Quand économie rime avec écologie...
(en ligne le 24 septembre 2009) La règlementation de l’élevage du Trotteur français a la particularité d’être très encadrée, donc très contraignante, et d’imposer de nombreuses interdictions. Nous relevons à l’article 7 du règlement du stud-book du Trotteur français,
dont la dernière mouture a été approuvée par le Ministre en charge de l’agriculture le 27 juin 2008, les dispositions suivantes :
« Seuls peuvent être inscrits au stud-book du Trotteur Français les produits qui outre les conditions énumérées à l’article 4 n’ont pas été conçus par semence transportée... » (sic).
Cela impose, à tout éleveur décidant de mettre une jument à la reproduction, de la transporter au lieu où est stationné l’étalon. Précisons que bien souvent le poulain de cette jument, âgé d’environ une à quatre semaines, sera également du voyage.
Le vagabondage des juments !
Les statistiques de la monte 2007 en race Trotteur Français, mises à disposition sur le web par les Haras Nationaux, montrent que la moitié des étalons résident en région Basse Normandie et officient sur près des deux tiers des juments TF de l’hexagone. On découvre précisément que 4 638 juments saillies dans cette région viennent de l’extérieur, soit un peu plus du quart des juments de l’hexagone ! A titre d’exemple, remarquons que la région Centre envoie 493 juments sur 592 à la reproduction hors de ses frontières. La Bretagne en déplace 593 sur 755 tandis que c’en sont 212 sur 279 pour l’Aquitaine...
Cette interdiction génère donc d’importants mouvements de juments. A partir des statistiques concernant l’ensemble des régions françaises, nous avons tenté de quantifier ce que peuvent représenter ces déplacements. Il en résulte que la distance moyenne qui sépare une jument de l’étalon auquel elle est promise peut être estimée à 209 km. Nous avons admis que, pour la mise à la reproduction d’une jument, il fallait réaliser 2 voyages soit 4 trajets du lieu de résidence de la jument au haras où stationne l’étalon. Cette hypothèse est valable, aussi bien dans le cas où la jument va en pension au haras ou à proximité et en revient après un diagnostic de gestation positif, que dans le cas où elle fait un aller et retour par Å“strus, 2 voyages étant la situation moyenne. Avec ces éléments, nous aboutissons à une estimation moyenne de ces déplacements par jument et par an de 836 km.
Les techniques disponibles
En fonction du mode de conservation de la semence, il existe aujourd’hui trois techniques utilisables, à savoir :
1. La semence fraîche diluée ou non et utilisée immédiatement après la collecte, la jument étant stationnée au même endroit que l’étalon donneur.
2. La semence réfrigérée à 4°C, diluée, conditionnée, ce qui autorise son transport, dans un contenant isolant et adapté. Elle est utilisable 24 à 48 h (selon les étalons), permettant ainsi une expédition dans toute la France et les pays limitrophes.
3. La semence congelée à -196 °C par immersion dans l’azote liquide, diluée, conditionnée en paillettes. Elle est expédiée dans des récipients spécifiques, type vase de Dewar. Cette technique permet une très longue conservation qui se chiffre en années. Son expédition ne pose plus de problèmes de délais et assouplit les conditions de travail.
Les deux dernières techniques, qui permettent le transport de ce sperme, évitent donc le déplacement de la jument au haras. D’autres races équines utilisent avec bonheur cette possibilité. En effet, sur 10 820 juments « Selle Français A » mises à la reproduction en 2006, 8 923 ont eu recours à l’insémination artificielle dont 19 % en sperme frais sur place et le reste, soit 81 %, en semence réfrigérée ou congelée (3 256 pour la première technique et 3 929 pour la seconde). Compte tenu du fait que quelques inséminations sur place sont réalisées en sperme réfrigéré, c’est près de 80 % des inséminations en « Selle Français A » qui bénéficient du transport. Notons au passage que la fertilité apparente, mesurée par les Haras Nationaux, était de 59 % en sperme frais sur place, 58 % pour le réfrigéré et 62 % pour le congelé. Ces résultats sont par défaut puisque l’absence de déclaration de l’éleveur est considérée comme un échec. De l’avis des spécialistes, qui ont mesuré la fertilité comparée de la semence préparée selon les différentes techniques en enregistrant de façon exhaustive les résultats, une différence de 4 à 5 points du pourcentage de fertilité par Å“strus en faveur de la semence fraîche par rapport au réfrigéré et au congelé est admise. Cette différence s’estompe si l’on considère la fertilité par saison de monte.
