« Santiago ! » (Episode 10) Maurice Tabac
Résumé : Maurice Tabac, parti du Haras de St Lô en Normandie, entreprend le pèlerinage de St Jacques de Compostelle à cheval : deux chevaux l'accompagnent, Loug, un hongre de dix ans, gris de race barbe, et Lasco, un poney Français de selle ,bai, pottock x arabe. Le pèlerinage lui prendra 3 mois. Le pélèrinage touche à sa fin quand il entre en Galice.
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Je ne reste pas longtemps au sommet, le vent et la transpiration ne font pas bon ménage et puis j'ai hâte d'arriver à l'étape. Un petit chemin étroit, caillouteux, bordé d'arbres, de genêts et de bruyères agréable mais technique car rempli de pierres plates disjointes et glissantes entre lesquelles coule un ruisseau, je m'amuse comme un fou et les chevaux me surprennent par la sûreté de leurs pieds. Heureux d'arriver à cette étape, où le gérant, qui a fait le chemin vingt-huit fois, m'accepte avec les chevaux et met à ma disposition un champ bien clos avec de l'herbe. Je dois juste faire attention qu'ils respectent le linge qui sèche sur l'étendoir. Mon matériel est rangé, ma couchette est prête, j'ai pris une douche bien chaude, chose rare. Je m'installe sur un transat, à l'abri du préau et je déguste une bière avec ce gérant. J'essaie de négocier un arrêt de deux jours mais il ne veut pas se prononcer pour l'instant. Si seulement. Je pars visiter la petite bourgade, l'architecture est de moyenne montagne avec des petits balcons très fleuris et des petites sentes transversales. L'église est fermée comme souvent. Il ne manquerait plus que les pèlerins visitent les églises ! Je passe la soirée avec un couple qui a déjà fait le chemin voilà plus de vingt ans et il ne reconnaît plus l'ambiance, la piété ou la tolérance des gens, pèlerins ou espagnols. Le responsable m'informe qu'il est d'accord pour demain, je peux rester deux jours, parfait, je vais pouvoir faire le dernier rangement sérieux avant Santiago et faire la lessive. Le nombre de pèlerins augmente et les norias de bus aussi, déversant des pénitents tous frais et bien vêtus. Aujourd'hui, il y a beaucoup d'Asiatiques avec bien sûr en bandouillère l'appareil photo. La plupart de ces touristes quittent l'albergue vers 9h, marchent 1h puis remontent dans le car puis ne redescendent qu'à 1h de marche du prochain arrêt. Il faut savoir que ce chemin de Compostelle est vendu partout dans le monde par les tour-opérateurs, ils obtiendront eux aussi le Compostella (preuve du pèlerinage accompli grâce au credencial tamponné par les albergues).
Etalé sur la chaise longue, je regarde ces gens passer et mon esprit vagabonde, mais pourquoi tous ces gens marchent 1000 km pour aller se recueillir sur le tombeau de Saint-Jacques. Est-ce vraiment ce qui les fait avancer ou est-ce que ce chemin est devenu branché. Après ce repos, nous repartons pour la dernière semaine.
Aujourd'hui Pereze, étape merdique d'abord la traversée de Ponferrada, l'enfer, Lasco glisse, tombe, se relève, pousse Loug qui à son tour manque de tomber et tout ça en pleine ville parmi les gens et la circulation. Sortir au plus vite et à nouveau je retrouve la nationale sur dix kilomètres entre deux glissières de sécurité. Au loin les monts du Bierzo apparaissent, c'est pour demain. Les chevaux bien installés, je pars à la recherche de grains. Les gens me baladent de magasins à entrepôts, puis de ferme en ferme, enfin il n'y en a que trois, mais toujours rien. En désespoir de cause je vais chez le boulanger où un jeune homme m'invite à le suivre et enfin je trouve des granulés chez un marchand de poissons rouges. Couché très tôt, l'étape de demain, la montée du Cebreiro est très dure.
