Jean-Louis Gouraud, prince des chevaux et inlassable hipposcribe
(en ligne le 16 décembre 2009) Le prince des chevaux a encore frappé ! Personne, je crois, ne publie plus d’ouvrages consacrés aux chevaux sous toutes leurs formes et dans tous les pays que Jean-Louis Gouraud, à la fois écrivain, éditeur, mais aussi cavalier hors pair
puisqu’il rallia Paris à Moscou d’une traite en deux mois et demi il y a presque une décennie.
« La terre vue de ma selle » est une merveilleuse synthèse d’un grand nombre de ses travaux car l’ouvrage reprend, en les réactualisant parfois, certains des textes qu’il publia dans divers supports. Le livre se lit avec d’autant plus de plaisir que, comme son titre l’indique, il nous emmène aux quatre coins du monde, toujours sous l’angle équestre. « Dites-moi le cheval d’un peuple, je vous en dirai les mÅ“urs et les institutions » cette formule de Georges Cuvier (1769-1832) lui sert d’exergue et elle est particulièrement bienvenue : après sa traversée de Paris par une escouade de délicieuses amazones à cheval, restée fameuse, l’auteur nous conduit de l’extraordinaire cavalerie du Colonel Kadhafi en Libye aux nomades kirghizes d’Asie centrale. Qu’il ne faut surtout pas confondre avec les cavaliers kazakhs, qui continuent de pratiquer la chasse à l’aigle Les premiers méprisent d’ailleurs copieusement les seconds, comme chaque fois que deux peuples se partagent des territoires proches.
Non seulement infiniment cultivé et souvent très drôle, le texte est émaillé d’illustrations aussi originales que bienvenues : photographies de l’auteur dans les lieux et les situations les plus improbables, croquis, tableaux anciens, documents divers…Inutile de préciser que l’ouvrage se dévore avec délectation : il est rare de faire un tour du monde à cheval pour moins de vingt euros ! Et pour ceux qui lisent du Gouraud depuis longtemps, retrouver les moments forts de ses pérégrinations cavalières et de ses amours récurrentes, autant équestres que féminines, a quelque chose de rassurant… Même si parfois, comme dans bien des vieux couples, l’amour vire à la haine. C’est ainsi que, sous la plume de l’auteur, Kadhafi devient peu à peu Kadhafou….
Celui qui s’intitule, au grand désespoir de son ancien thuriféraire, roi des rois d’Afrique n’est pourtant pas photographié un entonnoir sur la tête dans Le cheval, animal politique, autre ouvrage extraordinairement illustré que notre prolixe hipposcribe vient aussi de publier chez son éditeur habituel, celui qui a abrite sa collection équestre. Très bel album que cet ouvrage, qui illustre les relations toujours fortes entre le pouvoir et le cheval. Qu’il s’agisse de Mussolini (qui illustre la couverture), de Saddam Hussein, de Mao Tsé-Toung et même de Che Guevara hier, ou, aujourd’hui, du nord-coréen Kim Jong-Il, les hommes politiques adorent se faire portraiturer juchés sur une fière monture. Même Adolf Hitler qui pourtant les détestait et les craignait n’échappe pas à la règle ! Sans oublier Nicolas Sarkozy, qui fit pendant la campagne présidentielle les bonheurs de la presse, avec sa fière chevauchée en Camargue, suivie par un char à bÅ“ufs gorgé de photographes…
Comme le précédent, cet ouvrage est richement doté de photographies et de tableaux souvent inattendus, qui illustrent tous cette constante : à toutes les époques et dans tous les pays, même lorsque le cheval cesse d’être un moyen de locomotion, les hommes de pouvoir veulent être représentés en modernes centaures. Parce qu’il permet de se hisser au dessus du commun des mortels, de donner le sentiment qu’on est capable de maîtriser un animal forcément fougueux, de montrer sa puissance et son appartenance à la caste aristocrate des chevaliers, par opposition à la piétaille des fantassins, le portrait équestre reste une constante dans l’histoire de l’imagerie politique.
