Violences sexuelles dans le Sport - Amélie Quéguiner : « Pour réveiller les autres victimes »
En plein scandale au cours duquel des sportives dénoncent les violences sexuelles dans le monde du sport, après que le cinéma a été touché, Amélie Quéguiner ne peut plus se taire. Elle est gérante de l’Élevage de Liam à La Roche-Chalais, en Dordogne. Elle aussi fut une victime ; elle a 50 ans maintenant, a pu se reconstruire grâce à des proches. Mais avoir été à 13 ans « la proie et la victime » de trois hommes a brisé sa vie de femme.Â
La lettre
Elle prend sa plume et écrit une lettre ouverte à Serge Lecomte, qui fait l’effet d’une bombe dans le milieu du cheval. C’était le mercredi 5 février, à l’aube du Salon du Cheval de Bordeaux. Cette lettre, très digne, ne réclame pas des têtes : les faits sont prescrits. Avec beaucoup de courage elle se veut porte-parole : « Mon but c’est éventuellement de réveiller les autres victimes et surtout montrer qu’il faut le faire, montrer que ça existe, et laisser une trace pour que ça serve pour la suite. »Â
Elle demande également aux cavaliers de s’exprimer (même si Olivier Guillon l’a fait) : « il faut aussi que les champions, et nos champions olympiques qui ont une aura énorme auprès de nos jeunes, parlent et conseillent aux jeunes de parler ».Â
Dans sa lettre, Amélie Queguiner explique avoir « porté plainte contre ces trois individus ». Elle assure avoir reçu « un flot de témoignages » depuis ses révélations et sa première plainte en 2018. « Il y a dans vos licenciés des dizaines de filles et de garçons, mineurs, agressés sexuellement et violés », lance-t-elle à Serge Lecomte. « La majorité le sont par des enseignants, diplômés ou non, des cadres techniques, des maîtres de stage. »
La FFE réagit vite
La Fédération française d’équitation confirme le lendemain à Bordeaux « une série d’actions » à venir. Serge Lecomte a pris le problème à bras le corps : « La Fédération souhaite participer activement à la prévention et à l’accompagnement des victimes de violences sexuelles et lance sa campagne de sensibilisation « N’en parle pas qu’à ton cheval ». Ensuite, une cellule d’écoute a été créée pour les victimes, témoins ou rapporteurs, au 0800 730 890. Mais également un formulaire accessible sur le Net : « Dans certaines circonstances, l’écrit facilite l’expression. » Enfin, il est rappelé aux victimes qu’il leur est possible d’utiliser directement le service mis en place par l’Etat , sur leur site www.interieur.gouv.fr. »
Car, Sophie Dubourg le rappelle : « La Fédération a une mission éducative. Le ministère des Sports se charge de la police administrative, la Police nationale et la Gendarmerie sont responsables des aspects judiciaires. » Mais désormais la police nationale et la justice, le Ministère des Sports et les Fédérations sportives travaillent ensemble.
Les autres victimes
Depuis cette rencontre Amélie mène croisade avec obstination. Elle a alerté la presse papier et télévisuelle, pour porter témoignage. D’autres jeunes femmes se font connaître.Â
Deux cavalières témoignent des agressions sexuelles subies à l’âge de 13 et 17 ans de la part de leur entraîneur, près de Toulouse. Il n’y aura pas de procès : l’homme s’est suicidé après sa mise en examen (suite à leur dépôt de plainte) mi décembre 2019, près d’Albi (Tarn). Terrible pour elles : la culpabilité face à la souffrance des proches de leur violeur, les attaques qu’elles subissent.
Enfin, Quitterie Hargous, violée à 13 ans par son moniteur d’équitation, a porté longtemps en elle cette blessure ouverte. Son témoignage, pudique révèle la violence terrible de l’impact sur cette toute jeune fille : si elle ne s’est pas suicidée, dit-elle, c’est parce qu’elle avait « peur de se rater ». Sombre dans la dépression, puis dans l’alcool. Elle finira par l’avouer à sa maman : « Cela devait sortir. On peut pas garder ça en soi toute une vie, je pense. » Elle a déposé plainte il y a un an, les faits ne sont pas prescrits. Nous n’avons évoqué ici bien sûr que les seuls cas où une plainte a été déposée.Â
C’est à nous de les protéger
Nous avons choisi pour ouvrir le débat les mots de Hélène Romano, Dr en psychopathologie et psychologue, spécialiste en psychotraumas : « La parole se libère entend-on ? À quel prix ? Après combien d’années de souffrances ? Avec quelles représailles ? Si elle se libère, les rares qui osent parler sont bien en deçà de la réalité du nombre de victimes de ce fléau, car le système n’est pas conçu pour protéger les victimes. On entend régulièrement que telle ou telle victime n’avait qu’à parler au moment des faits, qu’elle ne devait pas attendre si longtemps. Alors qu’il est juste psychiquement impossible pour un enfant victime de parler : la honte, la culpabilité, la confusion des sens dans lequel l’abuseur le place, la terreur, la pression morale, l’emprise, l’amnésie traumatique, les états de dissociation pour survivre et qui conduisent à des attitudes en « faux-self » (comme si de rien n’était), le rejet et très souvent le lynchage si fréquent des parents censés protéger, sont autant d’explications pour comprendre le silence des enfants victimes. Ce n’est pas à eux de se protéger, mais aux adultes de le faire et ils doivent pour cela être mieux formés, mais surtout soutenus et non sanctionnés quand ils alertent sur des comportements déviants. »Â
Elle plaide pour que le gouvernement prenne deux décisions fondamentales : « rendre imprescriptible tout viol sur mineur qui est un crime contre l’humanité et en finir avec le principe de présomption d’innocence qui veut que ce soit à la victime de prouver ce qu’elle a subi. Or comment prouver un viol surtout des années après ? »
C. Robert
L’interview
Etienne Robert : Amélie, pourquoi vous exprimer maintenant ?