Après huit kilomètres de route, le vieux chemin historique apparaît. A gauche le torrent et à droite un bois épais sentant bon le terreau. La montée à travers le feuillage des hêtres, est très raide et sous nos pieds des dalles énormes qui ont dû en voir passer des pèlerins. Le temps est exécrable, brouillard, vent et pluie glaciale. Quel dommage, j'aurai pu apercevoir le Finistère en Galice. Arrivé au sommet frigorifié, il m'a fallu une heure pour trouver une étable à un kilomètre du bourg. Ce village est très beau avec ces maisons particulières des Pallozas, huttes d'origine pré-romane circulaires couvertes en pailles de seigle. Cet endroit me plait, l'église Santa Maria De Cebreiro du IX et Xe siècle est splendide. Une soupe galiçienne suivie d'une entrecôte revigore le pèlerin.
Depuis O Cebreiro en suivant la ligne de crête proche des chaines de Os Ancares et de O Courel, suivie du point culminant de O Poio 1337 mètres, nous descendons tranquillement sur un chemin ondulant parmi les champs vers Triacastela. Ce matin les chevaux n'ont pas la forme ils n'ont pas dévoré leur grain comme d'habitude. La grimpette d'hier leur est restée dans les pattes, et le froid n'arrange rien. Peu de monde, la majorité a dû emprunter la route; ce qui me va très bien. Nous arrivons à 16 heures. La jeune responsable met à ma disposition un champ, clos avec un ruban électrique, appartenant à son ami restaurateur. Je réserve une table pour ce soir que je partage avec une Norvégienne rencontrée plusieurs fois. Soirée agréable et courte, mon invitée est fatiguée. J'ai mal dormi, l'état des chevaux m'inquiète. Je me suis donc levé au chant du coq. A premiére vue rien d'inquiétant; les nez sont secs; les crottins consistants; le tissu plus terne que de normal. Pourtant depuis le départ je donne régulièrement des vitamines. Peut-être que les deux jours de repos ont brisé le rythme. Demain, je décide de faire une petite étape.
Barbadelo, journée facile si ce n'est la pluie glaciale et le sol spongieux encombré de racines. A l'arrivée je n'arrive pas à desseller tellement mes mains sont gourdes. Les amis ont été moyens, mais ce n'est pas pire. De la fenêtre de la chambre je peux les surveiller. La Galice, appelée aussi petite Bretagne mérite bien son nom, le climat y est similaire.
J'ai retrouvé les deux gars qui avait prévenu de mon arrivée il y a quelques jours alors que j'étais trempé ce qui m'avait coûté une bouteille « le prix de l'enclos. » Demain je prends une variante il y a trop de monde. Nous sommes à moins de 100 km de Santiago, suffisant pour obtenir le Compostella. et je veux voir le monastère de Samos. De bonne heure, je suis devant ce monument du VIe siècle, le plus ancien de l'occident. Majes-tueux et immense, dommage tout est bouclé, impensable. Le temps s'est amélioré et les chevaux vont mieux. C'est pas la canicule mais le soleil brille. A présent les bornes indicatrices annoncent tous les 500 mètres la distance restant à parcourir. Les maisons sont plus massives et en granit entourées de parcelles très petites bordées d'une murette de pierres sèches, comme en Bretagne. A Ventas De Naron halte pique-nique. Les chevaux sont attachés à un vieil escalier dans lequel est enchâssé un fer à cheval servant d'anneau. La patronne, avec un sourire à faire pleurer une mouche, prend ma commande, puis me sert. Les chevaux prenant peur, je ne sais pourquoi, tirent au renard et descellent l'escalier qui s'écroule. La tenancière en dépression profonde, esquive un rictus et s'assoie. Je bois mon coup, et mine de rien déguerpis. Le sentier sinue dans un bois de chênes en légère descente lorsque Lasco aperçoit la touffe d'herbe de sa vie. Il accélère, me double, glisse sur les dalles et tombe à genou. Le résultat deux genoux couronnés, rien de grave mais surement quelques poils blancs à l'avenir. Avec la blessure de garrot je vais rendre un cheval pie à Francis. Par bonheur plus loin, je trouve un vieux feu de bois et je frotte avec un charbon les plaies. A Palas De Rey je suis à nouveau éjecté.
(Episode 11 : suite et fin) :
« On ne peut asservir l'homme qui marche ». Arrivée à Santiago, de Compostela, qui réservera des surprises à Maurice.
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