Il est évident que si cette pratique du transport du sperme a pris un tel essor chez le Selle Français où elle est autorisée, c’est qu’elle apporte une véritable amélioration par rapport au dispositif archaïque du transport de la jument, tout en garantissant une fertilité équivalente en fin de saison.
Pourquoi alors une telle interdiction
en Trotteur Français ?
On peut légitimement se poser la question de la ou les raisons qui justifient cette contrainte. Des tentatives de réponses existent dans le plaidoyer pour « la défense de la race du Trotteur Français » (sic) diffusé par la SECF dans une plaquette remise aux participants des réunions régionales de l‘automne 2006.
Concernant la semence transportée nous relevons les arguments suivants que nous analysons un à un :
« Au plan zootechnique » (sic), maintenir la diversité du cheptel et lutter contre la consanguinité. Cette position est paradoxale. En effet le transport du sperme, qui assouplit les contraintes de distances, favorise les échanges et devrait permettre plus de variété dans les accouplements. Affranchir les éleveurs de la contrainte des distances ne peut que donner plus de liberté pour gérer les exigences de choix relatives au potentiel génétique et à l’adéquation entre les pedigrees de l’étalon et de la jument. Afin de lutter contre la consanguinité l’instance en charge du Stud-book TF serait mieux inspirée de développer, par exemple, les 3 actions suivantes :
- Informer les éleveurs des risques de la consanguinité.
- Introduire le critère d’originalité du pedigree à côté du potentiel génétique performance pour autoriser les étalons.
- Mettre à disposition des éleveurs, sur internet par exemple, un outil permettant de tester la parenté d’une jument avec plusieurs étalons, afin de pouvoir faire le choix le plus pertinent en comparant les coefficients obtenus.
« Au plan économique et juridique » (sic) : Il s’agit essentiellement de protéger les haras et les établissements qui vendent de la pension de juments. Remarquons que les établissements qui pratiquent de « l’hôtellerie équine » sous forme de pension temporaire verraient cette activité diminuer, celle-ci pouvant se transformer partiellement en pension permanente pour les éleveurs sans sol. Quant à la stricte activité d’étalonnier, il y aurait également modification de la nature des prestations mais sans pour autant induire une diminution. Le haras devrait être capable de préparer de la semence réfrigérée et/ou congelée et en faire l’expédition. Par ailleurs, les inséminations non réalisées et correspondant aux semences expédiées ne diminueraient pas les recettes. De plus, des semences reçues de l’extérieur seraient à mettre en place. Ce nouveau dispositif serait globalement favorable pour les haras et privilégierait particulièrement ceux disposant d’étalons valables ainsi que des capacités techniques et logistiques. L’adoption de pratiques utiles à la filière ne devrait pas pouvoir être entravée par d’artificielles protections.
« Au plan de l’élevage » (sic) : Interdire le transport de la semence est considéré comme une particularité utile à la race ! Dans le document de la SECF sus visé nous relevons comme credo : «..., pas de réintégration dans le Stud-book des produits conçus par sperme congelé à l’étranger,... » (sic). Il faut signaler que l’actuelle interdiction du transport de sperme n’empêche pas l’exportation de semence de nos meilleurs étalons qui, parfois, engendrent plus de naissances à l’étranger qu’en France ! Précisons que ces produits s’inscrivent dans les stud-books de destination de la semence. Avec ou sans interdiction, la situation sera inchangée, les juments étant généralement étrangères. Par ailleurs, constatons que la position de la SECF est pour le moins ambiguë lorsque l’on connait sa politique de développement de l’exportation de juments et d’étalons ainsi que la signature de conventions pour produire des sujets Trotteurs Français à l’étranger ! De telles conventions ont été signées dans 15 pays (voir Trot Infos N°51 octobre 2008). La victoire à Reims le 28 juin dernier de Ruletka, pouliche TF née chez Alexander Vorobij en Ukraine, en est un exemple concret. Nous ne critiquons pas ce projet de convention mais sommes interpellés par le manque de cohérence avec les objectifs poursuivis et communiqués par le credo sus mentionné ainsi qu’avec la politique de réduction des naissances en France.
