Bertram disqualifié : les sports équestres menacés ?
La déclaration des officiels est la suivante : « Après le Grand Prix Olympia CSI5 * à l’Olympia, de Londres (GBR) le 21 décembre, 2015, Bertram Allen (IRL) a été disqualifié par le jury de terrain vertu de l’article 242.3.1 du règlement de la FEI de saut lorsque le juge FEI chargé d’examiner les chevaux avant et après le parcours a signalé au jury de terrain que le cheval de Allen présentait des traces de sang sur le flanc droit. Un appel a été interjeté par Mme Mhairi Alexander, désignée par le cavalier et Mme E Phillips, la propriétaire, pour parler en leur nom. Le comité d’appel a entendu les différents protagonistes et a confirmé la décision du jury de terrain que Bertram Allen a été disqualifié de la compétition selon les règles en vigueur. La victoire a été décernée à Michael Whitaker (GBR) et Viking.
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Notes: FEI Saut Règles article 242.3.1 - Disqualification obligatoire - ( « Chevaux présentant des saignements sur le flanc (s), dans la bouche ou le nez ou des marques indiquant l’utilisation excessive d’éperons ou du fouet sur le cheval ») »
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La Loi et l’esprit de la Loi... : ce n’est pas le premier cas de prise de position des autorités de la FEI lors de concours mondiaux.Â
D’autres très grands cavaliers ont été confrontés au même cas : Marcus Ehning à qui il a été « conseillé » de ne pas repartir dans la seconde manche du Global Tour de Valkenswaard ou encore Grégory Wathelet dans le Grand Prix d’Helsinki.
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L’esprit de la LOI ?...
• Question de peau...
Ce que reprochent les cavaliers qui ont pris clairement position en faveur de Bertram Allen, aux juges de la FEI, c’est que cette disqualification a été prise « à la lettre ». Aucun cavalier ne remet en cause qu’il y ait eu une trace de sang, mais critique l’importance qu’on lui a donnée. Et les conséquences dramatiques et sans appel.
Le vice-champion d’Europe Grégory Wathelet entre autres avance l’argument de la fragilité de la peau des chevaux tondus. Selon lui les chevaux sensibles « marquent » facilement. Le Champion du monde Philippe Lejeune avance le même argument, estimant le « rasage » des chevaux trop fréquent, et irritant pour la peau, et la douche plus pratiquée que le pansage, alors que c’est ce dernier qui durcit et fortifie la peau. Le cavalier belge avoue d’ailleurs ne pas raser ses chevaux en été, en partie pour qu’ils ne perdent pas leur protection contre le soleil et les insectes.
• On se trompe de cible...
Dans l’ensemble, la communauté des cavaliers demande aux juges de la FEI de ne pas se tromper de cible : oui à zéro tolérance pour les mors trop durs, les guêtres serrées, le fait de tirer dans la bouche, ou « les gens qui s’écrasent dans des obstacles au paddock ». Ils ont le sentiment de payer pour ceux qui trichent, sans remettre en cause le fait qu’il faille des règles et que le bien-être du cheval est primordial. Certains cavaliers critiquent également le fait que la FEI accepte la présence de jeune cavaliers locaux inexpérimentés sur ces hauteurs à chaque étape coupe du monde, mettant en danger les chevaux : « Et là on ne dit rien... »
• Les droits de la défense : nuls
Le site World Of Showjumping, site norvégien, a interviewé l’avocat de Bertram Allen, qui l’a défendu lorsqu’il a fait appel de la décision. Cet avocat pointe du doigt les conditions dans lesquelles la règle s’est appliquée : il faut selon lui des normes garantissant une procédure juridique équitable. En effet, d’abord les appelants n’ont pas le temps de préparer le dossier : « Nous avons seulement 30 minutes pour décider de faire appel. Ensuite, en une demi-heure, l’appelant est censé lire la règle, se demander si elle a été appliquée correctement, recueillir le formulaire à partir du bureau compétent, et déposer le formulaire au bureau compétent, avec preuve à l’appui », se référant à l’article 165 du règlement de la FEI.
Enfin, selon l’avocat, il n’eut pas l’occasion de connaître la position du Jury de terrain : « On pourrait peut-être faire valoir que leur position était évidente, cependant, lors d’un débat, l’appelant connaît la position détaillée de l’accusateur afin d’adapter son argument en conséquence. » Un principe juridique bien connu et primordial est que les décisions prises par l’accusation précisent les motifs sur lesquels elles sont basées !
• L’Esprit de la Loi...
