Pégase à Saumur par Jean-Louis Gouraud
Le seul endroit de France qui me console de payer des impôts, c'est Saumur. C'est l'Ecole Nationale d'Equitation. C'est le Cadre Noir. D'autant que ce dernier m'est apparu en plutôt bonne forme la dernière fois que je l'ai vu. C'était samedi 21 avril, à l'occasion du Printemps des Ecuyers, manifestation annuelle au cours de laquelle nos fonctionnaires en noir ne craignent pas de se confronter à un invité – dresseur célèbre, académie étrangère, cascadeur intrépide ou cirque équestre – qui risquerait pourtant, parfois, de leur faire de l'ombre.
Ombre et lumière : cette année, c'était Lorenzo, le piéton à cheval. L'homme debout. En équilibre sur ses merveilleux petits chevaux blancs ou gris, pleins de vie, de vitalité, de fraicheur, de gaîté. Lorenzo l'enchanteur. Lorenzo le magicien. Lorenzo le séducteur. Lorenzo, le meilleur des meilleurs.
Juste avant le spectacle, le directeur de l'Ecole, Robert d'Artois, et le secrétaire (perpétuel) de l'Académie Pégase, Guillaume Henry, ont remis sous les projecteurs et les pieds dans la sciure du grand manège les deux prix littéraires que ces deux institutions attribuent conjointement chaque année.
Plus qu'une remise de Prix, on aurait pu croire cette année à un concours de beauté : les deux lauréates, en effet, étaient deux jeunes femmes plus que charmantes. Belles et intelligentes.
Le Prix Pégase-Cadre Noir fut remis à Hélène Dubois-Aubin pour son livre « Légendaire cheval : mythes, folklores et traditions » (mens sana éd.) qui dresse, par le texte et par l'image, un vertigineux inventaire des mille façons dont l'homme, intégrant le cheval dans ses croyances, a fait de lui un emblème, une allégorie, une métaphore de ses craintes et de ses espoirs, de ses forces et de ses faiblesses, des ses vices et de ses vertus.
Le Prix Pégase-Ecole Nationale d'Equitation a été remis à Claire Veillères pour son magnifique roman, « La Capture » (Le Rocher éd.) dans lequel elle raconte avec subtilité la relation entre un étalon à moitié sauvage et une jeune sauvageonne à moitié civilisée, et comment la ruse de l'animal parvient à mettre en échec la ruse des hommes. Une histoire qu'on aimerait voir un jour au cinéma.
D'abord surprise de se voir attribuer ce prix qu'elle croyait réservé aux seuls ouvrages d'équitation, Claire Veillères, ayant sans doute rafraichi sa mémoire en plongeant dans l'ouvrage de sa dauphine Hélène Dubois-Aubin, s'est souvenue « que Pégase, le cheval ailé de la mythologie grecque, avait bien accepté d'être monté par Bellérophon afin de la conduire jusqu'à Zeus. Mais ensuite, jugeant indigne le comportement de son cavalier, Pégase l'avait fait chuter ».
Et alors ?
Alors, en conclut Claire Veillères, « dans l'aventure Pégase, il y a donc deux faces, deux moments. Le moment équestre : l'intelligence du cheval par l'homme, et le moment équin : l'intelligence de l'homme par le cheval. La capacité qu'a le cheval de deviner l'homme, de le juger peut-être, en tout cas de le choisir ou de le rejeter. Mon roman renvoie plutôt à cette seconde face du mythe. Certes, pour nous cavaliers, le cheval, c'est la culture, c'est l'équitation. Mais en réalité, le cheval, c'est d'abord la nature. Une nature dont la beauté, la liberté, l'instinct, la fronde sont à l'origine de notre fascination et peut-être de notre désir d'équitation. Merci aux membres de l'académie Pégase de n'avoir pas oublié que, de la bête ailée, l'homme peut choir, et que le cheval, toujours libre, reste toujours à reconquérir. Même ici, même dans le temple de l'équitation française. Ce n'est d'ailleurs peut-être pas un hasard si ce soir, les écuyers du Cadre, qui vont illustrer par leur talent la conquête du cheval, accueillent également Lorenzo qui lui, nous rappellera surtout que le cheval est libre. »
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