Dans ce contexte, que ce soit le maintien de la particularité de la race avec les règles spécifiques du Stud-book, la diminution des naissances ou le maintien d’un berceau de race, nous laissons le soin au lecteur d’apprécier la valeur de ces arguments...
« Au plan des courses » (sic) : le maintien de la spécificité du Trotteur Français afin d’éviter le pillage de nos allocations par les étrangers. L’objectif est méritoire mais les moyens sont-ils à la hauteur ?
Si la spécificité du Trotteur Français est la qualité de ses performances sur longues distances, c’est un excellent moyen de limiter ce pillage mais ce n’est pas l’interdiction du transport de la semence qui lui conférera cette qualité.
Nous lisons, dans le magazine Top Trot N°6 de juillet-août 2005, sous la plume du Président de la SECF : « En France, nous avons la chance d’avoir un trotteur spécifique et reconnu comme tel depuis le 19 ème siècle par rapport au standardbred, justement parce que nous avons choisi une sélection sur les longues distances et que nous avons conservé les courses de trot monté, tout en maintenant une pluralité de configuration de pistes, ce qui est à l’opposé du schéma de la sélection du standardbred » (sic).
Que dire alors des résultats obtenus par les quelques étrangers participant aux épreuves qui sont la spécificité du Trotteur Français ? Sur les 2 700 m du Prix d’Amérique de cette année, Opal Viking décroche un premier accessit. Même résultat pour Exploit Caf sur les 4 150 m du Prix de Paris le 17 février. Au monté, relevons la victoire de Hot Tub le 10 mai et une seconde place de Rite On Track le 21 septembre sur respectivement 2 700 et 2 850 m à Vincennes. Tout récemment, Unico Limburgia s’illustre par ses victoires le 24 octobre puis le 21 novembre sur 2 850 m à Vincennes. Il n’est donc pas raisonnable de considérer l’aptitude au trot monté et aux longues distances comme une spécificité du Trotteur Français.
Nous savons très bien que si la filière française du trot craint, à juste titre, la concurrence des étrangers pour venir moissonner nos allocations, c’est que la qualité génétique de leurs performers est à la hauteur. La meilleure défense de nos intérêts ne serait-elle pas la mise en place d’un véritable programme d’amélioration génétique sur des bases rationnelles avec l’appui de scientifiques ?
Si la spécificité du Trotteur Français est une simple disposition règlementaire, il faut bien chercher le sérieux de cet argument. C’est aussi peu convainquant que d’inventer, par exemple, une spécificité du Trotteur Français sur la composition du dilueur du sperme ou du mode de contention des juments ! En la matière, que change le fait que la jument soit inséminée dans son élevage ou à côté de l’étalon ?
Une voie de progrès et la voix de l’intérêt général
Il est évident que l’option transport du sperme accessible à tout éleveur de trotteurs de l’hexagone apporterait une salutaire égalité des chances quelle que soit la région ainsi qu’une grande facilité de travail. Il est également évident que, comme nous l’avons montré ci avant, le transport du sperme ne modifierait pas globalement l’équilibre économique des haras et pourrait plutôt favoriser les plus compétents.
Examinons en détail les autres conséquences d’une telle évolution.
