Toubin & Clément : 40 ans qui mènent aux JO Paris 2024
Carine Robert : Vous fêtez vos 40 ans, ça a donc débuté en 83 avec Pierre Toubin. Une belle rencontre !
Francis Clément : Avec Pierre on se connaissait depuis 3 ou 4 ans et c’est lors d’un apéritif au mois de décembre devant la cheminée où on refaisait le monde qu’on s’est demandé pourquoi aucune entreprise n’était spécialisée dans les sols équestres, parce que nous on considérait (à l’époque on était un petit peu en avance), que c’était un sol « sportif » à part entière et qu’il y avait des spécialistes dans les terrains de tennis, dans les stades de foot, dans les pistes d’athlétisme, mais pas dans les chevaux. Ce n’est pas un coup de tête, c’était réfléchi mais on a décidé de monter une société comme ça et on l’a montée en février 83.
Carine Robert : À quels besoins apportiez-vous des solutions nouvelles ?
Francis Clément : À l’époque les carrières, qui étaient faites en sable, étaient faites par des boîtes de TP ne connaissant pas les chevaux, et qui répondaient à un cahier des charges  établi fait par le GHN (Groupement Hippique National, ndlr) avec un système drainant qui ne fonctionnait pas. L’idée qu’on a eue, et qui a été un peu révolutionnaire (et on n’est revenus en arrière après - sourire, mais au début c’est la technique sur laquelle on était partis) c’est un système de carrière étanche, à structure fermée, de telle manière à ce que les pluies ne s’évacuent pas par infiltration mais par ruissellement. Pour cela, la qualité du sable était primordiale parce qu’il fallait un sable qui aime beaucoup l’eau. Nous étions installés à l’époque avec Pierre aux Bréviaires où nous avions chacun notre activité. Ce devait être notre destin : il y avait à 10 km de chez nous une carrière de sable qui n’est pas de la qualité de ce qu’on fait aujourd’hui, mais qui était déjà un bon sable et on a travaillé avec. C’est comme ça que l’histoire a démarré. Quand on a vu le résultat, on a acheté un vieux tractopelle, un vieux camion et puis on est partis s’inscrire au registre du commerce à Versailles. En février 83.
C.R. : Pour l’avoir vécu notamment à Vittel il y a aussi un entretien Toubin & Clément ?
F.C. : Alors, comme tous les constructeurs automobiles ou autres, il est sûr que l’entretien annuel doit être fait par le concepteur-réalisateur de la carrière, parce que l’on sait ce qui a été fait, on sait ce qu’il faut faire pour maintenir le sol dans sa qualité de départ, donc oui, on assure un service après-vente pour maintenir la qualité du produit toute sa vie. Nous avons des carrières qui ont 30-35 ans qui fonctionnent et qui sont entretenues régulièrement.
C.R. : Régulièrement c’est quoi ? C’est une fois par an ? Qu’est-ce que vous préconisez ?
F.C. : C’est maximum une fois par an, c’est toujours lié à la fréquentation. Une carrière comme celle de Jardy demande beaucoup plus d’entretien, surtout le paddock, qui est surexploité. Mais une carrière d’un professionnel de 3 500-4 000 m² qui a 20-25 chevaux, on y va tous les 3 ans, tous les 4 ans.
C.R. La nouvelle ère des sols équestres, c’est la subirrigation. Comment cela fonctionne-t-il ?
F.C. : La subirrigation s’appelle Aqua-Regul® chez nous : ce sont des sables qui sont très fins qui ont un pouvoir de capillarité très important, ce qui est aussi un gage d’économie d’eau, parce que si le sable est assez fin et avec une structure assez serrée il va moins s’évaporer qu’un sable qui est beaucoup plus ouvert. Avec ce système de subirrigation on est revenus en arrière, avec un système de sol drainant : l’arrosage par le sol. Le système d’irrigation fonctionne dans l’autre sens quand il pleut, c’est-à -dire qu’on arrose le dessous de la carrière avec un système de drain, avec des puits de gestion qui gèrent le niveau d’eau et quand il pleut le niveau d’eau qui augmente dans le sous-sol de la carrière s’évacue par les puits de gestion. On est donc sur un système d’évacuation par les drains. Donc sur des terrains parfaitement plats, une homogénéité parfaite, pas de déformation. Là , c’est un entretien tous les 5 ans, 6 ans, 7 ans.Â
Car ce qui déforme un sol en sable, c’est son manque d’homogénéité, d’humidité et c’est le cas de carrières qui sont arrosées avec des demi-cercles ou autres parce qu’il y a des endroits qui sont arrosés 4 fois, d’autres qui ne sont arrosés qu’une fois, donc forcément à la sortie de l’été c’est déformé. Sur les carrières Aqua-Regul® il y a le même taux d’humidité sur chaque mètre carré, que la carrière mesure 8 000 m² ou 2 000 m² c’est la même humidité partout puisqu’on est sur un terrain parfaitement de niveau et on a un niveau d’eau constant. Donc logiquement l’eau est de niveau et donc le sable pompe l’eau dont il a besoin et a la même humidité partout.Â
C.R. : Vous vous avez pu estimer le pourcentage d’eau économisée ?
