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Karine Boué : son « poney-parloir » ouvre les portes des pénitenciers

  • Karine et Atome des Etisses
    Karine et Atome des Etisses
Expériences originales conçues et réalisées par Karine Boué, la gérante du centre équestre de la Scie à Longueville-sur Scie (76) entre Rouen et Dieppe. En plus des activités classiques de son centre équestre, elle a ouvert les portes des pénitenciers du Val-de-Reuil et du Havre grâce à son « poney-parloir ». But de l’opération : la réinsertion des détenus par l’enfant et par la médiation équine.

Elle raconte comment, tout en diversifiant ses activités, elle apporte sa pierre à la restructuration d’une condition humaine en détresse.

C’est une battante, cette femme brune aux multiples facettes impliquée aussi dans le sport de haut niveau.

« Il y a 17 ans, Christian Phillippe, un bon cavalier de l’Eure qui a un inventé le Camel Trophy et le récent Ride & Golf, avait été sollicité pour aller en prison faire monter les détenus à cheval. Il me parle de ce projet et me demande mon aide. J’ai dit « oui » sans hésiter. On a donc fait des actions en prison, avec 20 chevaux, pendant plusieurs années. Le jour où il a arrêté, j’ai continué seule en emmenant 20 chevaux avec mes élèves-moniteurs. Parallèlement à cela, la médiation équine s’est mise en place et les mentalités ont évolué.

A l’époque, au Val-de-Reuil, il y avait une directrice de prison qui était très ouverte et qui croyait dans ces activités pour aider à la réinsertion. Au fil du temps, des critiques sont arrivées. Pourquoi eux, des criminels, des violeurs, des malfrats, auraient-ils le droit de se divertir à cheval alors que d’autres, libres, ne peuvent pas le faire ? Pour y mettre un terme et pour être en paix avec ma conscience, j’ai imaginé autre chose, un produit qui permettrait de contenter tout le monde. Je me suis dit, le seul moyen pour vraiment aider le détenu c’est de passer par son enfant. J’ai ainsi créé le concept de « poney-parloir ».

Parloir à ciel ouvert

La méthode est simple : les détenus, parents, sont choisis par l’administration pénitentiaire, de 6 à 10 en général et l’action se passe en plein air au bord du centre de détention, sous surveillance, dans les mois d’été entre mai et août. Je viens le matin avec mes poneys, des Shetlands ou des doubles poneys, selon les âges et je forme les détenus à s’occuper des poneys, à les brosser, à mettre la selle, le filet. Tout ce que je leur apprends le matin, ils le transmettent aux enfants l’après-midi. On organise ensemble un circuit pédagogique à thèmes selon ce qu’aiment leurs enfants. On peut faire un circuit style superman pour un gamin, sur la reine des neiges pour une autre gamine. Cela les oblige à réfléchir à ce qu’aiment leurs enfants. Quand tout est bien compris, on déjeune ensemble avec les détenus et je leur explique que l’après-midi ils ont vraiment leurs enfants pour eux et que je ne dois pas intervenir sauf en cas de manquement à la sécurité.

Lorsque les enfants arrivent, ils sont confiés à leurs pères, sans les mamans, pour favoriser ce moment privilégié d’intimité. Certains ne les ont pas vus depuis 6 mois du fait du confinement. 

Ils récupèrent ensuite le poney et font le programme déterminé le matin, jeux ou balades, tout cela sous la sous surveillance du personnel du pénitencier. J’ai mis en place des petites activités comme les dessins ou la peinture de fers bien polis qu’ils ramènent chez eux comme souvenir.

A 15h30 on fait un goûter tous ensemble et à 15h45 j’autorise les mamans à venir pour que l’activité devienne une activité familiale. Là on remet les poneys en route pour 15-20 mn avec papas, mamans et parfois frères et sœurs. Le premier but c’est de ramener l’enfant à son père, et le deuxième de rassembler la famille autour du projet ». 

Des retours de ça ?