Économie et gain de temps
Pour l’éleveur, la première conséquence de ne plus devoir emmener la jument à l’étalon est une réduction drastique des déplacements. Dans certains cas, il en subsistera pour le suivi gynécologique et l’insémination à l’établissement compétent le plus proche. Nous estimons que ce déplacement a une incidence moyenne de 60 km par jument et par an. Ainsi les transports réellement économisés sont de 836 km, selon le calcul explicité ci avant, moins 60 km, soit 776 km. Si l’on retient un coût minimum de 0,90 € du km, véhicule plus temps, l’économie peut se chiffrer en moyenne à 698 € par jument et par an. Il faut en déduire les frais d’expédition de la semence et de l’acte insémination qui se chiffrent à environ 200 €. En la matière, l’économie nette par an et par jument, pour l’éleveur, est donc de 498 €.
La santé avant tout
Il est bien difficile de mesurer les conséquences de cette « transhumance » en termes de santé animale. Le stress du voyage, de même que les contacts avec des chevaux autres que ceux du groupe habituel, favorisent les pathologies infectieuses. Ce dernier risque est maximum lorsque la jument et surtout son jeune poulain sont mis en pension dans un milieu pour lequel leur système immunitaire n’a pas été préparé. Nous savons combien les poumons et les intestins de nos poulains sont fragiles et parfois la cible de germes plus ou moins banaux que les circonstances rendent pathogènes. Nos petits protégés payent un lourd tribut aux streptocoques, salmonelles, rotavirus et autres corynébactéries. La rhodococcose est un exemple démonstratif. Saurons-nous combien de poulains, touchés par une infection pulmonaire plus ou moins discrète et guérie, auront à jamais diminué leur capacité d’endurance et entravé gravement leur carrière sportive ? Par ailleurs, l’épidémie d’Artérite Virale Équine de 2007 nous a fait prendre la mesure des risques qu’induisent les déplacements d’animaux. Les conséquences économiques, notamment en frais vétérinaires, en perte de poulains et plus sournoisement en dépression de performances sportives, sont probablement plus importantes que la simple économie sur les déplacements, pourtant significative. De toute évidence, réduire autant que faire ce peut les déplacements et les contacts représente la voie de la sagesse.
Le bien être animal
La plupart des éleveurs ressentent combien le transport des juments et de leur poulain représente une contrainte mal vécue pour les animaux. Combien d’entre nous multiplient les arrêts pour surveiller, reposer, faciliter la tétée ou abreuver la jument. Aujourd’hui, ce sentiment intuitif est officialisé par une règlementation initiée par l’Europe dans le cadre de ses préoccupations en matière de bien être animal. Dans certains cas, il n’est plus possible de transporter un poulain de moins de 8 jours et donc la saillie sur Å“strus post-partum devient impossible si la jument a pouliné à l’élevage. De lourdes contraintes administratives s’imposent et viennent donc accroître la difficulté des éleveurs pour la mise à la reproduction à l’étalon choisi.
Un peu d’écologie
Enfin, réalisons que si 16 000 juments de race TF parcourent en moyenne 776 km chacune, cela occasionne en une année plus de 12,4 millions de km inutiles, pour la simple mise à la reproduction. A raison de 231 g de CO2/km, cette fantaisie règlementaire représente la production de 2 870 tonnes de gaz carbonique. Il n’y a pas de petits efforts pour réduire notre consommation énergétique et la production de gaz à effet de serre. Comment l’élevage, qui se veut être une activité écologique, peut-il gratuitement gaspiller autant d’énergie et générer une telle pollution ?
Le choix de la raison pour la filière
Le bilan du choix opérationnel est sans appel. Les éleveurs de Selle Français ont montré l’exemple et ont plébiscité, par son développement, une pratique induisant une amélioration notoire des conditions d’élevage. Cette évolution ne peut que rendre les éleveurs plus performants et donc favoriser la filière du trot français face à ses concurrents étrangers, a fortiori dans un contexte économique difficile avec des perspectives d’évolution défavorables du coût du temps de travail et de l’énergie.
Les atteintes que les activités humaines portent habituellement à l’environnement sont généralement conséquence de l’emploi de techniques qui en facilitent la réalisation (déplacements, chauffage, communications, etc.). Dans le cas qui nous concerne, au contraire, facilité rime avec écologie !
