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L’Anglo-Arabe : une histoire de passions

  • Raffaele Cherchi entre Alain James et Patrick Davesac (© ER)
    Raffaele Cherchi entre Alain James et Patrick Davesac (© ER)
  • Claude Joigneau et Georges Moutet (© ER)
    Claude Joigneau et Georges Moutet (© ER)
Raffaele Cherchi est directeur de l’organisme public qui gère toute la reproduction et la valorisation de l’élevage de chevaux en Italie qui aussi des étalons publics, comme autrefois les Haras Nationaux en France. Passionné par les Anglos, il a publié en italien il y a quelques années les recherches qu’il a faites en ce domaine. Son livre, traduit en français grâce à la contribution de l’ANAA, était présenté lors de la grande semaine de Pompadour où il faisait partie du jury.

Discussion autour de cet ouvrage avec deux autres passionnés, fervents défenseurs de la race pure, Georges Moutet, éleveur et propriétaire de Vadrouille d’Avril que pilote Olivier Robert et Claude Joigneau, éleveur, cavalier, naisseur de Vadrouille d’avril.

Le Cheval. Raffaele, pourquoi cette recherche ?
Raffaele. Il n’y avait pas de livre dédié seulement à la race Anglo-Arabe et c’était dommage. La race Anglo-Arabe est très importante dans le panorama des races européenne . C’est une race très, très ancienne qui est aussi à l’origine des autres races européennes. En Allemagne, on retrouve de l’Anglo dans les Trakehener, dans le Hanovrien, dans le Holstein et c’est très important.

L’autre raison c’est aussi parce que la race Anglo-Arabe dans les 20 dernières années a subi un lourd préjugé qui s’est répandu dans l’élevage. Beaucoup de personnes ont pensé que la race Anglo-Arabe n’est pas une race moderne, voire obsolète qui n’est plus adaptée à l’idée d’un cheval moderne pour le sport. Ce préjugé est totalement infondé, c’est seulement une opération commerciale. Quand a commencé à se diffuser l’utilisation de la semence congelée des étalons de race de Selle, l’Anglo-Arabe qui a toujours été un élevage de niche, a subi une baisse des naissances, et aujourd’hui la race est en très grande difficulté, surtout sur la lignée sport. La caractéristique de cette race est qu’elle est la seule à avoir deux lignées bien distinctes : la lignée course et la lignée sport. La lignée course survit et c’est bien parce qu’il y a de l’argent dans les hippodromes mais la lignée sport a eu beaucoup de difficultés ces dernières années  pour rivaliser avec l’incroyable développement des naissances de chevaux de sport. L’Anglo est un élevage de niche.
 
M. Moutet. Pour compléter ce que vous avez dit Raffaele, il faut savoir qu’ à l’époque, vers les années 70, on n’avait que des étalons de courses. Les Haras Nationaux, achetaient des chevaux de course sur modèle, pas sur performances. On a commencé à acheter sur performances en l’an 2000, et à ce moment-là, nous avions des étalons de course, élevés pour la course, donc avec beaucoup de sang, et c’est ce qui a fait du mal à l’origine à la race Anglo-Arabe. On disait qu’on avait des chevaux qui étaient « zinzins ». Quand on a commencé à faire la séparation entre chevaux de course et chevaux de sport, on a retrouvé une race sport qui est équivalente en caractère aux autres races européennes. On a des chevaux maintenant qui vont très bien avec un mental parfait. On le constate, les naissances sport repartent à la hausse et on retrouve dans des concours des bons Anglo-Arabes.