L’avocat fait valoir que la règle de disqualification en cas de présence de sang induit une utilisation excessive des éperons. « La simple présence de sang et/ou une marque seule ne suffit pas à entraîner la disqualification. Il n’y avait rien pour indiquer qu’il y avait une utilisation excessive d’éperon. Le Jury de Terrain a donc commis une erreur dans son interprétation et l’application de la règle ». Sur le contenu de la règle dite de sang, Alexander commente : « Il ne faut pas changer la règle telle qu’elle est. Elle est clairement conçue pour protéger contre les abus. Mais elle devrait être remaniée pour assurer plus de clarté, ou la FEI devrait édicter des directives formelles sur la manière dont elle souhaite que la règle soit interprétée ».
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La FEI : la LOI !
• Bien-être du cheval
La Secrétaire Générale de la FEI Sabrina Ibáñez, suite au déferlement de réactions, a tenu malgré tout à rappeler que : « Une disqualification selon cette règle ne signifie pas qu’il y ait eu l’intention de blesser le cheval, mais il est crucial que les règles soient appliquées afin d’assurer le bien-être du cheval. C’est très facile pour un fonctionnaire du sport d’être critiqué alors qu’il fait simplement son travail. Tout à l’Olympia a été traité correctement et en conformité avec les règles, même s’il ne fait aucun doute que c’est la fin malheureuse d’un événement merveilleux. »Â
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• Contexte : les sports hippiques en dangerÂ
Ce qui joue un rôle déterminant dans la raideur de la position de la FEI nous paraît être le contexte actuel où les défenseurs de la cause animale mettent la pression sur les gouvernements et l’opinion publique chaque jour davantage pour que tout ce qui apparaît comme une contrainte et un asservissement de l’animal soit sanctionné : la mise en cause des numéros de cirque impliquant des animaux dressés, les conditions de vie dans les zoo ou simplement l’idée de les enfermer, oblige les fédérations équestres nationales et la FEI en dernier ressort à prendre position. Le scandale de la technique du Rollkür en dressage en est le meilleur exemple, qui, après un conflit entre les instances équestres néerlandaises et allemandes dès 2005, va pousser la FEI à l’interdire officiellement en février 2010.Â
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• Exemple : les rênes allemandes en Suisse
La Fédération Suisse des Sports Equestres a pris fin 2015 une décision qui éclaire de manière frappante ce contexte dangereux pour l’avenir des sports équestre : à partir du 1er janvier 2016, les rênes allemandes seront totalement interdites. Mais pourquoi une telle interdiction est-elle nécessaire ? La Fédération dit « s’engager de manière proactive pour le bien-être des chevaux et pour la réputation des sports équestres. »Â
En effet, la Fédération estime que les sports équestres occupent sans aucun doute une place particulière dans l’attention du grand public. Souvent, ce groupe est composé d’amateurs n’ayant tout simplement pas les connaissances de base sur le cheval, sa formation, sa détention et son utilisation. Ce n’est donc pas un hasard si certaines images pouvant être vues en concours peuvent irriter les spectateurs, peu importe si ce qu’ils voient soit correct ou non. C’est la raison pour laquelle le bien-être et la protection du cheval et des sports équestres en général sont au centre de la décision d’interdire les rênes allemandes aux manifestations soumises aux réglementations de la Fédération Suisse des Sports Equestres.
Le directoire justifie cette modification par la grande attention que porte le public à l’utilisation d’animaux pour la pratique d’un sport : « Une image suggérant la contrainte et la violence émet un mauvais message et nuit à la réputation des sports équestres. Si l’on ne combat pas cette image par tous les moyens, une interdiction complète des sports équestres pourrait en résulter tôt ou tard. L’ensemble du monde hippique suisse en est responsable et est appelé à s’engager pour le bien-être des chevaux ainsi que pour la protection et la réputation des sports équestres. » Hans Wyss, directeur de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires OSAV, souligna lors de l’adaptation de l’Ordonnance sur la protection des animaux (« Bulletin » 02, 17. 2. 2014) que les sports équestres se trouvaient sur le fil du rasoir. « L’utilisation responsable du cheval dans le sport sera décisive à l’avenir. » La façon dont ils se présentent au grand public, aux spectateurs, aux médias, aux sponsors et autres sera donc essentielle pour les sport équestres.Â
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Alarmistes les Suisses ? Seul l’avenir nous le dira... Mais 2016, et les Jeux Olympiques, n’ont sans doute pas été étrangers à l’application à la lettre de la Loi, dont a été victime Bertram Allen.
C. Robert
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