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Une ère nouvelle pour l’élevage

(en ligne le 22 janvier 2010) La fin des Haras nationaux, c’est un choc. Terrassée par la RGPP de Sarko, minée par une gestion discutable, servie le plus souvent par des hommes et des femmes de talent, l’institution avait réussi à surfer contre et avec les vents de
la modernité, contre et avec les marées de la passion, de l’engagement, de l’intelligence. Sans jamais vraiment s’adapter à l’air du temps. La fin des Haras nationaux mobilise nettement moins que la fin de la Poste ou que les privatisations de tels ou tels services publics. Qui se soucie de vous?
Comme si, et c’est peut-être le cas, les Haras nationaux étaient considérés comme un service de « privés ». La notion de service public est d’ailleurs intervenue au moment précis où le réalisme politico-économique a décidé de couper les vivres à ce service de public restreint, cette niche dont les plus malins, au fil des belles époques, ont su tirer profit de la tutelle jusqu’à en abuser. Les exemples sont légions. Les belles histoires aussi. Pas facile de passer du tout régalien au tout démocratique. Il y a très exactement onze ans que le message a été lancé. C’était le début de la fin. Beaucoup l’ont reçu. Peu s’y sont préparés, même si l’accélération fut brutale ces deux dernières années. Quelques individualités ont anticipé. Elles ont aujourd’hui plusieurs longueurs d’avance. La filière, elle, cette nébuleuse vertigineuse, n’a pas compris, empêtrée dans des conflits d’influence. Résultat d’un individualisme forcené arc-bouté sur d’illusoires privilèges ? Victime d’un pouvoir à visage humain mais toujours aussi régalien qui joue sur la division?
Toujours est-il que le cheval ne sera jamais un animal comme les autres et que les gens de chevaux ne seront jamais des gens tout à fait comme les autres. C’est bien là le charme discret de la fantaisie. De sa fantaisie.
Quel sera le paysage économique de demain dans l’élevage?
J’ai demandé à une dizaine d’étalonniers de donner leur vision à l’aube de cette ère nouvelle, à partir de trois questions. Quatre ont répondu. A vous de juger. Vos commentaires seront toujours les bienvenus.

Question1. Au moment où l’étalonnage public amorce un retrait, pouvez-vous dire ce qui va changer pour vous ?

• Michel Guiot, Haras de Talma.
Je ne pense pas que les choses vont changer pour les étalonniers.
La concurrence sera toujours là et elle doit rester loyale. Elle est saine pour nous parce qu’elle nous oblige à sélectionner de la qualité ; elle est profitable aux éleveurs car elle nous force à respecter des prix raisonnables.
Dans notre esprit, cela faisait longtemps que les HN avaient rendu leur tablier par l’abandon de nombreuses stations de monte.
Lorsque nous achetons nos étalons ou que nous les faisons naître, nous le faisons avec nos tripes en y mettant tout notre cœur ainsi que nos espoirs. Nous les croisons avec nos juments ; nous prenons tous les risques ; notre métier est bien différent que celui des HN qui pouvaient acheter des étalons hors de prix sans aucune réflexion très approfondie sur les besoins de l’élevage et sur leur gestion, puisqu’ils ne le faisaient pas avec leurs propres deniers.
Pour les éleveurs, malgré le retrait des HN, ils n’ont jamais eu un choix aussi varié. Certes, cette étendue de la gamme ne facilite pas leur décision.

• Arnaud Evain, Groupe GFE
A ma connaissance, l’Etat ne prévoit pas, en l’état actuel du projet de réforme, d’abandonner sa place sur le marché de l’étalonnage public malgré un déficit annuel de près de 12 millions d’euros.

• Frédéric Neyrat, BLH
Nous espérons que ce sera l’opportunité, pour nous, de faire adhérer à notre projet d’élevage nombre d’éleveurs traditionnellement servis par les HN; les convaincre que nous avons un beau chemin à tracer ensemble.
De quoi s’agit-il ?
La politique HN suivie en cela par de nombreux étalonniers privés a toujours été d’encourager une surproduction néfaste par l’utilisation massive de jeunes étalons non testés sur performance ou d’étalons nommés « Elite » pour le seul mérite qu’ils gagnaient des B1 régionales. Cette méthode très aléatoire fit naître beaucoup trop de poulains pas assez solides (problème des visites d’achat), pas assez typés, pas assez compétitifs. D’où la désespérance actuelle des éleveurs (les HN ont perdu 15% de leurs clients en 2009), la perte d’image du SF, les prix de vente non rémunérateurs, le manque de structuration de la filière, le large boulevard ouvert à la concurrence étrangère.