LC. Que pensez-vous de la 3e section que les puristes appellent les « batards » ?
Raffaele. Je suis puriste mais je ne suis pas contre la 3e section. Elle a eu le mérite de sauver la race. Et il faut savoir qu’il faut faire une première génération, puis s’arrêter parce que si on fait encore des croisements sur la 2e génération on va perdre ce qu’on a gagné avant. Et c’est très important pour sauver la race pure de trouver un accord avec les éleveurs. Je sais bien que les éleveurs ont voulu poursuivre pour des raisons économiques, parce que les chevaux sont plus faciles à vendre. La voie que nous devons suivre c’est de produire avec les meilleures juments de la race d’une part pour le marché et l’autre pour la reproduction en utilisant les techniques de reproduction à notre disposition, transfert d’embryons et ICSI. C’est très important de travailler comme ça. Mais surtout il faut travailler contre ces préjugés dont je parlais et faire connaître les qualités de la race Anglo-Arabe, l’importance qu’elle a eu et a toujours dans les régions de l’élevage, soit ici en France, soit en Italie, en Sardaigne particulièrement, mais aussi en Espagne, en Andalousie et en Pologne qui sont les deux autres nations qui ont bien travaillé sur la race ces dernières années.

LC. Sardaigne, terre d’élevage ?
Raffaele. Oui. La plupart des chevaux de Selle et de race Anglo-Arabe en particulier de l’Italie proviennent de Sardaigne. Pour l’Italie, 70 % de la production est Selle, en Sardaigne et 90% des chevaux sont Anglos.     

LC. Vous pourriez définir les qualités de l’Anglo ?
Raffaele. C’est la seule race qui a une polyvalence exceptionnelle. On peut l’utiliser dans tous les sports : courses, endurance, Concours Complet, Dressage, Saut d’obstacles, etc. Ce n’est pas possible de trouver une autre race qui a ces qualités. Les Anglos sont courageux et cela est important pour le croisement avec les races Selle. De tout temps, les autres stud-books ont toujours cherché dans la race Anglo-Arabe une qualité qui s’appelle le sang qu’il n’est pas possible de retrouver chez les reproducteurs de la race Selle pure et dans le passé on cherchait cette qualité dans la race Pur-Sang Anglais. Or aujourd’hui le Pur-Sang Anglais est élevé seulement pour la course et c’est très difficile de trouver des bons Pur-Sang Anglais pour le croisement.

M. Moutet. Ce que je voulais rappeler, l’élément central du livre de Raffaele pour moi c’est le fait que pour avoir une race il faut de nombreuses générations pour la fixer et ce n’est pas en mettant du Selle-Français sur des Anglo-Arabes qu’on va faire une race, au contraire, on considère, mon petit camarade Claude ici présent et moi on considère que la section 3 n’apporte rien à l’Anglo-Arabe. C’est les bâtards. On l’a fait pour dire que la race Anglo-Arabe se maintient mais ce n’est pas une race. Ça a été fait pour une raison de marketing.

Claude Joigneau. Ça a été mon profond désarroi, parce que quand les Haras Nationaux ont arrêté nous avons perdu pratiquement toutes les souches basses qui ont été dispersées puis mélangées à d’autres races et nous avons perdu le fil. Avec M. Moutet nous avons la seule souche française des deux plus grandes juments qui sont nées dans l’Adour, Resena par Nithard et Estella par Nithard. Nous les avons mariées après à 4 générations et 2 générations pour refaire une souche nouvelle, ce que nous sommes en train de faire, mais on nous prend ici pour des fous, on nous dit « mais qu’est-ce que vous faites avec des trucs pareils, mais qu’est-ce que ça veut dire ? ». Les Italiens, il y a 30 ans, ont acheté le meilleur étalon qu’il y avait sur le marché, il s’appelait Fox Trot. Je ne sais pas ce qu’il est devenu mais ce cheval-là n’aurait jamais dû partir en Italie, c’était un Laurier, Laurier n’avait produit que des cracks. qu’est-ce qu’il a fait en Italie ce cheval ? A-t-il fait beaucoup de bâtards ?

Raffaele. Il a produit seulement dans la race pure. Il n’a jamais travaillé pour la 3e section. Il est mort en 1992.