Amélie Quéguiner : Pour faire écho à toutes les révélations qu’on a actuellement dans le milieu sportif. J’ai trouvé que c’était la période où les micros étaient ouverts, où les oreilles étaient ouvertes et la période où les Fédérations doivent prendre position sur ce sujet. Elles doivent prendre conscience, déjà que c’est un sujet grave, que ce n’est pas juste anecdotique ou marginal dans leur sport.
ER : Vous aviez 13 ans au début de ces violences sexuelles et vous avez porté ça jusqu’à maintenant ?
AQ : Oui, 30 ans avant de parler. Il y a la honte et la culpabilité qui vous empêchent de le faire, et l’emprise, c’est complexe. Actuellement il n’y a que des gens qui ont subi qui parlent 10 ou 30 ans après les faits. Mais actuellement il y a des petits jeunes qui subissent ça, qui se terrent, qui n’ont pas envie de parler et j’espère qu’à un moment donné ils vont entendre mes paroles ou les paroles de champions, ou dans d’autres disciplines ils vont se dire « Moi je suis en train de vivre ça, il faudrait peut-être que j’ose en parler ».
ER : Que pensez-vous de la réaction de la Fédération ?
AQ : C’est une réaction rapide ce qui est bien, avec des propos assez clairs, avec des mesures qui je pense sont déjà assez correctes. Même si sa cellule d’écoute de paroles c’est une bonne mesure, je pense cependant que dans le sport il faudrait une structure indépendante qui gère ça de manière à ce que ce ne soit pas géré en interne : c’est toujours dangereux, il peut y avoir des conflits d’intérêts liés à des connaissances.Â
Par contre lorsque le Président veut rassurer les gens parce que ce sont souvent des petites structures familiales, je ne suis pas d’accord. Ça se passe surtout dans les petites structures, justement où il y a un moniteur porté aux nues, qui se fait passer pour l’ami de toutes les familles, qui rentre dans les maisons, c’est souvent là qu’il y a un réservoir de prédateurs. J’aimerais que les professionnels aussi, les moniteurs, les encadrants prennent la parole pour défendre leur métier, il ne faut pas que quelques-uns entachent leur profession. Je suis moi-même enseignante, il ne faut pas que tous les enseignants soient considérés comme des pédophiles ou des agresseurs en puissance. Je pense qu’il faut pousser les gens à parler quel que soit leur niveau : que ce soient les parents, les enfants, les formateurs et encore mieux les instances pour pouvoir « nettoyer » le plus possible tout ça.
ER : Vous allez dévoiler les noms de vos prédateurs ?
AQ : Je ne sais pas, il y a le délit de diffamation. Mais j’ai donné leurs noms à la Fédération, et au Ministère des Sports, qui vient de créer une cellule ; eux peuvent agir. Pour eux il faut que je signale les noms, mais le déclarer publiquement c’est encore autre chose.Â
ER : Vous attendez quoi des cavalières et cavaliers ?
AQ : D’abord j’attends d’Olivier Robert qu’il soit le relais face aux cavaliers, j’attends des cavaliers qu’ils co-signent cette lettre. C’est symbolique parce que la lettre est déjà parue, mais il faut aussi que les champions, et nos champions olympiques qui ont une aura énorme auprès de nos jeunes, parlent et conseillent aux jeunes de parler, ça va avoir un impact encore plus important. Moi mon cas personnel ne sert qu’à donner le petit coup de pouce pour franchir la première marche et après le reste j’espère que Amélie Quéguiner on va l’oublier très, très vite et qu’on va parler encore de la pédo-criminalité dans l’équitation.
ER : Vous avez des enfants ?
AQ : Non, je n’ai jamais voulu en avoir, je me suis dit que jamais je ne ferais ça à un enfant. Parce que en dehors des violences sexuelles c’étaient les violences physiques, des violences morales, de la torture psychologique, des humiliations permanentes en public, et ça c’est 10 ans d’une vie extrêmement dure où il faut serrer les dents, avoir un sourire de façade, faire en sorte que personne ne voie.
Amélie Quéguiner est bien entourée. Mariée, elle a une écurie de propriétaires et fait de l’élevage (ainsi qu’un centre de mise en place), ce qu’elle a toujours aimé : « ça a commencé par des juments de concours que je montais qui ont été mises à la retraite et donc à la reproduction. » Elle pratique beaucoup le hunter, et forme tous les jeunes chevaux sur cette discipline, avec des champions de France à la clef, « C’est gratifiant. », dit-elle avec simplicité. L’extrême courage de cette femmes force le respect.
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