« Santiago ! » (Episode 8) Maurice Tabac
Dans cette auberge, nous sommes très nombreux, (+ de 100/dortoirs), avec des lits superposés qui ne laissent pas les vertèbres au repos, il y a toujours un ressort qui vous chatouille. De plus, c'est la course à la machine à laver, à la douche, au lavabo et même au fil à linge. Donc le linge sèche un peu partout, sur les poignées de fenêtre, les arbres, les haies, les chaises enfin partout.
Cette nuit a été mauvaise trop de bruit, alors je suis parti de bonne heure, et à 7h nous marchons toujours dans la plaine. Le camino remonte au début légèrement en biais vers les hauteurs. Le dénivelé est important, nous allons grimper de 300 m.
Dans un village, je cherche la Panaderia, la boulangerie, et la Tienda, épicerie, ne trouvant rien je demande à une dame, ou plutôt j'essaie, car dès qu'elle me voit approcher elle rentre vite chez elle et ferme la porte. Je suis, il est vrai, dans une tenue disons, rustique. Mais rasé de près et sentant bon l'humus. Les femmes n'ont plus de goût. Heureusement 200 m plus loin je trouve le super Mercado. Et là, je tombe sur un canon, une gargotière qui me regarde en transparence. C'est à peine si elle me dit bonjour et condescend à me servir. Après avoir réfléchi de longue seconde, avec une froideur à faire fuir les touristes, je la quitte sans prendre son téléphone pour un rendez-vous !
Fromista approche, d'après mes lectures le monastère roman XIe siècle est à voir. Il est midi, j'ai largement le temps. Ce monastère est ma-gni-fique, et très dans la mouvance clunisienne. Je suis heureux d'avoir vu une telle merveille. Il est quand même malheureux, que pour visiter ce monument, il faille payer 2€, 1€ la suite lumineuse du chemin de croix et 1€ pour les cierges tout ça dans un lieu de recueillement pour pèlerin désargenté.
Après un arrêt broutage, casse-croûte, nous repartons en direction de Carrios De Los Condes, 22 km au bord de la nationale entre deux glissières de sécurité. Prendre de face pendant 4h le défilé des 35t n'a rien de folichon. Et à l'étape : « Caballo Prohido, Decarpito, sino Guardia Civil ». Oui, oui à présent les menaces ne m'impressionent plus. Je fais tamponner mon credencial, et décide de m'installer le long du rio Carrion, où j'ai repéré en arrivant un coin superbe et sécurisé, c'est là que nous passerons la nuit. A l'abri du pont pour moi et les chevaux en liberté le long de la rivière. Il fait bon, mon brouet chauffe, minestrone au pain, un cassoulet à côté c'est du bouillon clair. Nuit divine, les chevaux sont repus et moi itou, nous pouvons repartir sur Sahagun 42 km. Dans une mer de blé avec le soleil et la poussière nous avons un coup de blues. Rien, pas d'arbre, pas d'eau, que des villages abandonnés où comme dans les westerns claque un volet désoeuvré. Je n'espère qu'une chose c'est que le gîte m'accepte. Le ciel est devenu noir et le vent monte, je préfèrerai donc coucher dans le dur ce soir. Je n'ai pas le temps d'arriver que l'orage éclate. Vite couvrir le bât, couvrir la selle, enfiler le ciré et à pied sous des trombes d'eau faire les deux derniers kilomètres. Evidemment, je me trompe d'auberge, demi-tour, sous ma capuche je suis passé à côté. Un jeune homme courageux vient au devant de moi et sans dire un mot, m'ouvre une petite porte donnant sur un enclos entouré d'un muret, merci. Je décharge mon matériel, le met à l'abri dans une cabane (dont le toit fuit), je sors mon sac de couchage et ma trousse de toilette et gagne l'auberge. Et là, je comprends la sollicitude du patron. Deux pélerins avec lesquels nous avons marché, l'ont averti de notre arrivée et moyennant un repas dans son établissement, il met son enclos à ma disposition. Soirée mémorable devant une entrecôte-frites, hmm que c'est bon. Et bien sur, nous refaisons le chemin. Mauvaise nuit, j'ai trop mangé hier soir.
D'après la carte, l'étape d'aujourd'hui est sans intérêt. L'on marche sans fin et longtemps dans un désert mais vers l'ouest. Sur ce chemin une paire de chaussures semblent attendre preneur, 20m plus loin une trousse, puis un pull, une veste, et éparpillés tout un fatras. Au loin assis, l'air rageur une jeune dame fait des grand gestes, tel Zorro, j'accours et je reconnais Sylvie. Une petite parisienne qui m'avait aidé à passer un pont que Loug refusait. Je lui avait donné une badine pour qu'elle le pousse, mais comme elle avait peur des chevaux, elle s'était contenté de sussurer à 5m, de sa petite voix d'écolière : « aller Loug » et cet âne avait obéit, alors que ça faisait 1h que je m'escrimais sans résultat. Mais pour l'instant ça ne va pas. Elle a mal partout, tendinites, les pieds en sang et le moral dans les godasses. Elle veut arrêter, qu'est-ce-que je fous là, pélerinage de merde, chemin sans intérêt enfin rien ne va. Nous discutons en mangeant du chocolat avec un biscuit et je vais récupérer son matériel. Je range, j'arrime le sac sur le bât et propose à Sylvie de monter sur le dos de Loug que je garderai en longe. Après hésitation elle accepte, en contre partie elle tiendra Lasco, il reste 25 km soit 6h pour arriver au terme de la journée. Au début elle n'était pas fière, puis le sourire revenu, il aurait bientôt fallu que je coure pour qu'elle connaisse le trot.
Sylvie a 20 ans, licenciée en économie et avant de rentrer dans le monde du travail elle s'octroie 1 an de vacances. Elle est partie de Saint-Jean-Pied-De-Port, sans beaucoup d'entraînement et avec toute la panoplie de la parfaite pélerine. Son sac est beaucoup trop lourd pour ses frêles épaules, d'où ce coup de mou.
Enfin Viatoris, l'accueil est sympathique et les chevaux sont derrière l'albergue dans un enclos sans herbe. Je cherche à acheter du foin, impossible, pas d'hierba se seca. Alors ce jour ils auront de la paille. La passagère est partie refaire ses pansements et prendre ses médicaments contre la tendinite. Je pensais, qu'elle m'aurais demandé de lui masser les membres inférieurs ; mais rien, qu'elle ingratitude... Une fois nos diverses tâches accomplies, autour d'une bière nous discutons. Ensuite je vais visiter la ville avec ces trois églises romanes toutes plus belles les unes que les autres. C'est la première ville, en quittant la Rioja, dans la province du Leon.
Je m'inquiète au réveil de l'état de santé de Sylvie qui m'informe qu'elle prend deux jours de repos pour soigner ses maux. Je la quitte donc en lui souhaitant « buen camino ». Expression que l'on clame cent fois par jour entre pélerins et « hola » pour saluer les espagnols. Le chemin est dénué de tout intérêt. 30 km de petits gravillons blancs, bordés de rachitiques peupliers tous les 7m.
Une équipe de télévision américaine suit mon périple depuis plusieurs jours. Préparation des chevaux, le départ et me retrouve dans la journée, puis à l'arrivée. Alors interview sur le déroulement de l'étape, prise de photos et de video, ils s'enquiert de mon moral et de ma santé. Le résultat à voir, peut-être un jour.
(Episode 9 : Traversée de Mancillas de Las Mulas - Leon - Astorga).
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