Gageons que cet heureux mariage de l’économie et de l’écologie puisse enfin toucher les décideurs.
Jacques Boully, Président du conseil d’administration GEMTROT E-Mail : felliere@orange.fr)
« Seuls peuvent être inscrits au stud-book du Trotteur Français les produits qui outre les conditions énumérées à l’article 4 n’ont pas été conçus par semence transportée... » (sic).
Cela impose, à tout éleveur décidant de mettre une jument à la reproduction, de la transporter au lieu où est stationné l’étalon. Précisons que bien souvent le poulain de cette jument, âgé d’environ une à quatre semaines, sera également du voyage.
Le vagabondage des juments !
Les statistiques de la monte 2007 en race Trotteur Français, mises à disposition sur le web par les Haras Nationaux, montrent que la moitié des étalons résident en région Basse Normandie et officient sur près des deux tiers des juments TF de l’hexagone. On découvre précisément que 4 638 juments saillies dans cette région viennent de l’extérieur, soit un peu plus du quart des juments de l’hexagone ! A titre d’exemple, remarquons que la région Centre envoie 493 juments sur 592 à la reproduction hors de ses frontières. La Bretagne en déplace 593 sur 755 tandis que c’en sont 212 sur 279 pour l’Aquitaine...
Cette interdiction génère donc d’importants mouvements de juments. A partir des statistiques concernant l’ensemble des régions françaises, nous avons tenté de quantifier ce que peuvent représenter ces déplacements. Il en résulte que la distance moyenne qui sépare une jument de l’étalon auquel elle est promise peut être estimée à 209 km. Nous avons admis que, pour la mise à la reproduction d’une jument, il fallait réaliser 2 voyages soit 4 trajets du lieu de résidence de la jument au haras où stationne l’étalon. Cette hypothèse est valable, aussi bien dans le cas où la jument va en pension au haras ou à proximité et en revient après un diagnostic de gestation positif, que dans le cas où elle fait un aller et retour par Å“strus, 2 voyages étant la situation moyenne. Avec ces éléments, nous aboutissons à une estimation moyenne de ces déplacements par jument et par an de 836 km.
Les techniques disponibles
En fonction du mode de conservation de la semence, il existe aujourd’hui trois techniques utilisables, à savoir :
1. La semence fraîche diluée ou non et utilisée immédiatement après la collecte, la jument étant stationnée au même endroit que l’étalon donneur.
2. La semence réfrigérée à 4°C, diluée, conditionnée, ce qui autorise son transport, dans un contenant isolant et adapté. Elle est utilisable 24 à 48 h (selon les étalons), permettant ainsi une expédition dans toute la France et les pays limitrophes.
3. La semence congelée à -196 °C par immersion dans l’azote liquide, diluée, conditionnée en paillettes. Elle est expédiée dans des récipients spécifiques, type vase de Dewar. Cette technique permet une très longue conservation qui se chiffre en années. Son expédition ne pose plus de problèmes de délais et assouplit les conditions de travail.
Les deux dernières techniques, qui permettent le transport de ce sperme, évitent donc le déplacement de la jument au haras. D’autres races équines utilisent avec bonheur cette possibilité. En effet, sur 10 820 juments « Selle Français A » mises à la reproduction en 2006, 8 923 ont eu recours à l’insémination artificielle dont 19 % en sperme frais sur place et le reste, soit 81 %, en semence réfrigérée ou congelée (3 256 pour la première technique et 3 929 pour la seconde). Compte tenu du fait que quelques inséminations sur place sont réalisées en sperme réfrigéré, c’est près de 80 % des inséminations en « Selle Français A » qui bénéficient du transport. Notons au passage que la fertilité apparente, mesurée par les Haras Nationaux, était de 59 % en sperme frais sur place, 58 % pour le réfrigéré et 62 % pour le congelé. Ces résultats sont par défaut puisque l’absence de déclaration de l’éleveur est considérée comme un échec. De l’avis des spécialistes, qui ont mesuré la fertilité comparée de la semence préparée selon les différentes techniques en enregistrant de façon exhaustive les résultats, une différence de 4 à 5 points du pourcentage de fertilité par Å“strus en faveur de la semence fraîche par rapport au réfrigéré et au congelé est admise. Cette différence s’estompe si l’on considère la fertilité par saison de monte.
