J’avais 12 ans. Mon père aimait faire de belles balades à cheval et le virus est venu comme ça. J’ai appris à monter dans un club à Metz puis je suis passé chez Marcel Delestre où j’ai eu mon cheval. Je voulais être cavalier donc j’ai travaillé chez lui après le Bac puis je suis parti chez un marchand Suisse-Allemand jusqu’au service militaire. En sortant de l’armée je suis allé chez Hubert Bourdy pour me remettre à niveau. Le stage devait durer deux mois mais au moment de partir il m’a dit « je ne veux pas que tu partes, je te garde ». Voilà c’est parti comme ça. Je suis resté 1 an 1/2 chez lui, ensuite deux ans chez Guy Martin, deux ans chez Michel Robert et après je me suis installé. J’étais content que Julien parte à l’étranger parce que c’est une chose que je n’avais pas faite et je le regrette aujourd’hui. Dans le business si tu ne parles pas couramment anglais c’est un handicap. Aujourd’hui il faut raisonner européen ».Â
Ernest, le crack étalon
Ernest, l’étalon mort au tout début de cette année à l’âge de 29 ans fait partie des grands moments vécus par Vincent. Fils de Jalisco et de Quolombia (la sœur utérine de Javotte D x Galoubet), né chez Jean Choain, a évolué sous la selle de Vincent jusqu’à sa vente à un cavalier japonais l’année de ses 8 ans. Il raconte : « Je travaille beaucoup avec le Haras Van de Helle, de Paul Maes, gros étalonnier belge et Edith sa femme. Paul avait acheté Ernest poulain avec sa mère et c’est moi qui l’ai récupéré l’année de ses 6 ans. C’était un cheval un peu compliqué avec du caractère et des gros moyens. Repéré par Arnaud Evain, Ernest fut mis aux ventes Fences cette année-là . Le prix est monté très très fort, vers un million de francs. Paul, avec qui j’étais à une table des ventes, hésitait à le laisser partir. Je lui ai conseillé sur le-champ de le garder, j’étais sûr qu’il passerait un cap pour devenir un grand cheval. Il m’a écouté et ne l’a pas regretté puisqu’un an après le cheval était vendu le double de ce qu’il avait atteint à Fences. Le Japonais, coaché à l’époque par Jean-Maurice Bonneau qui avait remarqué le cheval dans le Grand Prix de Cluny, a fait les Jeux mondiaux avec lui.
Grâce à cette vente, j’ai pu acheter cette propriété ici pour m’y installer. Tout était à faire ».
L’endroit est effectivement plaisant. S’il ne dispose pas (encore) de manège - ce qui ne saurait tarder puisque le projet est de couvrir la carrière - l’outil de travail est bien conçu et performant dans un environnement propice aux sorties à l’extérieur.
« Je n’ai jamais été commerçant dans l’âme, j’étais plus un cavalier qui fabriquait des chevaux que je revendais quand ils étaient au point. Maintenant avec Julien, on développe toute cette partie commerciale que je n’ai jamais développée et qui est un commerce plus rapide. On achète, on revend plus rapidement, ce qui permet de créer un roulement de chevaux plus important et qui permet aussi de dénicher plus facilement des bons chevaux et de créer une dynamique dans le commerce. Seul, je ne vendais pas beaucoup de chevaux par an mais j’en vendais régulièrement un cher ce qui me permettait aussi à faire fonctionner ma boutique. Aujourd’hui c’est beaucoup plus risqué. Maintenant, le but, c’est de faire les deux. On vient d’en vendre quelques-uns qui sont très très bons. Là on en a un qui est sort vraiment du lot et on n’est pas pressé de le vendre ».Â
Une clientèle étrangère
« Il faut dire ce qui est, on vend quand même 80 % de ce qu’on achète à l’étranger. En fin de compte j’ai très peu vendu en France. Le fait aussi d’acheter à l’étranger m’a permis de développer un bon réseau relationnel. J’ai l’impression que le pouvoir d’achat est plus important qu’en France. J’ai eu une jument que j’ai vendue à Mégane Lamaze, l’ex-épouse d’Eric Lamaze. C’était une jument que j’avais montée dans des Grands Prix 4*, qui était une super jument qui a été prise en équipe américaine quasiment l’année d’après. Malheureusement elle s’est blessée 18 mois plus tard. Il y a eu aussi Vicky van het Geinsteinde (Skippy II sf) que j’ai vendue à Onishenko. En milieu d’année de 8 ans elle sautait le 4* à Bourg. Les concours, c’est notre vitrine et c’est aussi là qu’on les forme. Le but est d’arriver à rester dans un niveau de concours qui vous permet de rencontrer des clients. Il faut soit faire des tournées en Espagne, Oliva et Jerez par exemple soit faire minimum du 3*. Jusqu’à présent on a toujours réussi à faire ça ».Â
En ce moment quel piquet ?
« Tous nos vieux chevaux sont vendus. Il ne m’en reste qu’un, propriété d’un de mes clients à qui je l’ai vendu à 7 ans. C’est Concaro (Carinjo*HDC-Contender) un holsteiner qui a gagné 3*, qui fait 2-3*, un bon cheval de concours qui a 15 ans cette année, il est capable de tout. Après on passe aux jeunes dont un 7 ans exceptionnel, Conbalkato PS. (Conthargos-Baloubet), un vrai sauteur, no limit, né chez Paul Schockemöhle.
On ne l’a pas encore montré en concours, on le cache… »
Etienne Robert
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