Lunéville Colloques et cavalcades par Jean-Louis Gouraud
Les hommes et les dieux ont eu beau se liguer pour essayer de faire sombrer les Rencontres Équestres de Lunéville dans le chaos, leur tentative a lamentablement échoué. Malgré les suppressions ou diminutions de subventions, malgré le retrait de certaines aides municipales, départementales ou régionales, malgré les intempéries, le déluge, la boue, le froid, ces Rencontres - sixièmes du nom - ont connu, cette année encore, une réussite populaire et égayé pour quelques jours (17 au 21 juin) l’austère capitale de la Lorraine et ancienne capitale de la cavalerie française.
À la veille de la Grande Guerre, en effet, la cité abritait une Division entière, logée dans une demi-douzaine de casernements équipés chacun d’écuries et de manèges. C’est dans cette ville du cheval que naquit et mourut celui qui passe, de nos jours encore, pour l’archétype de l’écuyer à la française, à la fois élégant et efficace : le général Alexis L’Hotte (1825-1904).
Paradoxalement, sur ce personnage, installé pourtant au faîte du Panthéon de l’art équestre, on ne connaissait en réalité que très peu de chose, si ce n’est qu’il était l’auteur d’une formule ambigüe, tenant lieu de doctrine : « Calme, en avant, et droit »… Jusqu’à ce que Marc Feller, un mécène, amateur raffiné de belle équitation, décide de faire sortir son héros de cet incompréhensible purgatoire. Avec l’aide de l’infatigable auteur-éditeur Guillaume Henry (fondateur de l’Académie Pégase), il réussit à organiser, au Service Historique des Armées, un colloque censé éclairer les zones d’ombre de la vie et de l’œuvre de cet illustre inconnu.
Réunissant tout le gratin du monde équestre (présidents de Fédérations, anciens et nouveaux écuyers en chef du Cadre Noir de Saumur, professeurs au Collège de France et ailleurs), cette journée d’étude s’est tenue le 24 mai au cœur même du château de Vincennes, précédée de la parution, la veille, d’une toute première biographie du fameux général.
Écrite au clairon par l’excellent historien d’art et fin connaisseur du Second Empire qu’est Nicolas Chaudun, cet ouvrage, fort joliment édité par Actes Sud (180 pages, 19 €), est en fait une sorte de contre-biographie, l’auteur se demandant en introduction, avec son talent habituel, si ce L’Hotte méritait véritablement une biographie. Et, pire encore, s’il méritait l’espèce d’idolâtrie dont il est l’objet. Loin de lui ériger une statue (équestre), Nicolas Chaudun en entreprend plutôt un déboulonnage : « Au fond, qu’est-ce que la méthode L’Hotte ? » demande-t-il (p.98), avant d’apporter cette réponse cinglante mais juste : c’est et ce n’est que L’Hotte à cheval !
Qu’on se rassure : pour étayer son propos, Nicolas Chaudun s’est appuyé sur une énorme documentation inédite, en particulier sur une abondante correspondance mise à sa disposition par les lointains héritiers du général, dont la silhouette, grâce au sérieux du travail de l’historien, sort enfin du flou dans lequel elle baignait jusqu’ici.
Comme on pouvait s’y attendre, l’ouvrage s’est vendu comme des petits pains au cours des Rencontres Équestres de la mi-juin, chez l’unique libraire de la ville, Emmanuelle Quantin, fille et petite-fille de libraires, installés à Lunéville depuis 1883, et dont on peut donc supposer qu’ils eurent en L’Hotte un client assidu.
Quant aux Rencontres elles-mêmes, réunissant, comme les années précédentes, quantité de numéros de dressage, de cirque, de voltige, d’attelage, sélectionnés par l’intrépide Mahaut Wagner et parsemés tout au long des magnifiques avenues du parc du château de Lunéville, elles ont donné une fois plus la preuve de l’extraordinaire créativité et de la joyeuse vitalité du spectacle équestre français… et burkinabé ! C’est avec plaisir, en effet, que nous avons retrouvé, dans les frimas lorrains, les douces et tendres démonstrations de complicité entre le toujours jeune Mady Drame, qu’on avait déjà repéré voici dix ans sous le soleil de Ouagadougou, et son cheval.
Une telle concentration de talents ne pouvait pas échapper plus longtemps à l’attention d’Yves Bruezière, le très avisé directeur des programmes d’Équidia, qui a donc dépêché cette année une équipe entière sur place pour immortaliser l’événement.
Il fallait bien cela pour déjouer les vilaines tentatives des hommes et des dieux de mettre fin aux Rencontres Équestres de Lunéville.
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