La chronique de Rucio : l’obsession

Ainsi voit-on évoluer les foals sous la mère. Puis les 2 ans (on n’attend rien des yearlings). Et les 3 ans où l’on pense que l’avenir se décide. Cela peut aussi continuer en cours d’exploitation.

On a donc tous les ans des classements selon les âges, le sexe, les régions et on couronne par un national. L’éleveur du 1er prix se sent toujours investi de l’intérêt général suprême. Au point parfois d’échafauder des plans d’avenir dont il serait intéressant d’en vérifier l’aboutissement. Ce qui curieusement n’a jamais été fait.

Est-ce parce que nous ne vivons que le moment présent, fort de notre certitude qu’il ne mènera qu’à l’apothéose ? Ou sommes-nous fortement teintés d’orgueil au point de ne voir que ce que nous croyons alors qu’il serait incontestablement plus judicieux de croire ce que nous voyons. Cela prend évidemment beaucoup plus de temps.

Au fait, d’où nous vient cette obsession du modèle chez les jeunes sujets ? Elle remonte sans doute à une époque où la cavalerie - l’armée - dans son besoin d’ordre absolu et de déplacements incessants, exigeait des chevaux aux aplombs parfaits et avec des tissus les moins problématiques possibles (c’est peut-être pour cela qu’en Allemagne on évinça les alezan). Rien à redire sur ces deux points. Il n’était toutefois venu à l’idée de personne de calculer les angles,  les courbes, les ci, les là, qui ne pouvaient flatter que l’orgueil du moment. Ajoutons qu’à cette époque si la cavalerie exigeait des chevaux les plus identiques possibles, c’était aussi vraisemblablement pour créer l’harmonie et la beauté du défilé, de la parade. Un beau cheval, un cavalier sur un beau cheval, des spectateurs autour d’un cavalier montant un beau cheval : succès assuré ! Confiance renforcée !

Et puis un jour, beaucoup plus tard, quand tous les chevaux sont beaux, l’un saute quand même plus haut que les autres ! Avons-nous déjà regardé s’il s’agissait du plus beau ? Objectivement je veux dire, selon les critères définis par les différents stud-book ? Clairement, il n’est pas malsain de chercher à avoir des chevaux dont la morphologie leur permettra de répondre avec le moins de dommages possibles à ce à quoi on les destine. Et quand la beauté -  toute relative néanmoins - s’allie à la performance notre sourire vaut bien de l’or.

Et pourtant... Et pourtant leurs carrières sont de plus en plus courtes et la médecine vétérinaire qui les encadre toujours plus sophistiquée. Alors, le modèle ciblé est-il en cause ? La sélection opérée à partir de sujets fragilisés mais que la médecine a prolongés est-elle souhaitable ? L’enchaînement des CSO est-il effréné? Les cavaliers sont-ils attentifs à leurs montures ? Le mode de vie des chevaux est-il devenu stressant pour eux ? Et bien d’autres interrogations possibles encore... Autant de questions auxquelles il serait bon de réfléchir. Dans l’intérêt de tous les acteurs principaux, à commencer par les chevaux, lesquels ne semblent plus être l’animal que la mythologie avait sanctifié au point d’en faire un cheval ailé nommé Pégase.

Mais tenons nous-en à l’essentiel, les exemples étant légion de chevaux « vilains » ayant tenu le haut de l’affiche. Alors ? Notre sélection sur le modèle n’est-elle en premier lieu qu’un élément de parade ? Tant il nous est devenu impossible de regarder les chevaux pour ce qu’ils sont. S’il est incontestable qu’il y a aujourd’hui beaucoup plus de chevaux capables d’enchaîner un gros tour, les raisons en sont multiples. A commencer par une professionnalisation des métiers du cheval. Le pan économique qu’ils représentent désormais - et que les politiques aussi ont bien perçu - influence sans doute fondamentalement l’avenir des chevaux. A l’heure où l’on nous dit qu’il va falloir revoir notre mode de vie, combien même la majorité a misé sur la « marche forcée » toujours plus, toujours plus loin, sans jamais s’interroger sur le « mais pour aller où », on peut se poser la question du « Comment ».

Il est rafraîchissant de voir sur la carrière d’un poney-club tous ces enfants avec un sourire à attendrir les plus endurcis , trottinant à contre-temps sur leur monture , quelle qu’elle soit , alezane ou baie, « belle » ou pas. A cet instant précis, mais aussi sans doute la nuit dans leurs rêves , ils chevauchent Pégase.

Nul ne sait s’ils combattront un jour la Chimère.

RUCIO