Il est évident que si cette pratique du transport du sperme a pris un tel essor chez le Selle Français où elle est autorisée, c’est qu’elle apporte une véritable amélioration par rapport au dispositif archaïque du transport de la jument, tout en garantissant une fertilité équivalente en fin de saison.
Pourquoi alors une telle interdiction
en Trotteur Français ?
On peut légitimement se poser la question de la ou les raisons qui justifient cette contrainte. Des tentatives de réponses existent dans le plaidoyer pour « la défense de la race du Trotteur Français » (sic) diffusé par la SECF dans une plaquette remise aux participants des réunions régionales de l‘automne 2006.
Concernant la semence transportée nous relevons les arguments suivants que nous analysons un à un :
« Au plan zootechnique » (sic), maintenir la diversité du cheptel et lutter contre la consanguinité. Cette position est paradoxale. En effet le transport du sperme, qui assouplit les contraintes de distances, favorise les échanges et devrait permettre plus de variété dans les accouplements. Affranchir les éleveurs de la contrainte des distances ne peut que donner plus de liberté pour gérer les exigences de choix relatives au potentiel génétique et à l’adéquation entre les pedigrees de l’étalon et de la jument. Afin de lutter contre la consanguinité l’instance en charge du Stud-book TF serait mieux inspirée de développer, par exemple, les 3 actions suivantes :
- Informer les éleveurs des risques de la consanguinité.
- Introduire le critère d’originalité du pedigree à côté du potentiel génétique performance pour autoriser les étalons.
- Mettre à disposition des éleveurs, sur internet par exemple, un outil permettant de tester la parenté d’une jument avec plusieurs étalons, afin de pouvoir faire le choix le plus pertinent en comparant les coefficients obtenus.
« Au plan économique et juridique » (sic) : Il s’agit essentiellement de protéger les haras et les établissements qui vendent de la pension de juments. Remarquons que les établissements qui pratiquent de « l’hôtellerie équine » sous forme de pension temporaire verraient cette activité diminuer, celle-ci pouvant se transformer partiellement en pension permanente pour les éleveurs sans sol. Quant à la stricte activité d’étalonnier, il y aurait également modification de la nature des prestations mais sans pour autant induire une diminution. Le haras devrait être capable de préparer de la semence réfrigérée et/ou congelée et en faire l’expédition. Par ailleurs, les inséminations non réalisées et correspondant aux semences expédiées ne diminueraient pas les recettes. De plus, des semences reçues de l’extérieur seraient à mettre en place. Ce nouveau dispositif serait globalement favorable pour les haras et privilégierait particulièrement ceux disposant d’étalons valables ainsi que des capacités techniques et logistiques. L’adoption de pratiques utiles à la filière ne devrait pas pouvoir être entravée par d’artificielles protections.
« Au plan de l’élevage » (sic) : Interdire le transport de la semence est considéré comme une particularité utile à la race ! Dans le document de la SECF sus visé nous relevons comme credo : «..., pas de réintégration dans le Stud-book des produits conçus par sperme congelé à l’étranger,... » (sic). Il faut signaler que l’actuelle interdiction du transport de sperme n’empêche pas l’exportation de semence de nos meilleurs étalons qui, parfois, engendrent plus de naissances à l’étranger qu’en France ! Précisons que ces produits s’inscrivent dans les stud-books de destination de la semence. Avec ou sans interdiction, la situation sera inchangée, les juments étant généralement étrangères. Par ailleurs, constatons que la position de la SECF est pour le moins ambiguë lorsque l’on connait sa politique de développement de l’exportation de juments et d’étalons ainsi que la signature de conventions pour produire des sujets Trotteurs Français à l’étranger ! De telles conventions ont été signées dans 15 pays (voir Trot Infos N°51 octobre 2008). La victoire à Reims le 28 juin dernier de Ruletka, pouliche TF née chez Alexander Vorobij en Ukraine, en est un exemple concret. Nous ne critiquons pas ce projet de convention mais sommes interpellés par le manque de cohérence avec les objectifs poursuivis et communiqués par le credo sus mentionné ainsi qu’avec la politique de réduction des naissances en France.