F.C. : Par rapport à une carrière identique avec un arrosage aérien on est à plus de 70 % d’économie.
C.R. : C’est énorme !
F.C. : Oui, c’est énorme. En fait ça s’explique très simplement : avec une carrière par exemple de 5 000 m², si on prend un plan on dessine les 5 000 m², on fait des demi-cercles pour qu’il y ait vraiment des bons croisements partout. Rien que la surface des demi-cercles d’arrosage sur une carrière de 5 000 m² on arrive à 9 000 m², ça ne s’arrête pas pile poil à la barrière contrairement à une subirrigation, il y a toujours 1m50 à 2 m autour qui sont arrosés donc on rajoute encore 10-15 % de surface. Il y a ce qui ce qui s’évacue avec le vent : si vous prenez un arrosage aérien avec le vent il y a encore 5 à 10 % de l’eau qui sort des canons qui part dans la nature. Ensuite, du mois de juin au mois de septembre on a une évaporation naturelle, c’est-à -dire que l’eau s’évapore avant de toucher le sol. Tout ça cumulé on est à 70 % d’économie et nous avons vérifié cela chez des clients avec des compteurs. On a installé un compteur et on a regardé sur un an à date anniversaire pile poil. On l’a fait chez un client qui est à Pessac en Gironde, après une année très, très sèche, en 2022, on a pu avoir exactement la consommation. Bien sûr il y a des jours de pluie ou autres mais si on ramène la consommation sur toute l’année lissée sur 365 jours on est à moins d’un millimètre d’eau par jour, ça veut dire qu’en plein été on était à 2 millimètres - 2 millimètres et demi - parce que les jours de pluie ça n’arrose pas mais on est à moins d’1 millimètre d’eau par jour sur 365 jours.
C.R. Où avez-vous installé la première carrière Aqua-Regul® ?
F.C. : On a commencé en 2015 au Haras de Hus : on a fait le manège et la carrière. On en a fait quelques-unes, mais on a eu beaucoup de mal à faire passer le message : ça coûte un petit peu plus cher dans la réalisation au départ. Mais le retour sur investissement est sur 6-7 ans, quand on voit leur entretien, la perte de sable sur des carrières en pente etc,. Les gens n’étaient pas encore prêts et fin décembre 2021 (en six ans) on avait fait à peu près 150 000 m² de carrières en Aqua-Regul® et du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2022 on a fait 140 000 m² de carrière en un an ! On n’a pas fait une carrière autrement qu’avec ce système-là , et 2023 c’est pareil on refait même des carrières qui existent : aux Bouleries au Mans (la piste rouge), puis on vient de refaire la piste bleue cet hiver, et à Deauville où on a repassé les carrières en système de subirrigation.
C.R. : Comment s’est faite votre collaboration avec Normandie drainage ?
F.C. : Je connais Paul-Jacques, le président de Normandie Drainage depuis très longtemps. On a déjà eu une belle expérience, lors des Jeux Mondiaux à Caen. Nous nous sommes associés pour cet évènement et La collaboration s’est très, très bien passée. Nos équipes se sont très bien entendues. Il y avait vraiment la même mentalité et le même esprit d’entreprise. Paul-Jacques a 20 ans de moins que moi, et on a commencé à discuter : j’ai 63 ans, donc je ne vais pas encore travailler pendant 15 ans. (Sourire) Il fallait que derrière la suite soit assurée parce que j’ai une équipe, j’ai beaucoup de salariés jeunes, volontaires, qui sont motivés, donc je voulais que ça continue. Je ne voulais pas vendre à un groupe qui aurait pris l’argent. De plus c’était une bonne opportunité parce que Normandie Drainage n’avait pas l’étiquette sol de compétition et c’était un bon moyen pour moi d’assurer la suite de Toubin & Clément. On a commencé à discuter en 2015 au moment où j’ai racheté des parts de Pierre Toubin, qui est parti à la retraite, mais on n’arrivait pas à trouver vraiment de terrain d’entente : on était tous les 2 un peu « la tête dans le guidon ». En mars 2020, merci le COVID, on a été tous les 2 arrêtés, on a réussi à se poser et vraiment aller au fond des choses, mettre tout noir sur blanc, les conditions, le prix, on s’est mis d’accord et Normandie Drainage est rentrée au capital de Toubin & Clément en septembre 2020. C’est une collaboration formidable, même si on était un tout petit peu inquiets avec Paul-Jacques au début parce qu’on ne savait pas comment le milieu allait accepter la chose puisqu’on devient vraiment les numéros un par la taille de l’entreprise, les moyens matériels, humains et tout ce qu’on est capable de faire. Donc on craignait un petit peu ça, mais ça a été très, très bien accueilli par le milieu. Cela a même dépassé nos espérances. On a eu des gros marchés comme Jablines où on a fait 15 000 m² de carrière, comme le haras du Pin où on a fait 25 000 m² de carrière en Aqua-Regul® et les Jeux Olympiques Paris 2024 aujourd’hui.Â
C.R. : Que dire à un modeste organisateur de concours, pour le convaincre d’installer le système Aqua-Regul® ?
