L’ACA se lance dans la bataille contre le dopage
Elle avait antérieurement initié plusieurs démarches et actions destinées à alerter ministères et fédérations sportives pour trouver des solutions aux problèmes de dopage et de tricherie dans ce sport.
Car il faut éviter à tout prix de condamner une discipline qui apprend aux cavaliers à être des gens de cheval et à connaître les limites à ne pas dépasser dans l'utilisation de leurs chevaux.
L'ACA invite aujourd'hui ses adhérents, mais aussi les éleveurs et les cavaliers d'endurance, à afficher leur solidarité à la cause qu'elle défend en portant le badge To dope is to kill, en affichant les autocollants de la campagne sur leurs vans et leurs voitures.
François Atger s'explique sur l'engagement de l'association d'éleveurs qu'il préside et sa détermination à un moment où l'endurance équestre fait la Une de la presse et pas à son avantage.
Tout d'abord, pourquoi l'ACA, qui est une association de race, se mobilise-t-elle sur un problème sportif qui ne la concerne pas directement à priori ?
La base la plus importante de l'ACA 1 est constituée par des éleveurs qui valorisent leurs chevaux sur des épreuves d'endu- rance. Et notre association a la responsabilité du Programme d'Élevage des chevaux d'endurance en France. Pas seulement le cheval arabe mais aussi le DSA, le Pur-sang anglais... tout cheval qui va pratiquer cette discipline. Je suis président de cette association depuis le printemps de cette année et je me suis engagé dans ce combat.
Combat par conviction et parce que mes éleveurs m'ont demandé de faire quelque chose.
Je crois que c'est aussi de la responsabilité de l'élevage de faire pression sur un sport qui utilise les chevaux qu'ils font naître. En dehors de l'aspect scandaleux ou affectif des conséquences du dopage, l'ACA a mis en place des critères de caractérisation et de mesure de la performance des chevaux d'endurance. Si on fausse les résultats sportifs, nos indices de performance, par exemple, ne servent plus à rien. Tout le travail de sélection que l'on fait depuis 20 ans n'a plus aucun sens.
Pourquoi se mobiliser aujourd'hui ?
Parce que des chevaux meurent de fractures dites spontanées ou d'épuisement y compris parfois en Europe.
Ceux qui font naître un cheval d'endurance rêvent bien entendu de performance mais pas n'importe comment, ni à n'importe quel prix. Beaucoup d'éleveurs m'interpellent en me disant qu'ils hésitent à faire naître car il devient inéluctable de vendre ces chevaux à des gens qui en trichant les mettent en danger. Cela concerne bien entendu le haut niveau international.
Dans l'endurance moderne, des contrôles vétérinaires ont été mis en place justement pour protéger les chevaux. Mais il semblerait qu'un certain nombre de pratiques soient mises en œuvre pour enlever aux vétérinaires la possibilité de vérifier si un cheval manifeste un début de fatigue. Cela engendre évi- demment ce qu'on peut imaginer derrière. On en revient aux origines lointaines de la discipline quand il s'agissait de raids militaires où les chevaux donnaient leur vie pour satisfaire leurs cavaliers ! Or, c'est exactement l'inverse de cela qu'on a voulu faire dans notre sport.
Pourquoi l'ACA intervient-elle à la veille des JEM ?
Avant avril, date de mon élection, je ne me sentais pas la légitimité pour parler, même si j'avais déjà essayé de réunir en octobre dernier à Uzès, la FFE, le Ministère de l'Agriculture, la SHF et l'ACA pour parler de ce fléau. Cette réunion avait avorté. La FFE m'avait cependant assuré qu'on était bien sur la même longueur d'ondes. Et lors de l'AG de l'ACA, ce printemps, j'ai affirmé que ce serait mon premier combat et j'ai demandé à tous les éleveurs présents si un seul d'entre eux était
Vous n'hésitez pas à parler de dopage? Ce mal est-il arrivé en France ou se concentre-t-il exclusivement au Moyen-Orient, les pays du Groupe VII selon la FEI ?
Loin de moi l'idée d'incriminer un pays en particulier, mais quand on interroge les chiffres des sanctions FEI, c'est bien dans cette région du monde qu'on a le plus grand nombre de cas de dopage avérés.
Il ne faut pas que le dopage soit un sujet tabou. Lors du dernier conseil d'administration de la SHF 2 le problème a été abordé et j'ai obtenu le soutien total de son président, Yves Chauvin, dans notre lutte contre le dopage. Cela ne fait d'ailleurs qu'aller dans le sens du circuit Jeunes Chevaux Endurance, que la SHF a imaginé pour la protection du cheval à tous les étages, jusqu'à la Finale d'Uzès. Les contrôles vont encore être accentués et l'on sera, à notre niveau, très sévère en cas de fraude avérée.
N'y a-t-il pas un règlement international qui encadre les épreuves d'endurance ainsi qu'un code de bien-être du cheval qui figure en annexe des avant-programmes des compétitions internationales ?
