Le cheval Karabakh par Jean-Louis Gouraud

Stupeur dans le petit monde du cheval : le 3 décembre 2013 - il y a moins d’un an ! - l’Unesco, cette vénérable institution qui attribue le label très recherché de « patrimoine mondial », adopte à l’unanimité une candidature présentée par l’Azerbaïdjan, petit pays du lointain Caucase et reconnaît un jeu équestre local, appelé tchovgan, comme faisant partie de ce patrimoine immatériel de l’humanité. La stupeur est d’autant plus grande que, le même jour, au cours de la même session, l’Unesco rejette une candidature déposée par l’Autriche, qui souhaite l’inscription de la très prestigieuse et très ancienne École Espagnole de Vienne !

Stupeur et interrogations : en quoi consiste ce jeu, le tchovgan, dont personne n’a la moindre idée. Renseignements pris, c’est une sorte de polo, en plus rustique : des gaillards à cheval qui tapent dans une balle à l’aide d’un maillet. Rien d’extraordinaire, pas de quoi, en tout cas, en faire un élément du patrimoine universel ! Certes, répondent les intéressés, mais nous ne prétendons pas avoir inventé ce jeu, pratiqué en effet un peu partout dans le monde. Nous disons seulement (il faut lire attentivement les attendus de l’Unesco) que, chez nous, ce jeu se pratique sur un cheval particulier, le cheval karabakh.

Le cheval quoi ? Jamais entendu parler !

Seuls ceux qui se sont intéressés de près à l’élevage du cheval à l’époque soviétique se souviennent vaguement qu’une des quinze républiques constituant l’URSS - en l’occurrence l’Azerbaïdjan, riche de son pétrole et de son caviar (elle borde la mer Caspienne) - possédait un joli petit cheval, plus ou moins menacé de disparition, qui avait servi autrefois comme améliorateur de certaines races russes, comme le terski ou le dontchak (cheval du Don). Mais depuis l’effondrement du système communiste, impossible de savoir ce qu’il était devenu.

Eh bien, il est en pleine forme, comme on s’en apercevra en feuilletant le magnifique ouvrage que les éditions Favre (Lausanne, Suisse) viennent de lui consacrer. Pour réaliser cet album prestigieux, au prix attrayant (20 €), l’éditeur a fait appel aux meilleurs auteurs, en premier lieu la journaliste franco-turque, Nur Dolay, qui, étant d’origine caucasienne et s’étant déjà intéressée à différents types de chevaux de la région (en particulier au cheval kabardine), était la mieux placée pour évoquer cette race devenue rare, raconter son histoire (mouvementée), décrire ses caractéristiques et répertorier ses mille usages.

Les photos, réalisées spécialement pour ce livre par Cyril le Tourneur d’Ison, rendent l’ensemble très spectaculaire et en même temps très touchant, car on n’y voit pas que des chevaux, mais aussi les hommes qui s’en occupent ou l’utilisent, et les somptueux paysages qui servent de cadre à cette intimité entre les Azerbaïdjanais et le cheval karabakh.

Interrogé au sujet de cet ouvrage, le président de la Fédération Azerbaïdjanaise d’Équitation (ARAF), Elchin Guliyev, a bien voulu nous faire la déclaration suivante : « Notre pays, l’Azerbaïdjan, est connu - on pourrait mieux dire : convoité - pour ses richesses naturelles, le pétrole et le gaz. Ce qui ne nous a d’ailleurs pas toujours apporté que du bonheur, mais parfois au contraire bien des tourments.

Il est célèbre aussi, Dieu merci !, pour ses nombreuses richesses culturelles : ses musiques (le mugham), sa littérature, ses tapis, sa gastronomie, son architecture. Ce qui, évidemment, nous honore beaucoup.

Mais il est une de nos principales richesses, une des plus précieuses à notre cœur, qui n’a pas encore acquis la notoriété internationale qu’elle mérite : c’est le cheval, notre cher cheval azerbaïdjanais : le cheval karabakh.

Glorifié dès l’Antiquité, il a subi au cours des deux siècles écoulés de tels assauts, de telles agressions, qu’il a fini par être menacé de disparition, voire d’extermination, spécialement dans les années 1990 où il fut chassé de son berceau, le Karabakh.

Heureusement, nos efforts de sauvegarde commencent à porter leurs fruits. Une sorte de consécration nous a été apportée par l’Unesco, lorsque cette dernière a admis un de nos jeux équestres traditionnels, le tchovgan, qui se pratique à dos de chevaux karabakh, dans la liste des éléments du patrimoine immatériel mondial. Les mesures menées par notre pays afin de redonner vie aux activités équestres seront récompensées aussi par la tenue sur notre sol, en décembre 2014, de l’Assemblée Générale de la Fédération Équestre Internationale.

La parution du présent ouvrage, à la veille de l’organisation des Jeux Équestres Mondiaux en Normandie en France, fait partie de ces événements qui témoignent de la résurrection du cheval karabakh. »

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