« Santiago ! » (Episode 7) Maurice Tabac
A côté du courage il y a le courage qui accepte.
Arrivé à l'étape je pars visiter la ville (Puente La Reina). A part le pont et l'église Saint-Jacques rien d'exceptionnel. Ce pont à 6 arches qui franchit l'Arga est un affluent de l'Èbre et c'est un point de rencontre des chemins du Somport et de Roncevaux. Je m'étais promis d'aller au moins jusqu'ici et bien c'est fait et nous continuons. La soirée se passe au réfectoire où il faut jouer des coudes pour faire chauffer sa gamelle. Huit feux pour 100 personnes. L'ambiance est bonne et tout le monde partage. C'est comme ça que l'on mange du cassoulet toulousain mélangé avec des pâtes pour rassasier le pénitent, bonne nuit, pas trop de ronfleurs.
Au départ, j'opte pour une variante : le temps est maussade et l'esprit chagrin. A la sortie d'Estella le chemin s'aventure par Irache et le monastère de Santa-Maria-la-Real, premier Hospital de Navarre; bel édifice, au bord du chemin une fontaine distribue gratuitement du vin offert par les bodegas (caves à vin). Avec ce remontant nous arrivons 44 km plus loin à Los Arcos; les chevaux sont en pleine forme, et là, à nouveau refoulé « proscrit »; alors, je squatte 100 m plus loin dans un coin d'herbe. Tout compte fait, je me demande si je n'aime pas mieux cet inconfort au bruit des dortoirs. L' étape de Navarrete sous la pluie n'est pas belle, en plein chantier d'autoroute, d' ouvrages d'art, donc plein de circulation. Juste avant Navarrete un jeune homme distribue des prospectus dont un vantant l'accueil des cavaliers. En fait, il s'agit d'un camping « hippico ». La carte m'indique que c'est à 3 km de mon itinéraire : parfait. Nous sommes bien accueillis, le gérant accepte de me vendre 30 kg d'avoine. Les chevaux au pré et moi sous la tente. Je profite de l'épicerie pour faire des réserves, biscuits, chocolat, soupe et thé. Il faut que je me surveille, je ne mange pas assez, et pourtant, je pète la forme. En débâtant, j'ai constaté une petite blessure de garrot sur Lasco, à surveiller de très près. Je suis resté 2 jours à cet endroit. Après ce repos, direction Redicilla à 25 km; à présent, je suis dans la Rioja, région viticole. De la vigne partout bien irriguée, il me semblait que l'Europe avait trop de vin et que les vignerons français arrachaient leur cépage. La journée avait été calme et facile jusqu'à cet accident qui aurait pu être fatal. Avant Najera un petit pont de bois enjambe une rivière. Il est assez large pour ne pas devoir débâter. Je descends de cheval « love » la longe de Lasco et je m'engage à pied. Soudain, j'entends derrière moi un bruit suspect. Je finis la traversée; me retourne et vois mon ami Lasco en mauvaise posture. Le postérieur gauche est coincé, l'encolure est en appui sur la grosse chaîne supportant le tablier du pont, et le postérieur droit est dans le vide au-dessus de la rivière. Vite, j'attache Loug et me précipite, la situation n'est pas brillante. Comment faire ? Lasco est placide et dans son oeil je lis « à toi de jouer », il me fait confiance. D'abord arracher les deux lattes qui le retiennent prisonnier, puis dégager l'encolure en lui faisant passer la tête sous la chaîne, bon et maintenant, j' essaie de tirer le postérieur gauche, rien à faire, bien trop lourd et personne dans le coin; la seule solution qui me reste « pousser le tout à l'eau » en espérant que la jambe gauche passe bien dans l'espace libre des deux lattes que j'ai enlevées. Et hop ! Plouf 2 mètres plus bas; je saute dans l'eau assez profonde, débâte et sors l'animal qui se met à brouter. Après auscultation sérieuse, pas de boiterie, pas de grosses blessures, un peu de poils d'arrachés. Par contre les sacoches, surtout la gauche ont souffert. Heureusement c'est celle qui contenait mes fringues et mon sac de couchage; tout ça a dû faire tampon. Un couple m'explique : Lasco a voulu doubler Loug, mais sur un pont de 1,5 m de large, pas facile. Il a donc pris appui sur le bord