Film à voir : "En équilibre"
ENTRETIEN AVEC
DENIS DERCOURT
D'OÙ EST NÉE L'IDÉE D'ADAPTER LE LIVRE DE BERNARD SACHSÉ ?
Lorsque les producteurs de Mandarin Cinéma me l'ont fait lire, je me suis tout de suite senti très proche du sujet. Peut-être parce que, lorsqu'il est devenu paraplégique à trente ans Bernard Sachsé était un cascadeur qui vivait du cachet, comme je l'avais fait moi- même longtemps en musique. La peur de l'accident, qui empêcherait d'exercer l'activité à laquelle vous vous consacrez depuis votre plus jeune âge, est une constante chez les musiciens. Plus profondément, ce thème d'un homme qui se reconstruit avait une forte résonance en moi. Dès le départ j'ai su que, pour l'élaboration du récit, je lui associerais le thème de la rencontre.
COMMENT AVEZ-VOUS TRAVAILLÉ AVEC BERNARD SACHSÉ ?
Je l'ai rencontré plusieurs fois en début d'écriture. Bernard a beaucoup de charisme, c'est aussi quelqu'un de très positif, qui ne s'apitoie jamais sur lui-même. Pourtant j'ai dû cesser assez rapidement de le rencontrer, pour pouvoir mieux imaginer mon récit. Bernard a accepté cette prise de distance.
APRÈS SON ACCIDENT, MARC DOIT EN EFFET SE LIVRER À UN VÉRITABLE BRAS DE FER AVEC LES ASSURANCES, QUI TENTENT PAR TOUS LES MOYENS DE LIMITER LEURS RESPONSABILITÉS...
Dans leur livre, Bernard Sachsé et Véronique Pellerin retracent brièvement le combat que Bernard a dû livrer contre ces compagnies - combat qui a duré plus de dix ans et qu'il a heureusement fini par gagner. Ce ne sont que quelques lignes, mais très instructives. Elles ont orienté mes recherches au moment où je construisais la narration. Sans chercher à dénoncer le monde des assurances et la double peine encourue parfois par les accidentés, le film entrouvre une porte sur certaines pratiques sauvages de ce milieu. Scénaristiquement, cela permettait aussi d'apporter une pointe de thriller au sujet. Je voulais que la mise en tension provoquée par les scènes de l'accident au début soit maintenue tout au long du film.
DANS EN ÉQUILIBRE, LE HÉROS PARVIENT À SURMONTER SON HANDICAP EN REMONTANT À CHEVAL ET EN DEVENANT UN CHAMPION ACCOMPLI. IL AIDE ÉGALEMENT FLORENCE À RENOUER AVEC SA VOCATION DE MUSICIENNE. CES TRAJECTOIRES D'ACCOMPLISSEMENT INDIVIDUEL SONT IMPORTANTES DANS LE FILM.
Le postulat était que des deux personnages, le plus blessé n'est pas forcément celui qu'on croit. On comprend assez vite que Marc ne renoncera pas à sa passion. Alors que Florence en revanche, a en quelque sorte démissionné. Sa blessure est plus profonde. Et c'est au moment où Marc lui permet de surmonter ses peurs et de dépasser son traumatisme, que se noue véritablement leur histoire. Peut-être plus qu'un film d'amour, j'ai travaillé avec l'idée que EN ÉQUILIBRE devrait être un film d'émotion, où il se raconte quelque chose sur le passage du temps. C'est le temps de cette rencontre qui va changer Florence et Marc, les révéler à eux-mêmes. C'est ce qui les remet « en équilibre ». Bien sûr, au point de vue narratif, ce genre de travail implique de toujours rester attentif à ne pas laisser de prise au cliché. Le mari, par exemple, ne devait pas être un crétin. L'héroïne l'aime sincèrement. Il est seulement à notre image - normal et raisonnable. Celui qui est exceptionnel est le personnage interprété par Albert Dupontel.
ALBERT DUPONTEL EST D'AILLEURS LUI-MÊME ASSEZ EXCEPTIONNEL DANS CE RÔLE.
Lors de notre première rencontre, Albert m'a raconté qu'il avait failli rester handicapé à la suite d'une maladie, lorsqu'il avait 25 ans. C'est une des raisons pour lesquelles, dès
la lecture du scénario, il a si bien compris le personnage de Marc. À cette époque, Albert ne souhaitait plus être acteur. « Mais là je comprends la colère du personnage, je n'aurai pas besoin de composer ! », m'a-t-il dit quand il a accepté le rôle.
Dès le départ il avait été convenu que ce serait lui qui assurerait toutes les cascades du film, en particulier celles à cheval. Pour les scènes de la plage et de l'accident, ainsi que pour les séances de dressage dans le manège, il s'est entraîné plusieurs mois. Ce qu'il réussit à faire relève de l'exploit. Les figures de voltige sur la plage, par exemple, étaient tellement dangereuses que pour les besoins de l'assurance du film, nous avons dû les tourner le dernier jour.
