Le dernier des « Mohicans »
Il était le dernier survivant des « monstres sacrés » qui ont hissé leur territoire, la Normandie, et les chevaux qui y sont nés, au plus haut niveau mondial. Fernand Leredde s’est éteint en début de semaine. Il avait 86 ans.
Visionnaire, fonceur, Fernand n’était pas, contrairement à ses confrères, issu d’une famille d’éleveurs de chevaux. Il le devint par curiosité, par culture, par effet milieu sans doute. L’analyse des stud-books, ses recherches sur la génétique, ses observations l’incitèrent à chercher des juments avec des performances sportives. Ce fut sa quête tout au long de sa vie d’éleveur : le sang et la performance. C’est ainsi que naquit le haras des Rouges dans les années 50. Un affixe qui fait référence à un cheval, Diable Rouge, fils d’Ultimate, stationné à St Lô et qu’il utilisa beaucoup. C’était aussi un bon moyen mnémotechnique pour se rappeler que les Rouges, c’était Leredde. Astucieux.
A Saint –Ebremond-de-Bonfossé, commune à quelques kilomètres de St Lô, les poulinières arrivèrent en nombre. « A l’inverse des familles d’éleveurs qui n’avaient qu’une ou deux souches, constatait-il, moi j’en avais quinze. On me prenait pour quelqu’un qui n’avait pas les pieds sur terre car l’élevage de chevaux était considéré comme très risqué. Moi j’y croyais. J’ai toujours eu un peu de culot et le sens du commerce. Cela ne m’a jamais nui ».
Dans les origines, il y avait celles des écuries du baron Empain avec Flicka (Tyrol) qui donna naissance à Rochet Rouge. Chez Louis de Funès, il acheta huit chevaux dont une certaine Douralienne qui produisit Funest, vainqueur de la première Coupe du monde. De l’élevage du prince de Broglie, qu’il constitua en grande partie, il en racheta la majorité quand le prince quitta la France en 1981. Dans le lot, il y avait Dirka suitée d’un certain Quidam de Revel.
« Mes poulinières avaient toutes des références sportives dans le papier. J’ai eu la chance que mon fils Xavier prenne le virus très jeune. Il a bien monté et mis l’élevage en valeur ».
Xavier fut le cavalier de Jalisco, le chef de race découvert par Fernand, puis celui du fils de Jalisco, Papillon Rouge, un grand performer, père de performers, toujours recherché aujourd’hui. Papillon fut un fleuron de l’élevage des Rouges. Il y eut aussi Un Espoir E, Vert et Rouge, Vallon Rouge, Flèche Rouge, Epsom Rouge, Quartz Rouge. Beaucoup ont brillé au plus haut niveau sur les scènes internationales. Fervent défenseur de la souche Anglo-Normande, il fit appel au sang Anglo-Arabe qu’il affectionnait pour la vivacité et l’influx qu’il apportait. Son choix se porta aussi sur des AQPS, filles de Cadoudal, de Don Pasquini. « Mon rêve, disait-il, est de faire un grand AQPS qui tourne en CSI et qui deviendrait l’étalon de croisement qui nous manque en France. »
Sa fierté résida aussi dans le fait d’avoir formé de véritables hommes de cheval : « Tous ceux qui sont passés chez moi sont installés et vivent de leur métier ».
Fernand qui voyageait beaucoup, en Suisse et en Italie notamment où il fut un pionnier du commerce de chevaux, ramena de Dublin un modèle de manifestation qu’il calqua sur Saint Lô : le Normandie Horse show était né. C’était en août 1989.
Il fut de toutes les négociations avec les Haras nationaux, pourfendeur des indices (les mathématiques des technocrates ne remplaceront jamais l’expérience dans l’élevage du cheval qui contrairement à celui des autres espèces animales est un art). Il fut aussi vice-président de la SHF qu’il fit ouvrir aux socios-professionnels et présida un temps l’Adecno.
Le dernier combat qu’il entama au début des années 2000 fut pour la réhabilitation du stud-book anglo-normand. Long combat parsemé d’embûches qui finalement finit par aboutir il y a deux ans. Philippe Martin alors président de l’Adep fut son associé dans cette aventure.