F.C. : La première chose c’est que la différence de prix entre une carrière classique et une carrière Aqua-Regul® est d’entre 5 et 10% suivant les régions de France donc ce n’est pas énorme. Ensuite aujourd’hui, on va aller de plus en plus vers des restrictions voire des interdictions d’arrosage. Je l’ai constaté déjà aux Bouleries : Philippe Rossi a un quota de mètres/cube par an, il n’a pas le droit de le dépasser. Si un organisateur est obligé d’arrêter les compétitions au mois de juin parce qu’il a atteint son quota de consommation d’eau, il n’arrivera pas à rentabiliser son investissement. Avec l’économie qu’on fait avec l’Aqua-Regul® on a déjà une sécurité d’une augmentation de durée de jours de concours quel que soit le climat, de 70 %. Troisièmement, l’avantage d’un sol comme ça c’est que la qualité du sol est identique de 7h30 du matin jusqu’à 21 h, c’est-à -dire qu’un organisateur de concours, qui a beaucoup de partants, ne va pas être obligé de faire des interruptions d’épreuves, il ne va pas être obligé d’arroser dans la journée, tout va se maintenir. Enfin, grosse économie : quand quelqu’un investit dans un projet c’est une fois, donc c’est un one shot, on arrive toujours à trouver le budget, à le boucler. Mais il y a toujours des économies sur l’entretien, économies d’eau, économies d’entretien, économies de matériel parce qu’il y a moins souvent à entretenir, de personnel. Emmanuelle Schramm, la compagne de Philippe Rossi m’a fait une remarque à laquelle je n’avais pas pensé : l’avantage avec ce type de sol c’est que, vu le nombre de concours qu’ils organisent par an, il a facilité les rapports avec leurs salariés : ils ont une certaine paix sociale parce que c’est facile, ils n’ont quasiment à s’occuper de rien, juste entre 2 épreuves passer un coup de tracteur c’est tout, alors qu’avant il fallait penser à mettre l’arrosage le soir à 21 h-22 h !Â
C.R. : Et tu es cavalier aussi, ton épouse est cavalière, c’est une belle période pour vous ?
F.C. : Oui, Barbara (Clément Klinger, ndlr) a gagné le Grand National de dressage à Jardy avec Boléro (du Coussoul, ndlr), qui est dans nos écuries. Il a 12 ans donc ça fait 7 ans qu’il est arrivé chez nous, c’est vraiment un personnage. C’est une équipe Toubin & Clément, elle était 4e au Mans et gagné Jardy donc c’est bien parti ! Elle a d’autres chevaux derrière parce que c’est son métier, elle a un 8 ans qui va très bien (Dante Chronos d’Authou, ndlr), un 6 ans qui est formidable (Mister Daily, ndlr). Moi c’est mon loisir, j’ai 2 chevaux avec lesquels je tourne en concours, dont Baladin (d’Authou*STJ, ndlr) avec lequel je fais les championnats de France Pro 1 ici à Fontainebleau. On a rempli la première partie du contrat d’être dans les 40 pour la finale de demain, on est 9e pour le moment mais le plus dur reste à faire, à nous de ne pas nous mettre la pression J’ai son neveu qui a 6 ans, un étalon qui fait la monte, que je conseille aussi aux éleveurs parce que c’est vraiment un améliorateur. Hugo d’Authou est un cheval moderne, moderne dans le look, moderne dans la manière de se comporter, qui est très facile. Si on veut aller vers des chevaux faciles pour le bien-être animal, Il faut arrêter tous ces harnachements compliqués parce que les chevaux sont compliqués, il faut aller vers ces chevaux-là parce que ce sont des chevaux qui vont améliorer, qui vont apporter du mental parce qu’il a une tête vraiment bien faite, qui vont apporter de la facilité d’utilisation. C’est un cheval que je monte qui fait les 6 ans maintenant et que je monte en mors hybride, c’est un cheval avec lequel on peut galoper vers la barre, il est Selle Français et son père est Anglo (Upsilon, qui nous a quittés).
C.R. : Que peut-on souhaiter à Francis Clément ?
F.C. : Pour le moment à court terme, à très court terme la Pro 1 demain, et puis à moyen terme, qu’il y ait du très, très beau sport à Versailles et que la France tire son épingle du jeu dans les 4 disciplines et puis à long terme, longue vie à Toubin & Clément ! On a été des précurseurs, on a été les premiers, que ça dure longtemps. Il n’y a pas de raison que ça ne dure pas longtemps parce qu’on se remet en question, on cherche toujours des nouvelles solutions, on essaie de régler au maximum tous les petits défauts qu’il peut y avoir. Toubin & Clément bénéficie d’une bonne équipe, jeune, dynamique, très professionnelle, et puis Paul-Jacques va prendre la suite.
Propos recueillis par C. Robert
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