« Bien sûr, on fait des bilans. Ce qu’il faut savoir c’est que je le fais dans deux prisons, notamment au Val-de-Reuil qui est la plus grosse avec 800 détenus puis au Havre (650 détenus). Au Havre cette année on a fait trois séances de parloir-poney pour les mêmes parents. Contrairement à ce que je faisais avant (une séance chacun), maintenant on en fait trois pour qu’il y ait une progression vers la voltige par exemple. 

Ensuite on fait des bilans avec les détenus. C’est toujours très, très bien accepté. On peut observer que les détenus sont plus calmes après cette activité qui favorise la réinsertion familiale et sociale ». 

Financièrement, comment ça se passe ?

« Pour le « vendre », j’ai commencé par faire des séances gratuites, en disant « voilà ce que je vous propose, l’essayer c’est l’adopter ». La 2e étape a consisté à trouver des financements notamment  auprès de fondations, fondation de France, Fondation Henri de Navacelle, département, CNDS. C’est plus facile d’aller proposer un produit à l’administration quand on sait qu’il est complètement payé.  Et maintenant, avec la montée en puissance de la médiation, il y a des budgets qui se sont débloqués ».

Donc ça c’est une façon assez originale du développement, de diversification d’un centre équestre classique ?

« Je mets en place des projets et au bout d’un moment quand je les maîtrise parfaitement je forme un de mes salariés pour continuer. Mais pour tout ce qui est de la détention, je ne délègue pas, c’est vraiment moi que le fait.

Depuis l’année dernière, j’ai mis en place une activité de médiation avec les détenus qui posent de graves problèmes de violence. Ils sont choisis par des psychologues du SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation) et moi je fais une séance de médiation équine tous les 15 jours avec deux chevaux. Là il n’y a pas du tout de notion d’équitation, c’est vraiment une question de médiation qui amène le détenu à réfléchir à son propre comportement en observant la réponse du cheval. C’est très utile pour les psys et les surveillants pour mettre en œuvre des moyens d’une meilleure communication avec le détenu. 

C’est bien perçu par le personnel de l’administration parce qu’il n’y a pas de notion de « consommation » à cheval, de monter à cheval. Quand ils viennent voir ces séances, ils sont « scotchés » par ce qu’ils voient des détenus généralement durs et violents, obligés de se tenir calmes et de se gérer ». 

La méthode fait-elle des adeptes ?

« Oui, ça commence gentiment. Il y a deux autres centres équestres qui commencent à aller aussi en prison, pour de l’équithérapie. Mais pour ces actions « poney-parloir » et médiation dans la région il n’y a que moi ».

D’autres projets ?

« J’ai d’autres activités. Je travaille notamment avec les centres éducatifs fermés. Ce sont des centres pour les mineurs, c’est la dernière chance avant la prison pour des mineurs qui ont commis des faits et qui ont été jugés ou en attente de jugement. Depuis deux ans je travaille avec le seul centre éducatif fermé pour jeunes filles. J’emmène les chevaux là-bas, tous les jeudis. Quand elles ont fait deux fois deux mois sans incartades elles ont le droit de sortir et viennent chez moi pour apprendre la vraie vie, monter à cheval mais aussi vider les boxes. Elles apprennent qu’on n’a pas tout pour rien. On travaille beaucoup le handicap et puis là on est en train de se pencher sur des actions avec des mineurs isolés, migrants ».

Etienne Robert


La Scie…circulaire

Le centre équestre de la Scie compte 230 licenciés pour 90 chevaux et poneys, une école d’équitation, une écurie de concours, 28 propriétaires, une formation BPJEPS. Vingt stagiaires y ont été formés cette année.

Deux instructeurs un moniteur et quatre apprentis sont sous sa direction.

Vice-présidente du CDE de Seine-Maritime, elle est aussi vice-présidente du COREN depuis la présidence de Philippe Demaegt, co-organisatrice du CSI**** de Rouen et suit avec attention l’évolution du crack Atome des Etisses que pilote Laurent Goffinet, propriété du haras de Lacke dont elle est partenaire.

24/02/2021

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