Bien entendu il existe des règles pour les cavaliers et des règlements vétérinaires destinés à protéger les chevaux. L'endurance est même sans doute la discipline équestre où le règlement est le plus drastique concernant la protection des chevaux. Mais s'ils sont bien faits, les règlements sont, semble-t-il, moins bien appliqués par les cadres FEI chargés de les faire respecter sur les compétitions !
La question majeure que je me pose c'est de savoir s'il y a une vraie volonté politique de la FEI de mettre en place les moyens qu'il faut et là où il faut. Les JEM vont avoir lieu et nous avons demandé, tout comme les cavaliers, des garanties de transparence et d'équité.
La FEI subit aujourd'hui des pressions de pays de plus en plus nombreux et qui sont tous de grandes nations équestres – USA, Belgique, Suisse. La France elle-même prend position au niveau du sport et nous dit que tout est à priori fait pour lutter contre ce fléau. Des garanties de principe nous ont été données de la part des organisateurs. Alors nous espérons avoir des Jeux propres.
Si les règlements FEI sont aptes à protéger les chevaux dans l'exercice de ce sport... mais qu'ils ne sont pas appliqués, il faut bien évoquer un problème de gens qui ne font pas leur job à leur échelon, voire de corruption ?
Je ne cible personne. Mais effectivement il n'est pas concevable qu'un cheval qui boite ou dont les critères cardiaques ou mé- taboliques ne correspondent pas au standard demandé ne soit pas arrêté. Certaines améliorations ont été faites récemment comme la mise en place des poignées cardio-fréquencemètre avec affichage public de la fréquence cardiaque de chaque cheval présenté aux vétérinaires.
Mais à priori un usage de substances permettrait aux chevaux de rentrer quasi instantanément au vetgate. On parle aussi de produits exotiques qui empêcheraient les chevaux de ressentir la douleur et de ce fait d'aller au bout de leurs forces jusqu'à y laisser la vie.
L'ACA a donc sollicité les chercheurs lors d'une réunion avec l'IFCE 3 et a demandé des moyens pour que l'on puisse mettre à jour ces substances lors des contrôles anti dopage.
Et comme la FEI semble aller dans la voie de l'acceptation de contrôles extérieurs à la discipline pour veiller à ce que les règles soient appliquées aux JEM, j'ai demandé à la SHF de proposer ses juges internationaux (parmi lesquels figurent des vétérinaires compétents et non impliqués dans la discipline) pour former ce que j'appelle une brigade anti-corruption – n'ayons pas peur des mots. J'ai également demandé à plusieurs reprises au Ministère de l'Agriculture (notre ministère de tutelle) de nous soutenir dans cette démarche.
Ne pensez-vous pas que, chez le cheval, comme dans les sports humains, les gens qui dopent ont deux ou trois TGV d'avance sur les laboratoires chargés des contrôles anti dopage ?
C'est dommage, mais c'est sans doute vrai ! Par contre, si les pouvoirs publics sont prêts à nous aider et à soutenir notre vo- lonté, il existe des moyens pour contrer cela. El l'un des premiers est la multiplication des contrôles anti-doping qui, à mon sens devraient être beaucoup plus systématiques : sur les chevaux des podiums internationaux, mais aussi pratiqués de façon aléatoire, y compris sur les plus petites courses. Il faut aussi des sanctions dissuasives pour les contrevenants.
Aujourd'hui les sanctions sont très minimes et, de plus, ceux qui sont convaincus de dopage et réellement condamnés, sont une infime minorité par rapport à ceux qui dopent.
Quels sont les dangers concrets et réels pour la discipline aujourd'hui ?
C'est l'arrêt pur et simple de la discipline ! On en est là.
Je vais même plus loin dans ma demande de moralisation de l'endurance. Pour moi, quand on est inscrit sur une compétition de haut niveau, on est déjà en compétition. Et je souhaite qu'il y ait des contrôles en amont, en ce qui concerne le haut niveau car c'est là que se concentrent les problèmes.
Alors concrètement quels moyens allez-vous mettre en place ?
Il faut d'abord pouvoir faire surveiller les pratiques sur les compétitions internationales par des gens extérieurs à la discipline.
J'ai demandé au Ministère de l'Agriculture de nous aider à trouver un système pour pouvoir donner des accréditations sur les compétitions : un accès total pour des juges indépendants et anonymes à tous les endroits occupés par les acteurs du sport endurance (écuries, aires de grooming et de repos...).
Si on parle de corruption interne à la FEI, de conflits d'intérêts pensez-vous que la FEI va accepter ce type de contrôles incognito ?
C'est à la FEI de répondre. Mais je crois qu'aujourd'hui elle n'a pas le choix.