Dans ce contexte, que ce soit le maintien de la particularité de la race avec les règles spécifiques du Stud-book, la diminution des naissances ou le maintien d’un berceau de race, nous laissons le soin au lecteur d’apprécier la valeur de ces arguments...
« Au plan des courses » (sic) : le maintien de la spécificité du Trotteur Français afin d’éviter le pillage de nos allocations par les étrangers. L’objectif est méritoire mais les moyens sont-ils à la hauteur ?
Si la spécificité du Trotteur Français est la qualité de ses performances sur longues distances, c’est un excellent moyen de limiter ce pillage mais ce n’est pas l’interdiction du transport de la semence qui lui conférera cette qualité.
Nous lisons, dans le magazine Top Trot N°6 de juillet-août 2005, sous la plume du Président de la SECF : « En France, nous avons la chance d’avoir un trotteur spécifique et reconnu comme tel depuis le 19 ème siècle par rapport au standardbred, justement parce que nous avons choisi une sélection sur les longues distances et que nous avons conservé les courses de trot monté, tout en maintenant une pluralité de configuration de pistes, ce qui est à l’opposé du schéma de la sélection du standardbred » (sic).
Que dire alors des résultats obtenus par les quelques étrangers participant aux épreuves qui sont la spécificité du Trotteur Français ? Sur les 2 700 m du Prix d’Amérique de cette année, Opal Viking décroche un premier accessit. Même résultat pour Exploit Caf sur les 4 150 m du Prix de Paris le 17 février. Au monté, relevons la victoire de Hot Tub le 10 mai et une seconde place de Rite On Track le 21 septembre sur respectivement 2 700 et 2 850 m à Vincennes. Tout récemment, Unico Limburgia s’illustre par ses victoires le 24 octobre puis le 21 novembre sur 2 850 m à Vincennes. Il n’est donc pas raisonnable de considérer l’aptitude au trot monté et aux longues distances comme une spécificité du Trotteur Français.
Nous savons très bien que si la filière française du trot craint, à juste titre, la concurrence des étrangers pour venir moissonner nos allocations, c’est que la qualité génétique de leurs performers est à la hauteur. La meilleure défense de nos intérêts ne serait-elle pas la mise en place d’un véritable programme d’amélioration génétique sur des bases rationnelles avec l’appui de scientifiques ?
Si la spécificité du Trotteur Français est une simple disposition règlementaire, il faut bien chercher le sérieux de cet argument. C’est aussi peu convainquant que d’inventer, par exemple, une spécificité du Trotteur Français sur la composition du dilueur du sperme ou du mode de contention des juments ! En la matière, que change le fait que la jument soit inséminée dans son élevage ou à côté de l’étalon ?
Une voie de progrès et la voix de l’intérêt général
Il est évident que l’option transport du sperme accessible à tout éleveur de trotteurs de l’hexagone apporterait une salutaire égalité des chances quelle que soit la région ainsi qu’une grande facilité de travail. Il est également évident que, comme nous l’avons montré ci avant, le transport du sperme ne modifierait pas globalement l’équilibre économique des haras et pourrait plutôt favoriser les plus compétents.
Examinons en détail les autres conséquences d’une telle évolution.
Économie et gain de temps
Pour l’éleveur, la première conséquence de ne plus devoir emmener la jument à l’étalon est une réduction drastique des déplacements. Dans certains cas, il en subsistera pour le suivi gynécologique et l’insémination à l’établissement compétent le plus proche. Nous estimons que ce déplacement a une incidence moyenne de 60 km par jument et par an. Ainsi les transports réellement économisés sont de 836 km, selon le calcul explicité ci avant, moins 60 km, soit 776 km. Si l’on retient un coût minimum de 0,90 € du km, véhicule plus temps, l’économie peut se chiffrer en moyenne à 698 € par jument et par an. Il faut en déduire les frais d’expédition de la semence et de l’acte insémination qui se chiffrent à environ 200 €. En la matière, l’économie nette par an et par jument, pour l’éleveur, est donc de 498 €.