CES SCÈNES DE CASCADES SONT EFFECTIVEMENT TRÈS IMPRESSIONNANTES ! DE MÊME QUE LA SÉQUENCE EN VOITURE, LORSQUE LE HÉROS RÉCEPTIONNE SON VÉHICULE SPÉCIALEMENT CONÇU POUR SON HANDICAP. ON AVAIT PEU L'HABITUDE DE CES SCÈNES D'ACTION DANS VOS FILMS...
Il était important qu'on ressente l'énergie intacte du personnage, qui vient tout juste de sortir de l'hôpital. Il fallait qu'il y ait des scènes exutoires pour cette énergie.
VOUS NE VOUS APPESANTISSEZ PAS SUR CES SCÈNES. POURTANT LA TENSION QU'ELLES DÉGAGENT RESTE TRÈS PRÉSENTE TOUT AU LONG DU FILM.
J'ai toujours pensé qu'il valait mieux se montrer économe avec ce genre de scène. Comme cela, d'une certaine manière, on les prolonge : le spectateur garde leur élan en tête, et ensuite il « fait le travail ». C'est comme si le spectateur continuait en lui-même le mouvement enclenché par le film. En ce qui me concerne, en tant que spectateur, j'aime entretenir ce type d'échange avec les films, j'aime les « compléter ».
LE FILM SE DÉROULE ENTIÈREMENT À L'OUEST DE LA FRANCE, NOTAMMENT DANS LES ENVIRONS DE SAINT MALO...
J'ai vécu là plusieurs années, c'est une région que je connais bien. Je pouvais puiser dans ces décors sans avoir à faire de trop longues recherches. Et aussi, je pouvais décrire cet arrière-fond social dans lequel évolue Florence Kernel, parce que c'est un milieu que j'ai eu souvent à observer.
BERNARD SACHSÉ ÉTAIT CONSEILLER ÉQUESTRE DURANT TOUT LE TOURNAGE. QUEL EFFET CELA FAIT-IL DE TRAVAILLER DEVANT SON MODÈLE ? EST-CE INHIBANT ?
EN MÊME TEMPS, LES SCÈNES ENTRE LE HÉROS ET SON CHEVAL DÉGAGENT BEAUCOUP DE SENSUALITÉ.
Je suis frustré par la manière dont les chevaux sont mis en scène dans la plupart des films : ce sont bien souvent des images d'Epinal, qui ne correspondent pas à la réalité du cheval. Pour EN ÉQUILIBRE, avec Bernard Sachsé et le chef opérateur Julien Hirsch nous avions les tableaux de Géricault en tête. Nous voulions filmer les chevaux comme nous allions filmer les acteurs, caméra à l'épaule, au plus proche des corps. Et puis il y a le fait que les scènes équestres, dans ce film, sont presque toujours des scènes de travail équestre. C'est cet aspect de travail que je désirais privilégier. Je les ai filmées dans le même esprit avec lequel j'ai toujours filmé les scènes de musique dans mes films précédents. Il est connu que l'art de la musique et l'art équestre offrent de nombreux parallèles, jusque dans les termes utilisés. Ces sont deux arts exigeants, qui demandent de l'abnégation. Ils ne peuvent pas s'accomplir sans passion. Ce n'est pas le sujet principal du film, mais cela accompagne son déroulement. Tout au long du film on devait sentir cette passion qui affleure, elle allait lui donner sa vibration, jusqu'aux scènes finales.
Il aurait pu s'arcbouter sur certains points de vraisemblance technique. Mais ça n'a jamais été le cas et lui et moi n'avons eu aucun mal à nous accorder. La vérité aurait voulu qu'il y ait deux types de chevaux différents : celui qui effectue les cascades, avec lequel Marc a son accident, et celui monté en compétition de dressage, à la fin du film. J'ai choisi de tricher, avec l'assentiment de Bernard Sachsé bien sûr : du point de vue narratif, c'était plus intéressant de réunir les deux chevaux en un seul, et de fabriquer ce personnage qu'est Othello, sur lequel on peut projeter beaucoup de choses, notamment la culpabilité de l'accident. Aujourd'hui, je suis très heureux de la réaction enthousiaste du monde équestre à l'égard du film. Les films comportant un tel aspect technique sont toujours un pari, on n'a pas envie de décevoir.
DENIS DERCOURT FILMOGRAPHIE
2015 EN ÉQUILIBRE
2014 POUR TON ANNIVERSAIRE
2013 LA CHAIR DE MA CHAIR
2009 DEMAIN DÈS L'AUBE
2006 LA TOURNEUSE DE PAGES
2005 UKIYO
2003 MES ENFANTS NE SONT PAS COMME LES AUTRES 2000 LISE ET ANDRÉ
1998 LES CACHETONNEURS
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