extérieur du tablier où plusieurs lattes n'étaient pas rivées et qui ont donc basculé sous son poids, entraînant la chute. Deux heures après nous sommes repartis pour finir le long de la « carretera » (route nationale) avec ses désagréments et le soir je me suis fait virer de l'« albergue ». Entendant mes cris, un Monsieur m'explique qu'il peut me dépanner et m'offre pour 10 euros par cheval un garage. Devant mon refus il finit par accepter que je les mette à la chaîne dans son plan de pommiers. Je m'installe dans le garage, une soupe et dodo. Tôt, je vais donner le grain mais surprise, les chevaux sont bien loin de leurs piques, les cordes ont été ralongées avec de la cordelette d'épandage à linge. Pas de prise de longe, un miracle, le propriétaire tout content m'explique qu'il a eu pitié et qu'en plus d'un sac de pains secs donné à chacun, il a rallongé les cordes; je le remercie sans rien dire. Jusqu'à Burgos aucune auberge ne m'a accepté, rien que des squats, les sacs de ration sont vides. Burgos, capitale de la Castille. Beaucoup de monde, nous sommes un samedi. A pied je cherche la cathédrale. je veux la voir, c'est un joyau de l'art gothique espagnol, qui abrite les dépouilles du Cid et de Chimène. Le monastère de Las Huelga, l'hospital de San Juan Evengelista, et le petit pont en pierres sur le canal gardés par quatre lions, c'est splendide. Je suis content de cette journée. J'ai réservé pour ce soir une écurie tout confort, (bon...le confort...), une grange encombrée de tout un fatras de vieilleries qu'il faut sortir sous l'oeil éberlué du propriétaire. Donner l'eau, le foin et partir manger. Depuis deux jours je fais la route avec un couple de parisiens, des gens charmants et débrouillards. Ils ont une voiture de marathon tirée par deux New Forest pleins d'allant et aux ordres. Par endroit dans des descentes sur des plaques de schiste mouillées avec du dévers, je préférais être sur mon cheval, bravo la meneuse. Le couple s'arrêtant, je repars seul vers Castrojeriz. Etape plate sans intérêt. Des kilomètres et des kilomètres de lignes droites sans rien d'autre que des céréales, pas un arbre et le soleil qui tape. Il en sera ainsi jusqu'à Astorga. Je comprends à présent son nom La Sierra De La Muerta. Ce soir, j'ai parqué les amis sur une aire de pique-nique en face de l'auberge. Avec mes cordes, j'ai clos ce corral et je suis aller dîner avec les trois personnes rencontrées au départ. Vous vous souvenez (« St Jacques à cheval n'importe quoi ? »). Tout compte fait ils sont gentils, mais ignorants du monde du cheval, d'où ces réflexions. Nous avons refait le monde et nous nous sommes couchés tôt. Le lendemain un pèlerin en partance me réveille et m'informe que mes chevaux ont disparu. Branle-bas de combat, je sors et comme tout les matins, avant la ration, je siffle dans mes doigts. Loug me répond et arrive au petit galop; je suis assez fier de mon effet, tout le monde est surpris (moi aussi). Toute mes cordes ont disparu, je n'ai plus que les longes et le fil à linge. Ce réveil matinal fait qu'à sept heures nous avançons toujours dans la sierra. Au casse croûte du midi dans un bon coin herbeux trois retraités nous observent et je sens qu'ils ont envie de me parler. Je laisse les chevaux en liberté et je vais les voir. Ils sont sur la défensive. Enfin, le plus hardi m'explique que je fais une erreur. L'herbe va fermenter et rendre les « caballos » malades, ils vont gonfler, gonfler et il me prédit les pires maux. Sur ces brillantes réflexions, j'en profite pour lui faire comprendre que je n'ai plus de grain. Et là, un de ses copains s'en va et revient un quart d'heure plus tard avec une brouette pleine d'avoine qu'il me donne. Je lui propose de l'argent mais il refuse, me demandant d'arrêter de les laisser paître, « Par pitié ». C'est ainsi que nous repartons vers notre prochaine étape, Fromista où je trouve le monastère exceptionnel.
(Episode 8 : Fromista)
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