Notre méthode consiste à n’accepter comme étalon que des êtres réellement exceptionnels, les très rares sujets qui furent capables de résister des années durant (au moins six), weekend après weekend (pas quatre fois par an) au stress de la compétition internationale de très haut niveau (les CSI**** et *****). Ceux là portent en eux au plus haut degré la niac, la santé, la force, le respect des barres et la souplesse.

• Jean Levebvre, Elevage des Ixes
Il y a 5 ans l’étalonnage public constituait encore un canevas de 140 « points de mise en place » disponibles, pour toutes races confondues. Soit : 140 « points de vente ».
Leur disparition totale ou partielle porterait atteinte à l’amélioration et au développement de l’élevage équin voire même à son maintien en l’état.
Cette disparition serait préjudiciable pour les « étalonniers-purs » (vendeurs de doses et saillies).
En revanche celle-ci semble tout à fait attractive pour les « étalonniers-metteurs-en-place » qui connaîtraient une affluence accrue pour vendre les « vedettes » dont ils sont propriétaires ou celles de leur catalogue.
Un débat s’impose ! tout autant que pour « ces paillettes en or » qui disparaissent ou réapparaissent au gré de « certains magiciens.

Question 2. Que pensez-vous de la proposition concernant la Groupement d’Intérêt Public (GIP) ? GIP national ou GIP régionaux ?

• Michel Guiot, Haras de Talma.
Le GIP est à mon sens très incertain.
Pourquoi le GIP ferait mieux que les HN puisqu’il s’agit à peu près des mêmes personnes qui seront à sa direction ?
Pourquoi la mayonnaise prendrait alors qu’il s’agit des mêmes ingrédients ?
Si le GIP ne fonctionne pas, cette fois mettra t’on la responsabilité aux éleveurs et aux associations qui y rentreront ?
Je comprends vraiment l’inquiétude des agents des Haras, souvent très dévoués pour leur administration et pour les éleveurs. Ils vont encore être plongés dans une autre structure, avec à chaque fois des abandons sur le bord de la route. Nous leur devons sans doute une plus grande écoute et une plus grande reconnaissance car ils ne sont pas souvent responsables de la situation actuelle des HN.
Après les HN, l’EPA; après l’EPA, le GIP. Que sera-t-il inventé pour remplacer le GIP ?
Quels atouts aurait le GIP pour ne plus perdre 10 millions d’euros par an ?
Ne vaudrait-il pas mieux arrêter toute cette perte et redistribuer une partie de cette somme, en aide directe aux éleveurs ?
Cette manne d’argent est colossale pour la perdre tous les ans.

• Arnaud Evain, Groupe GFE
Les propositions en matière de GIP restent très floues quand aux objectifs, au mode de fonctionnement et au budget. En l’état actuel de nos informations, s’il s’agit de pérenniser la présence d’un état déficitaire sur un marché difficile (avec l’aide des professionnels pour « limiter la casse »), il n’y a, à mon sens, pas lieu que les professionnels s’associent à la démarche.
Les éleveurs ou associations d’éleveurs qui veulent s’impliquer dans les métiers de l’étalonnage ont déjà beaucoup d’autres moyens de le faire ! … Le GIP n’a de sens que si son but est de transférer progressivement et harmonieusement ses activités marchandes au secteur privé, associatif entres autres !
Au lieu de cela, j’ai l’impression que l’Etat est de plus en plus envahissant et prive de nombreux éleveurs professionnels de revenus complémentaires essentiels en s’intéressant désormais aux marchés du poulinage, du débourrage et de la préparation aux ventes.

• Frédéric Neyrat, BLH
J’ai assisté à la réunion d’information de Cluny. Le projet du gouvernement semble être de confier aux associations régionales d’éleveurs la gouvernance de la grande majorité des centres techniques HN en organisant une période de transition sur cinq ans.
Quel est le vrai challenge ?
Il est de maintenir ouverts toute l’année ces quelques quatre vingt cinq centres techniques qui ne sont rentables par nature que quatre mois pas an. Pour avoir, à la demande des associations d’éleveurs d’Île de France et du département de l’Yonne, maintenu ouvertes les stations de Pamfou (77) et de Saint Fargeau (89), nous en mesurons toute la difficulté. La tache s’avère donc ardue d’autant plus que la France, dans un marché en contraction, est désormais en situation d’hyper offre en matière de centres d’insémination ; le secteur privé y jouant pleinement son rôle.
Cela passe donc inéluctablement par une indispensable diversification des CT.