Enrichi par les textes souvent drôles de nombreux écrivains de renom - Ismaïl Kadaré, Christophe Donner -, comme de cavaliers célèbres, tel le général Pierre Durand, ce livre se dévore avec d’autant plus de facilité qu’il est mené tambour battant sous la plume alerte de notre pape incontesté de la littérature équestre, qui le conclut sur une anecdote savoureuse et très bien relatée : comment l’étalon akhal-téké offert par le Turkménistan à François Mitterrand participa au secret longtemps le mieux gardé de la Cinquième république en devenant la monture privée de sa fille illégitime…
J’ai gardé pour la fin un tout petit ouvrage publié au Mercure de France (aucune maison d’édition ne résiste à notre seigneur hippique) : Le goût du cheval n’est pas, comme on pourrait hâtivement le croire au vu de son titre, un traité de gastronomie chevaline, mais un nouveau recueil de textes – car l’auteur en a réuni de nombreux autres par le passé – consacré aux relations que les écrivains ont entretenu, de tous temps, avec les chevaux. Xénophon, Michaux, Supervielle, Tournier, Musil, Grainville, Vialatte, d’Ormesson… ils sont plus de trente à se côtoyer, en des textes souvent très courts mais toujours judicieusement choisis, pour exprimer ce qui les relie à ce que Xénophon qualifiait de « monture des Dieux et des héros ». Le livre, qui coûte moins de sept euros, se glisse aisément dans une poche et peut ainsi, à tout moment, être consulté, feuilleté, annoté, et même déclamé, comme les odes du poète Norge, dont Gouraud pourrait reprendre à son compte ce quatrain :
« Sceptres et cœurs, triomphes et famines,
Rouges adieux, portés sur des juments
Je vous contemple et vois qu’éperdument
Fulgure aux cieux la race chevaline. »
Fulgure au panthéon de Jean-Louis Gouraud le dieu cheval, dans toute sa magnificence…
Sylvie Brunel, géographe, écrivain, professeur à la Sorbonne, auteur notamment de Cavalcades et dérobades, Lattès, 2008 (prix Pégase 2009, Saumur)
La terre vue de ma selle éditions Belin
Le cheval, animal politique éditions Favre
Le goût du cheval Mercure de France
Jean-Louis Gouraud
Sylvie Brunel
« La terre vue de ma selle » est une merveilleuse synthèse d’un grand nombre de ses travaux car l’ouvrage reprend, en les réactualisant parfois, certains des textes qu’il publia dans divers supports. Le livre se lit avec d’autant plus de plaisir que, comme son titre l’indique, il nous emmène aux quatre coins du monde, toujours sous l’angle équestre. « Dites-moi le cheval d’un peuple, je vous en dirai les mÅ“urs et les institutions » cette formule de Georges Cuvier (1769-1832) lui sert d’exergue et elle est particulièrement bienvenue : après sa traversée de Paris par une escouade de délicieuses amazones à cheval, restée fameuse, l’auteur nous conduit de l’extraordinaire cavalerie du Colonel Kadhafi en Libye aux nomades kirghizes d’Asie centrale. Qu’il ne faut surtout pas confondre avec les cavaliers kazakhs, qui continuent de pratiquer la chasse à l’aigle Les premiers méprisent d’ailleurs copieusement les seconds, comme chaque fois que deux peuples se partagent des territoires proches.
Non seulement infiniment cultivé et souvent très drôle, le texte est émaillé d’illustrations aussi originales que bienvenues : photographies de l’auteur dans les lieux et les situations les plus improbables, croquis, tableaux anciens, documents divers…Inutile de préciser que l’ouvrage se dévore avec délectation : il est rare de faire un tour du monde à cheval pour moins de vingt euros ! Et pour ceux qui lisent du Gouraud depuis longtemps, retrouver les moments forts de ses pérégrinations cavalières et de ses amours récurrentes, autant équestres que féminines, a quelque chose de rassurant… Même si parfois, comme dans bien des vieux couples, l’amour vire à la haine. C’est ainsi que, sous la plume de l’auteur, Kadhafi devient peu à peu Kadhafou….