La santé avant tout
Il est bien difficile de mesurer les conséquences de cette « transhumance » en termes de santé animale. Le stress du voyage, de même que les contacts avec des chevaux autres que ceux du groupe habituel, favorisent les pathologies infectieuses. Ce dernier risque est maximum lorsque la jument et surtout son jeune poulain sont mis en pension dans un milieu pour lequel leur système immunitaire n’a pas été préparé. Nous savons combien les poumons et les intestins de nos poulains sont fragiles et parfois la cible de germes plus ou moins banaux que les circonstances rendent pathogènes. Nos petits protégés payent un lourd tribut aux streptocoques, salmonelles, rotavirus et autres corynébactéries. La rhodococcose est un exemple démonstratif. Saurons-nous combien de poulains, touchés par une infection pulmonaire plus ou moins discrète et guérie, auront à jamais diminué leur capacité d’endurance et entravé gravement leur carrière sportive ? Par ailleurs, l’épidémie d’Artérite Virale Équine de 2007 nous a fait prendre la mesure des risques qu’induisent les déplacements d’animaux. Les conséquences économiques, notamment en frais vétérinaires, en perte de poulains et plus sournoisement en dépression de performances sportives, sont probablement plus importantes que la simple économie sur les déplacements, pourtant significative. De toute évidence, réduire autant que faire ce peut les déplacements et les contacts représente la voie de la sagesse.
Le bien être animal
La plupart des éleveurs ressentent combien le transport des juments et de leur poulain représente une contrainte mal vécue pour les animaux. Combien d’entre nous multiplient les arrêts pour surveiller, reposer, faciliter la tétée ou abreuver la jument. Aujourd’hui, ce sentiment intuitif est officialisé par une règlementation initiée par l’Europe dans le cadre de ses préoccupations en matière de bien être animal. Dans certains cas, il n’est plus possible de transporter un poulain de moins de 8 jours et donc la saillie sur Å“strus post-partum devient impossible si la jument a pouliné à l’élevage. De lourdes contraintes administratives s’imposent et viennent donc accroître la difficulté des éleveurs pour la mise à la reproduction à l’étalon choisi.
Un peu d’écologie
Enfin, réalisons que si 16 000 juments de race TF parcourent en moyenne 776 km chacune, cela occasionne en une année plus de 12,4 millions de km inutiles, pour la simple mise à la reproduction. A raison de 231 g de CO2/km, cette fantaisie règlementaire représente la production de 2 870 tonnes de gaz carbonique. Il n’y a pas de petits efforts pour réduire notre consommation énergétique et la production de gaz à effet de serre. Comment l’élevage, qui se veut être une activité écologique, peut-il gratuitement gaspiller autant d’énergie et générer une telle pollution ?
Le choix de la raison pour la filière
Le bilan du choix opérationnel est sans appel. Les éleveurs de Selle Français ont montré l’exemple et ont plébiscité, par son développement, une pratique induisant une amélioration notoire des conditions d’élevage. Cette évolution ne peut que rendre les éleveurs plus performants et donc favoriser la filière du trot français face à ses concurrents étrangers, a fortiori dans un contexte économique difficile avec des perspectives d’évolution défavorables du coût du temps de travail et de l’énergie.
Les atteintes que les activités humaines portent habituellement à l’environnement sont généralement conséquence de l’emploi de techniques qui en facilitent la réalisation (déplacements, chauffage, communications, etc.). Dans le cas qui nous concerne, au contraire, facilité rime avec écologie !
Gageons que cet heureux mariage de l’économie et de l’écologie puisse enfin toucher les décideurs.
Jacques Boully, Président du conseil d’administration GEMTROT E-Mail : felliere@orange.fr)
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