Xavier, après une brillante carrière de cavalier de CSO, se dirigea vers l’élevage et la valorisation de chevaux de courses. Une grande partie de l’élevage des Rouges fut alors vendue aux enchères il y a quelques années à Deauville. Loin d’être terminée, l’histoire des Rouges continue à s’écrire sur les terrains de concours. Pas un des passionnés de chevaux de sport ne pourra oublier Fernand lorsqu’il s’approchera de la ville de Saint Lô.
Il y associera ces autres personnalités emblématiques qui sont parties dernièrement : Germain Levallois, Alexis Pignolet, Alain Navet. C’est d’un grand homme de cheval que la mort nous prive.
Que son épouse, sa fille, son fils et sa famille soient assurés de notre sympathie attristée.
Les obsèques seront célébrées ce vendredi 3 mars à 14h30 à Saint Ebremond.
Témoignages
« Bâtisseur
d’une nouvelle
SHF »
Fernand Leredde vient de nous quitter laissant derrière lui un héritage fort pour tout homme de cheval qui sommeille en nous.
Il restera dans l’histoire comme l’un des piliers historiques du renouveau et du développement du cheval de sport en France. Il répondait au qualificatif de très grand homme de cheval, respecté par tous. Je ne pourrai citer de façon exhaustive la très longue liste des excellents perfomers à l’affixe Rouge qui ont marqué les sports équestres au niveau international. Je retiendrai le Champion d’Europe et médaille de bronze individuel au JO d’Atlanta, Rocher Rouge. Mais aussi Faon Rouge, Flèche Rouge, Nuage Rouge, Papillon Rouge, Quartz Rouge, et bien d’autres.
Le nom de Fernand Leredde est intimement lié à trois étalons « stars » qui ont marqué l’élevage du cheval de sport mondial, Jalisco, Quidam du Revel, Papillon Rouge.
Fernand a été également le bâtisseur d’une nouvelle SHF dont il a assuré la Vice-Présidence. En 1991, avec le Général O’Delant, il a ouvert notre association et son Conseil d’administration aux socioprofessionnels, éleveurs, propriétaires et cavaliers, première étape incontournable vers le statut actuel de Société mère du cheval et poney de sport.
A titre personnel, c’est pour moi un grand Monsieur qui nous quitte, un ami passionné, qui a été au bout de ses idées. Il restera pour moi un exemple.
J’adresse mes sincères condoléances à son épouse et à ses deux enfants, Xavier et Isabelle.
« L’intêret commun »
Moi qui n’ai jamais pu l’appeler autrement que « Monsieur » tant j’avais pour lui estime, respect et admiration je garderai de lui tout ce que je lui dois : la légitimité qu’il m’a offerte dès notre premier contact et le combat que nous avons mené ensemble pour la reconnaissance de l’Anglo Normand. Quant aux chevaux, je me souviens surtout des anecdotes que je lui réclamais, celle de Colinette, son premier cheval offert par le grand-père et tirant un peu vite le corbillard de Saint Ebremont, le lot de chevaux acheté à Louis de Funès, la vente de Verboise dont il se garda d’encaisser le chèque pressentant qu’on la lui ramènerait, l’agence Furioso qu’il créa avec Jean-Claude Evain et Alain Navet et les carrières sportives de Xavier avec Jalisco et Papillon.
Mais ce sont surtout ces dernières années et toutes ces journées que nous avons passées ensemble qui me permirent de mieux encore connaître l’homme. Il aimait que je le conduise dans le bocage à la recherche de tous ces lieux qui furent sa vie et sur chacun desquels il avait une histoire : Granville et l’école qu’il fréquenta. St Jean-de-Bay où il rencontra Francine dans la boucherie familiale qui devint sa femme et qui lui fut d’un courageux soutien, les marais, ses marais. C’est cet homme-là que je perds, dur en affaire, dur dans la vie, dur avec lui même, dur avec les autres. Tendre et généreux de coeur, un des seuls de sa génération à s’être préoccupé de l’intérêt commun, d’abord en Normandie en présidant l’Adecno, en créant à Canisy le Normandie Horse Show dont il était si fier, puis à la SHF dont il fut le vice-président du Général O’Delant, avec lequel les premiers contacts furent houleux et à qui il finit par imposer la présence d’éleveurs dans le CA.
Humble, sensible, c’est cet homme là que j’ai connu. C’est celui-là que je pleure aujourd’hui et à qui je dis adieu.
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