Celui qui s’intitule, au grand désespoir de son ancien thuriféraire, roi des rois d’Afrique n’est pourtant pas photographié un entonnoir sur la tête dans Le cheval, animal politique, autre ouvrage extraordinairement illustré que notre prolixe hipposcribe vient aussi de publier chez son éditeur habituel, celui qui a abrite sa collection équestre. Très bel album que cet ouvrage, qui illustre les relations toujours fortes entre le pouvoir et le cheval. Qu’il s’agisse de Mussolini (qui illustre la couverture), de Saddam Hussein, de Mao Tsé-Toung et même de Che Guevara hier, ou, aujourd’hui, du nord-coréen Kim Jong-Il, les hommes politiques adorent se faire portraiturer juchés sur une fière monture. Même Adolf Hitler qui pourtant les détestait et les craignait n’échappe pas à la règle ! Sans oublier Nicolas Sarkozy, qui fit pendant la campagne présidentielle les bonheurs de la presse, avec sa fière chevauchée en Camargue, suivie par un char à bÅ“ufs gorgé de photographes…
Comme le précédent, cet ouvrage est richement doté de photographies et de tableaux souvent inattendus, qui illustrent tous cette constante : à toutes les époques et dans tous les pays, même lorsque le cheval cesse d’être un moyen de locomotion, les hommes de pouvoir veulent être représentés en modernes centaures. Parce qu’il permet de se hisser au dessus du commun des mortels, de donner le sentiment qu’on est capable de maîtriser un animal forcément fougueux, de montrer sa puissance et son appartenance à la caste aristocrate des chevaliers, par opposition à la piétaille des fantassins, le portrait équestre reste une constante dans l’histoire de l’imagerie politique.
Enrichi par les textes souvent drôles de nombreux écrivains de renom - Ismaïl Kadaré, Christophe Donner -, comme de cavaliers célèbres, tel le général Pierre Durand, ce livre se dévore avec d’autant plus de facilité qu’il est mené tambour battant sous la plume alerte de notre pape incontesté de la littérature équestre, qui le conclut sur une anecdote savoureuse et très bien relatée : comment l’étalon akhal-téké offert par le Turkménistan à François Mitterrand participa au secret longtemps le mieux gardé de la Cinquième république en devenant la monture privée de sa fille illégitime…
J’ai gardé pour la fin un tout petit ouvrage publié au Mercure de France (aucune maison d’édition ne résiste à notre seigneur hippique) : Le goût du cheval n’est pas, comme on pourrait hâtivement le croire au vu de son titre, un traité de gastronomie chevaline, mais un nouveau recueil de textes – car l’auteur en a réuni de nombreux autres par le passé – consacré aux relations que les écrivains ont entretenu, de tous temps, avec les chevaux. Xénophon, Michaux, Supervielle, Tournier, Musil, Grainville, Vialatte, d’Ormesson… ils sont plus de trente à se côtoyer, en des textes souvent très courts mais toujours judicieusement choisis, pour exprimer ce qui les relie à ce que Xénophon qualifiait de « monture des Dieux et des héros ». Le livre, qui coûte moins de sept euros, se glisse aisément dans une poche et peut ainsi, à tout moment, être consulté, feuilleté, annoté, et même déclamé, comme les odes du poète Norge, dont Gouraud pourrait reprendre à son compte ce quatrain :
« Sceptres et cœurs, triomphes et famines,
Rouges adieux, portés sur des juments
Je vous contemple et vois qu’éperdument
Fulgure aux cieux la race chevaline. »
Fulgure au panthéon de Jean-Louis Gouraud le dieu cheval, dans toute sa magnificence…
Sylvie Brunel, géographe, écrivain, professeur à la Sorbonne, auteur notamment de Cavalcades et dérobades, Lattès, 2008 (prix Pégase 2009, Saumur)
La terre vue de ma selle éditions Belin
Le cheval, animal politique éditions Favre
Le goût du cheval Mercure de France
Jean-Louis Gouraud
Sylvie Brunel
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