Une brève histoire du cheval (et de l’équitation)
Au XXe siècle, il y a eu Jean-Pierre Digard, ethnologue et anthropologue de la domestication, qui eut le courage d'entreprendre la tâche himalayenne de raconter à son tour, et à sa manière, « Une histoire du cheval : art, techniques, société ».
Et puis voilà , au XXIe siècle, il y a Marion Scali, journaliste et cavalière qui, avec le même culot que Houel et le même courage que Digard, nous propose aujourd'hui « Une brève histoire du cheval ».
Cinq cents pages n'avaient pas suffi à Houel, Digard s'était senti à l'étroit dans trois cents pages – Marion Scali paraît tout à fait à son aise dans les cent vingt pages imposées par son éditeur.
Autre contrainte de la collection dans laquelle s'inscrit cet ouvrage (et où l'on trouve aussi « Une brève histoire du rugby », « Une brève histoire du chat », « Une brève histoire de la corrida », etc.) : s'en tenir à neuf petits chapitres, neuf temps forts, neuf pics historiques.
Pour survoler ainsi les siècles et les civilisations, Marion Scali a choisi neuf thèmes (la relation homme cheval, l'hippiatrie, les races, etc.). Avec son aimable autorisation nous reproduisons ci-dessous le chapitre consacré aux disciplines équestres et hippiques.
L'originalité de la démarche, la vigueur du ton, la vivacité du style, la richesse de la documentation donneront envie de se procurer ce petit livre dense et ludique – qui offre le meilleur rapport qualité/ prix du marché.
J.-L. G.
Extrait
Un cheval saute-t-il naturellement ? En liberté, s'il évite plutôt fossés et haies, il les franchit facilement lorsqu'il y est obligé : un feu, un chien furieux – ou une jument en chaleur dans le pré d'à côté... Jusqu'à très récemment, on appréciait le cheval pour sa vitesse plus que pour son aptitude au saut. En Angleterre et en Irlande, royaumes de l'équitation d'extérieur, lors des chasses, le saut reste « un incident de parcours » jusqu'au XVIIIe siècle. Certes, les soldats en guerre doivent faire face aux accidents de terrain sur les champs de bataille, certes, les chevauchées à travers les campagnes, les cavalcades en terrain varié mettent les cavaliers dans l'obligation de franchir avec leur monture des barrières, cours d'eau et troncs d'arbres. Mais il faut attendre la parcellisation des terres et la construction de barrières, pour que les cavaliers britanniques prennent goût au saut pour lui-même, au point d'élaborer ce que l'on connaît encore sous le nom de « steeple-chase ». Haut du corps vers la queue du cheval, jambes en avant, rênes tendues : seule cette position, croyait-on, permettait au cavalier de tenir en selle. Il arrivait bien que des hommes plus sensibles desserrent les doigts pour laisser les rênes s'allonger, permettant ainsi au cheval d'étendre son encolure. Mais l'idée qu'il fallait « aider » le cheval à sauter en lui soutenant la tête prévalait. Et elle se maintiendra jusqu'à la mise au point d'un style qui nous semble aujourd'hui évident : le buste du cavalier penché vers l'avant pendant le saut et la libre utilisation de son encolure par le cheval. Rien de vraiment nouveau sous le soleil équestre : Xénophon déjà , 430 avant J.-C., traitant du passage des banquettes, des fossés, contre-hauts et contrebas dans « De l'art équestre », conseillait au cavalier de tenir la crinière lors d'un saut pour éviter les à -coups sur la bouche...
En selle ou en l'air
En France, le premier Règlement de Cavalerie contenant des prescriptions relatives au saut d'obstacle paraît en 1788. Un siècle plus tard, le règlement rédigé par Alexis L'Hotte (1825-1904), stipule : « Le cavalier est assis, étriers chaussés, rênes ajustées. La bride sera relâchée pendant le saut. » La formation des officiers de cavalerie s'en tient là . Mathieu-François Dutilh (1828-1879), Écuyer en chef du Cadre noir de Saumur en 1874 et incroyable précurseur, écrit dans Gymnastique équestre (Toul, 1864) : « Le saut est aussi naturel au cheval que le trot ou le galop. Son refus de sauter vient de la crainte de la main du cavalier. Il ne faut pas «briser le ressort du mouvement d'extension naturelle de l'encolure. » Hélas, il n'est guère entendu.