Le seul moyen pour les associations de « lever » l’énergie, la logistique et l’imagination indispensables pour relever ce difficile challenge est :
- d’une part de confier le fonctionnement quotidien des CT à des opérateurs privés (les inséminateurs qui pourront être les agents HN volontaires associés à l’agriculteur de proximité, aux vétérinaires locaux, aux étalonniers capables de fournir une offre génétique diversifiée et compétitive…). Aucune de nos associations n’a la logistique pour assurer elle-même ce service. Elles doivent donc déléguer cette mission au secteur entrepreneurial.
- d’autre part d’être l’interface avec les collectivités territoriales pour diversifier les CT hors saison de monte. Ils pourraient par exemple devenir des centres départementaux de formation équestres aidés en cela par des agents de l’ex-ENE détachés dans les CT hors saison. »

• Jean Levebvre, Elevage des Ixes
A - On ne peut dire « niet » à cette proposition qui semble plutôt être une affirmation !
Attention pourtant : un GIP lors de sa constitution, ne peut prendre en compte tout un solde négatif et se doit de « démarrer » sur des bases saines et solides !
Ne pas reprendre un fonds de commerce en l’état, qui fut depuis toujours en déficit !
Le GIP ne peut « reprendre » :
1) Certains personnels refusant de pratiquer la profession pour laquelle à grands frais ils ont profité d’une formation. (Exemple : les inséminateurs qui refusent d’inséminer !)
2) Certains autres personnels en attente de la retraite. (Exemple : ceux accidentés ou d’autres devenus inaptes à la conduite automobile)
3) Tous les contentieux en cours qui « traînent » depuis des années et qui n’ont pas encore été réglés.
4) La totalité d’un effectif d’étalons en partie démodés dont certains sont à réformer.

B - Même si une ligne de conduite nationale doit exister pour un tel groupement…
1) il est certain que des GIP Régionaux seraient financièrement plus maitrisables (ces GIP pourraient alors bénéficier d’aides régionales qui seraient refusées en cas de GIP National).
Chaque région aussi possède ses particularités en race et en topographie (le « Grand
Est » plus axé sur le Cheval Ardennais et le Selle Français possède aussi celle de la proximité des frontières du Nord).

Question 3 . De quels éléments votre politique tarifaire tient-elle le plus compte : du retrait des HN ou de la « crise » ?

• Michel Guiot, Haras de Talma
La politique tarifaire de nos protégés est basée sur leur qualité génétique et sur leur performance ; elle est en relation très étroite avec la crise et le contexte actuel du marché et non avec le retrait des HN.
Malgré la diminution du nombre d’étalons HN, il y a augmentation du nombre d’étalons faisant la monte en France alors qu’il y a diminution très nette du nombre de juments saillies.
Il est dès lors normal de ne pas voir les tarifs des saillies à la hausse. C’est la loi de l’offre et de la demande.
Il ne faut pas opposer les éleveurs aux étalonniers mais ils doivent travailler ensemble via les associations d’éleveurs et l’Association Nationale de la race SF, l’ANSF.

• Arnaud Evain, Groupe GFE
Nos tarifs ne bougent pas ou baissent en 2010 ; ils sont établis par les représentants des éleveurs qui sont nos actionnaires et ils tiennent compte de la réalité du marché, de la situation économique des
éleveurs et de la concurrence internationale.

• Frédéric Neyrat, BLH
« Béligneux, le Haras », trop longtemps élitiste, a accompli sa révolution en 2009 en proposant un pool d’étalons de stature mondiale, stationnés en France, disponibles partout en semence réfrigérée, payables au poulain vivant, avec des Frais Techniques inférieures à ceux des HN. Un exemple : Radieux BWP qui tourna six années en compétitions internationales fut proposé pour 530 € ttc au poulain vivant, le même tarif que les bébés-étalons HN de trois à cinq ans : plus de sécurité, plus de progrès génétique. Cette révolution nous a permis d’augmenter en 2009 notre activité de 30% avec 900 juments servies alors que le marché national s’effondrait de 15% .
En 2010, nous irons encore plus loin en renforçant ce pool d’étalons.
Notre politique tarifaire n’est donc inspirée ni par le retrait des HN ni par la « crise » mais uniquement par le souci permanent d’optimiser le progrès génétique et de comprimer les prix au maximum. Cette volonté génère par elle-même le succès ; beaucoup d’éleveurs nous rejoignent. Plus ils seront nombreux, mieux nous pourrons les servir pour ainsi, année après année, « (s)’élever ensemble » comme le dit la maxime de « Béligneux Le Haras ».

• Jean Levebvre, Elevage des Ixes
Pratiquement et à cause de la crise, tous les tarifs ont été revus à la baisse en 2009 (sans tenir compte des prix pratiqués par les haras).
Pourtant, tôt ou tard, il faudra revenir au paiement de la deuxième fraction au 1er octobre car :
1) Le pourcentage de la mortalité des poulains nouveau-nés est à la hausse (les éleveurs sont moins vigilants lors des poulinages).
2) Certains naisseurs ne déclarent pas leurs naissances !...Ils préfèrent un poulain « sans papier » plutôt que de payer le solde de la deuxième fraction.

21/01/2010

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