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Patrice Franchet D’Espèrey par Jean-Louis Gouraud

La première fois que j’entendis parler de lui (c’était dans les années 1980), son nom, évidemment, ne m’était pas inconnu. Un nom prestigieux : celui d’un maréchal de France (1856 - 1942) qui, comme mon homonyme le général Gouraud, fut un proche de Lyautey au Maroc avant d’aller, en 1914, tenter de contenir les Allemands sur la Marne. Mais le Franchet d’Espèrey dont il était alors question ne s’était pas encore fait un prénom. Photo 1 sur 1

Celui qui m’en parlé pour la première fois est un personnage un peu grincheux mais très savant, que je fréquentais alors assidûment. Ancien parfumeur reconverti dans le dressage, un physique à la Dufilho, ce petit bonhomme était un grand monsieur. Il s’appelait René Bacharach. Passionné d’équitation - la belle, la seule : celle de Baucher ! -, il avait connu Beudant, auquel il vouait une admiration sans borne. Pour lui, d’ailleurs, depuis Beudant, il ne s’était rien passé d’intéressant dans le domaine équestre.

Depuis la mort de son modèle, Bacharach ne faisait rien d’autre que de bougonner - et de relire l’intégrale des œuvres des grands maîtres du passé, dont il possédait des exemplaires - généralement en édition originale : Bacharach disposait en effet de la plus belle bibliothèque spécialisée de Paris - et peut-être même de France. Aussi, l’âge venant, et malgré son mauvais caractère, était il très entouré, choyé, dorloté, par toutes sortes de gens, libraires ou cavaliers à l’affut, désireux de mettre un jour la main sur son trésor.

Le vieux misanthrope, célibataire et sans héritier, ne se faisait guère d’illusion sur la sollicitude tardive dont il faisait l’objet. Il tenait au sujet de ces visiteurs du soir des propos peu amènes. Sauf sur l’un d’eux : un jeune homme délicat, attentif, courtois. Qui s’appelait, c’était un premier atout, Franchet d’Espèrey - et se prénommait Patrice.

René Bacharach en fit son légataire. Ce fut un choix judicieux car Patrice sut non seulement préserver l’intégrité de la collection, composée de livres, de coupures de presse, et de toute sorte de précieux documents (en particulier des échanges de lettres avec d’éminents correspondants), mais il sut l’enrichir et, surtout, lui donner vie.

Ma relation avec René Bacharach  n’avait rien de sentimental, et encore moins d’idéologique. Elle était purement pratique : à la fin de sa vie, le vieux monsieur avait eu envie de sélectionner, dans l’immense corpus que constitue ce que Paul Morand a appelé « la littérature équestre Â», les phrases, les sentences, les préceptes qui lui paraissaient les plus judicieux. Je lui proposai d’éditer ce recueil de citations, d’en faire un beau livre - auquel Bacharach eut l’idée de donner pour titre Réponses équestres.

Cet ouvrage, une de mes fiertés d’éditeur, fut un des tout premiers livres à paraître dans une collection (Caracole) que je venais de créer pour  une maison de Lausanne, Favre. C’était en 1986 : quatre-vingts ans exactement après la première édition des fameuses Questions équestres du général L’Hotte auxquelles le titre choisi par Bacharach faisait naturellement référence.

Poursuivant, d’une certaine façon, l’œuvre de son bienfaiteur, Patrice Franchet d’Espèrey m’a confié, bien des années plus tard, la publication de deux textes inédits de toute première importance - deux manuscrits exhumés des caisses d’archives de René Bacharach.

Le premier est la longue lettre que Etienne Beudant (1863 - 1949), devenu impotent, écrivit à celui auquel il confia sa chère jument, qu’il ne pouvait plus monter : une sorte de mode d’emploi - mieux : de testament - dans lequel le maître raconte comment cette jument fut, en quelque sorte, le chef d’œuvre de sa vie d’écuyer. J’ai donné pour titre à ce texte à la fois très technique et très émouvant le nom de la jument : Vallerine, et l’ai publié dans la même collection que les Réponses équestres de feu René Bacharach : Caracole (Favre, 2005).

Le second est plus extraordinaire encore.

Tous les amateurs ont lu, et tous les connaisseurs ont apprécié un des deux ouvrages (j’allais dire : un des deux évangiles) de cet Etienne Beudant que René Bacharach, après le général Decarpentry, considérait comme un « Ã©cuyer mirobolant » : Extérieur et Haute-École, paru en 1923. Ce que tout le monde ignorait, c’est que son auteur n’avait cessé, depuis sa parution, de le corriger, le remanier, l’amender, à la lumière de ses nouvelles expériences de dressage - jusqu’à en faire un ouvrage totalement différent … mais demeuré inconnu.

Ce manuscrit, dont la dernière mouture date de 1948, c’est-à-dire peu de temps avant la mort de son auteur, aurait été définitivement perdu si Patrice Franchet d’Espèrey n’en avait retrouvé le brouillon dans la donation de Bacharach, ne l’avait remis en forme et, après avoir comparé les deux versions (1923 et 1948), n’en avait permis l’édition simultanée dans un ouvrage que je suis également très fier d’avoir publié (en 2008) dans la collection semi-savante, Arts équestres, que les éditions Actes Sud m’avaient entretemps demandé de créer.

Sûr que le départ à la retraite du conservateur de la médiathèque de l’École Nationale d’Équitation permettra à Patrice de poursuivre son travail de sauvegarde de la culture équestre. Il n’y a pas de quoi, on le voit, utiliser ici le surnom que certains, devant son manque d’enthousiasme face à une certaine évolution du monde, lui ont donné : « franchement désespéré ».

27/06/2013

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