Au début du XXe siècle, les événements équestres se précipitent, initiés par les Anglo-saxons. Le trot enlevé où le cavalier se lève de sa selle un temps sur deux, pratiqué de tout temps outre-Manche, fait son apparition à Saumur. Incompatible avec les selles de manège, à la française ou à piquer, cette dernière ne possédant pas d'étriers ! La selle anglaise, plus découpée, plus légère, y gagne son ticket d'entrée au Cadre noir. Avec l'arrivée de la vogue du Pur-Sang, le développement des courses en Grande-Bretagne à la fin des années 1800, l'engouement pour le saut d'obstacles s'empare des cavaliers français. En un rien de temps, tout va changer dans la position du cavalier et les techniques du saut. Avec quelques couacs. Ainsi, la petite phrase du Règlement de Cavalerie de 1876 qui stipulait qu'au moment du saut, le cavalier devait laisser « le corps se pencher légèrement en avant », disparaît... jusqu'en 1912, où il est dit qu'il faut « pencher légèrement le haut du corps en avant en rentrant la ceinture, les fesses restant dans la selle ». On ne mesure guère aujourd'hui les bagarres titanesques engendrées par ce point de doctrine !
Ce « choc des cultures » coïncide avec l'invention du concours hippique : une compétition de saut sur des constructions artificielles – des « barres » et des « murs » non fixes dressés dans un lieu clos – au début même, dans un manège couvert, entre deux représentations de dressage. Les cavaliers sont pénalisés lorsque leur cheval fait tomber les barres. Certains voient là un débouché pour la race équine... Et ils ont raison ! Devant le succès de ces compétitions, le saut d'obstacle a fait son apparition aux Jeux olympiques de 1900, à Paris. Quatre épreuves y ont été disputées : saut en hauteur, en longueur, concours de maniabilité et polo (qui disparaîtra des Jeux en 1908).
Le concours hippique comme on le connaît aujourd'hui ne fait son entrée qu'en 1912, aux J.O. de Stockholm, en même temps que le dressage et le concours complet. C'est le comte Clarence Von Rosen, écuyer en chef du roi de Suède, qui met au point le programme des sports équestres aux Jeux olympiques.
Les obstacles du concours hippique ressemblent encore à ceux qu'on trouve dans la nature, murs, haies, barrières, rivières. Le concours complet se compose de quatre épreuves : dressage, saut d'obstacles, cross (obstacles fixes disséminés sur un terrain naturel) et routier (épreuve d'endurance en ligne droite). Depuis, le règlement des concours complets a évolué : le routier a disparu. Celui du concours hippique n'a guère changé, seule la complexité des enchaînements et la taille des obstacles ont évolué. L'équitation sportive y gagne ses quartiers de noblesse. Mais une remise en cause radicale des vieux principes s'impose.
Deux hommes sont les acteurs de cette ultime (jusqu'à ce jour) révolution de l'art équestre, un officier italien et un jockey américain.
1898 : la même année, pure coïncidence, un officier des Lanciers de Milan, Federigo Caprilli, rédige des Principes d'équitation naturelle, et Tod Sloan surgit, agrippé à l'encolure de son cheval « comme un singe », sur les champs de course parisiens. Le 9 octobre, un Américain fait donc son apparition à Longchamp et déclenche l'hilarité dans les tribunes : penché sur l'encolure de son cheval, comme s'il lui parlait à l'oreille, les rênes raccourcies, genoux repliés et fesses près des talons... Le « singe » se nomme Tod Sloan et se classe dans toutes les courses auxquelles il participe. Il raconte ensuite aux journalistes sidérés qu'il a découvert sa technique par hasard, à San Francisco, sur un cheval qui tirait. Pour éviter d'être désarçonné, il s'est agrippé à l'encolure en remontant ses genoux... et il a remarqué que l'allure du cheval devenait plus fluide ; lui-même se sentant très confortable.
Jusque-là , cette monte était réservée au cirque, comme on avait pu le voir quand la troupe de Buffalo Bill était venue à Paris en 1889 : des Sioux à cru s'agrippaient eux aussi au cou de leurs petits chevaux blancs...
Très vite, les jockeys anglais et français copient Sloan qui restera dans l'Histoire comme l'inventeur de la « monte à l'Américaine ».
Moins rapidement, les cavaliers d'extérieur imiteront le style de Federigo Caprilli, le « Sloan » du cheval de sport. Mais pour l'Italien, le hasard ne joue aucun rôle. La mise au point de son Système d'équitation naturelle est le fruit d'une longue réflexion. Le capitaine Caprilli veut avant tout épargner les chevaux qu'il voit maltraiter par des soldats s'accrochant aux rênes au moindre incident. Ce qu'il préconise ? Haut du corps vertical, « légèrement penché en avant au galop », bassin libre, jambes en appui sur les étriers, et surtout, surtout, mains et épaules suivant le mouvement de tête du cheval, vers l'avant, au galop et au moment du saut.
*Une brève histoire... du cheval par Marion Scali, éditions J.C. Behar
(www.jcbehar.com), 120 pages/14,90 €.
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