Claude Joigneau. Vous êtes très optimiste sur la race. Moi je suis inquiet depuis 25 ans. Georges est là et je lui ai dit « mais où va -t-on ? Ils sont en train de nous saccager les poulinières reines, on ne  les a plus. J’ai fait un article sur Mme Coche qui a été la plus grande éleveuse de chevaux de sport, qui a eu sur 24 produits, 14 ou 15 indicés au-delà de 150, c’est monumental. Elle a vendu ces juments-là à des clients français et étrangers qui ont fait de la reproduction avec ces cracks juments. Résultas : 0 gain, 0 indice, ils n’ont rien produit avec des Selle Français, mais rien du tout, c’est terrible ça, et les gens ne s’en rendent pas compte. Moi ça me tue.

Raffaele.  Je suis un peu optimiste. Je dois l’être. Je travaille dans le public et je dois travailler pour être optimiste sinon c’est très difficile de convaincre les autres. Ces dernières années, on a eu quelques bons résultats, le nombre des naissances en Sardaigne augmente en race pure et c’est très important. Nous cherchons à faire des projets en collaboration avec les éleveurs, on va financer des opérations. Par exemple, nous emmenons ici depuis plusieurs années des poulains. Cette année ce sont ceux de la 3e section, mais jusqu’en 2019 nous avons emmené des chevaux de race pure et c’est un bon résultat pour nous d’avoir convaincu des éleveurs à adhérer à ce projet. C’est très difficile. L’organisme public doit mettre de l’argent pour cela. Ici en France c’est un problème depuis la fin des Haras Nationaux.

Claude Joigneau. Ce qui a tué la race c’est la photographie. Je vous explique : avant on avait des Anglo-Arabes qui couraient de très grosses épreuves et qui réussissaient dans le monde entier. Depuis 5 ans il n’y a plus un Anglo qui est capable de sauter une 150. La seule qui saute en France les 150 c’est Vadrouille d’Avril et c’est moi qui l’ai fait naître, suite à notre fameuse collaboration sur nos deux poulinières. Vadrouille d’Avril a gagné à Aix-la-Chapelle, mais il n’y a pas un Anglo qui va regagner pendant  20 ans ou 25 ans. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a plus de gens comme lui qui exploitent au haut niveau. C’est ça le malheur de l’Anglo. C’est ça la vitrine.

Claude Joigneau. Regardez le 2e du championnat olympique de Concours Complet, la mère est une Anglo croisée avec Jaguar Mail. Il est second l’Australien, il a fait un parcours de concours hippique  digne d’une grosse épreuve en France, il a sauté comme un crack ce cheval, Vassily de Lassos. Donc on peut aller encore au haut niveau avec des très bonnes mères.

Georges Moutet. Je voulais juste faire un petit aparté sur l’origine de l’Anglo-Arabe en France, parce que Raffaele fait remonter ça en 1 700 et quelque par l’importation des chevaux Arabes par le Duc de Grammont, et moi qui défends l’élevage du Sud-Ouest, je dis attention, il y a un Duc de Grammont qui était l’arrière, arrière grand-père du Grammont du 18e siècle, qui était Ambassadeur de France en Espagne, dans l’Espagne de Philippe II, donc 2e moitié du XVIe siècle, 1 500 et quelque, qui a importé des chevaux arabes d’Espagne. Pour moi c’est lui à l’origine de l’Anglo-Arabe dans le Sud-Ouest. Parce que ces étalons Arabes ont été mélangés à la population locale, des juments de Trait. Donc pour moi ça remonte 200 ans avant le Duc de Grammont en question.

Claude Joigneau : En plus lors de la campagne d’Egypte, Napoléon  a ramené des Arabes purs d’Egypte pour faire la remonte de l’armée. Parce que lui ne montait que des Arabes. C’est quand même une belle histoire.
J’ai trouvé que les étalons que vous avez emmenés cette année étaient plus élégants, avaient plus de bec, plus de chic que les nôtres. Il me semble qu’on a un peu perdu de ce chic en essayant de le faire plus fort, plus adapté au saut.

Raffaele. J’ai jugé les 3 ans et j’ai vu qu’il y a beaucoup de chevaux qui n’ont pas de bonnes généalogies. En revanche, c’est très bien du côté de Nathan de la Tour.

Propos recueillis par ER

26/10/2021

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