Si tous les pays multiplient les pressions comme cela a commencé, la situation risque de devenir très vite intenable. Quand on fait une proposition pour lutter contre un fléau reconnu, il est clair que les responsables qui refuseraient de suivre n'auraient plus aucune légitimité. L'autorité de la FEI pourrait être remise en question si elle refusait d'aller dans le sens de la lutte contre le dopage. Il est important de poser publiquement les vraies questions pour officialiser et dater notre démarche, y compris auprès de ceux qui ne pratiquent pas l'équitation.
Si la FEI refuse d'entendre la demande de retour à un sport propre, elle devient, complice et condamnable. Certaines fédérations ou associations pourraient avoir l'idée de la traîner en justice pour ne pas avoir mis en place les mesures de protection indispensables au bien-être des chevaux, ni appliqué les sanctions pour les contrevenants. À mon avis il ne suffit pas de condamner uniquement les cavaliers mais il faut aussi, en cas de tricherie ou de dopage avéré, interdire les entraîneurs et l'écurie toute entière.
Mais en donnant ce coup de pied dans la fourmilière, n'avez-vous pas peur de ruiner la filière française du cheval d'endurance, à un moment où les chevaux français sont ceux qui se vendent le plus cher au monde. Et à ce stade, ne risquez-vous pas de ne pas être suivi par vos propres professionnels ?
J'y ai pensé. Beaucoup de professionnels me soutiennent déjà et sont prêts à porter les badges que nous préparons. Un profes- sionnel sait par ailleurs que quoi qu'on fasse dans une compétition il y aura toujours un premier et un dernier. On n'est pas obligé de médicaliser les chevaux pour gagner. On va peut-être ralentir les moyennes des épreuves... mais pour tout le monde.
Quoi qu'il se passe, les chevaux français sont largement en avance sur les autres pays. Les marchés vont peut-être se déca- ler. On aura peut-être une régression momentanée, mais je n'y crois pas complètement. Ce n'est pas parce qu'on va empêcher les gens d'utiliser certains produits qu'ils vont arrêter de courir en endurance. Je ne peux pas imaginer que toutes les écuries du Golfe vont arrêter de faire de l'endurance. La vraie question que les pays du Moyen-Orient devraient se poser c'est de se demander s'ils ont vraiment besoin de doper pour gagner ! Avec l'argent qu'ils mettent dans l'achat des chevaux, ils ont les meilleures montures du monde.
Par ailleurs, une filière ce n'est pas que le haut niveau. Un cavalier peut être motivé par une vente à un prix élevé mais il faut savoir qu'avant de vendre un cheval à un prix très élevé, il faut souvent dépenser beaucoup ! Le coût pour accéder aux courses où existe un marché à forte plus-value est très important. Et s'il y a une baisse d'engouement pour nos chevaux de haut niveau, il reste tous les autres pratiquants de la discipline qui ont envie de faire ce sport mais pas avec des gens qui trichent. Et ce se- cond marché est encore à développer.
Quels résultats escomptez-vous de votre campagne contre le dopage ? N'est-ce pas un peu naïf de penser que l'ACA peut s'ériger en redresseur de torts, seule contre tous ? N'avez-vous pas peur de jouer le pot de terre contre le pot de fer ?
Je ne suis pas seul. Toute la filière en France, beaucoup de pays européens et les USA sont conscients de ce problème. De nombreux cavaliers de haut niveau souhaitent revenir à un sport où l'on se bat à égalité. La grande majorité des endurants se sentent aujourd'hui trahis dans leurs valeurs et la communauté endu- rance qui a créé ce sport moderne refuse cet état de fait. Même au Moyen-Orient les choses bougent. J'étais à Doha cet hiver et j'ai vu une épreuve qui ne m'a pas choqué, où les chevaux couraient à une vitesse normale. Une épreuve avec des contrôles vétérinaires clairs et ouverts, pas de tente fermée. Un effort énorme a été fait. Et je suis persuadé que parmi les cavaliers et propriétaires du Groupe VII, il n'y a pas que des tricheurs et des dopeurs, loin de là ! Il y a aussi de vrais passionnés. Le fait de moraliser leur sport leur laissera aussi un peu plus de place pour révéler leurs chevaux. Et on pourra être fier de notre discipline.
Je pense par ailleurs que le moment est venu de solliciter l'appui des puissants du monde moyen oriental et les as- socier à la démarche pour éradiquer ce fléau.Leur réponse, quelle qu'elle soit, nous éclairera sur leur position personnelle. Je suis bien conscient que tout résoudre du jour au lendemain n'est pas possible ; mais on peut faire beaucoup, et dès maintenant.
notes
1. L'ACA détermine les politiques de la race arabe et du DSA, en fait la promo- tion et conduit les programmes d'élevage.
2. SHF : la Société Hippique Française rassemble l'ensemble des acteurs de la production, de la valorisation et de la commercialisation des jeunes chevaux de sport. Les associations de races, dont l'ACA, siègent au sein de son Conseil d'Administration.
3. IFCE : l'Institut Français du Cheval et de l'Équitation est l'opérateur public pour toute la filière équine, de l'élevage du cheval aux sports équestres de haut niveau.
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